jeudi 30 août 2012

La conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole

Printemps 1997. Faisant partie des derniers appelés du contingent à devoir effectuer le service militaire avant sa suppression définitive, je m’apprête à « faire mes trois jours » comme on disait à l’époque. Destination Cambrai pour une batterie de tests physiques et médicaux destinés à valider mon aptitude au service. Refusant obstinément de porter les armes et l’uniforme, je sais déjà que je serai objecteur de conscience, mais cela ne me dispense pas des trois jours. Avant de monter dans le train, je m’arrête dans une librairie afin de trouver un bouquin qui va m’aider à mieux supporter ce court séjour cambrésien. Déambulant dans le rayon de littérature étrangère, je tombe en arrêt devant un titre improbable mais on ne peut plus adapté à la situation : La conjuration des imbéciles, de John Kennedy Toole. Le clin d’œil est trop beau, c’est le livre que je me dois d’emmener à la caserne ! Voila donc comment j’ai rencontré, par hasard, un des plus beaux romans qu’il m’ait été donné de lire.

L’histoire de la publication de La conjuration des imbéciles est incroyable. John Kennedy Toole est né en 1937 en Louisiane. Couvé, surprotégé par une femme devenue mère à 37 ans alors que les médecins lui avaient certifiée qu’elle ne pourrait jamais l’être, le jeune garçon a très tôt développé des capacités intellectuelles au dessus de la moyenne. Devenu professeur dans un établissement de La Nouvelle Orléans, il continua à vivre chez ses parents. C’est pendant son service militaire (décidément !) qu’il rédigea La conjuration des imbéciles. Le roman fut refusé par plusieurs éditeurs, au grand dam de son auteur.

Le 26 mars 1969, à 31 ans, persuadé d’être un écrivain raté, JK Toole se suicide en inhalant les gaz d’échappement de sa voiture.

Sa mère est dévastée lorsqu’elle apprend la nouvelle. Pendant les années qui suivent, elle propose le manuscrit à de nombreuses maisons d’édition. Les refus s’enchaînent. Obstinée, Thelma Ducoing Toole décide de montrer le texte à Walker Percy, un enseignant de création littéraire à l’université de Loyola. Dans la préface de l’édition française, le professeur Percy relate cette rencontre « [elle] me tendit l’épais manuscrit. Il n’y avait pas moyen d’y couper. Il ne me restait qu’un seul espoir : qu’après avoir lu quelques pages, je les trouverais, en toute bonne conscience, assez mauvaises pour ne pas avoir à en lire davantage. D’habitude, c’est ainsi que cela se passe. En fait, le premier paragraphe suffit souvent et ma seule crainte est que celui-ci ne soit pas assez mauvais ou qu’il soit juste assez bon pour que je me sente obligé de poursuivre la lecture.

Cette fois-ci, je continuais à lire, encore et encore. Au début, avec le sentiment déprimant que ce n’étais pas assez mauvais pour en rester là. Ensuite, avec un vague titillement d’intérêt. Puis avec une excitation grandissante. Et finalement, avec une sorte d’incrédulité : il n’était pas possible que ce soit aussi bon. »

L’ouvrage est finalement publié par la Louisiana State University Press. En 1981, La conjuration des imbéciles remporte le prix Pulitzer de la fiction. A titre posthume, John Kennedy Toole, un jeune homme qui se suicida pensant être un écrivain raté, reçu la plus prestigieuse des récompenses américaines pour un roman.

Pourquoi La conjuration des imbéciles est un livre culte (au moins pour moi) ? Le roman met en scène un des personnages les plus marquants de l'histoire de la littérature américaine : Ignatius Reilly. Un gaillard de La Nouvelle Orléans surdoué intelectuellement, irascible, en révolte contre la stupidité de ses congénères, à l’égo démesuré, fainéant comme pas deux, souffrant d’importants troubles gastriques qui engendrent de nombreuses flatulences et éructations. Une sorte de Don quichotte (obèse) des temps modernes qui cherche à mener une croisade perdue d’avance contre les imbéciles de tout poil. Sa mère le pousse à trouver un travail : chacune de ses expériences professionnelles va tourner à la catastrophe. Ignatius a une petite amie, Myrna. La relation entre ces deux drôles d’oiseaux est pour le moins originale. Et puis il y a la ville. JK Toole plonge le lecteur dans sa Nouvelle Orléans. Un endroit bigarré, à l’atmosphère si particulière. On parcourt les bas-fonds avec un plaisir incroyable, croisant des personnages hauts en couleur et des endroits au charme indéfinissable. Bref, voila un roman franchement drôle, à la fois léger et profond. Après avoir dévoré les 500 pages, on referme le livre en se disant que l’on ne tombe pas tous les jours sur un tel texte. Et c’est bien dommage !


NB : la mère de JK Toole trouva dans les affaires de son fils le manuscrit d’un roman qu’il écrivit lorsqu’il avait 16 ans. La bible de néon fut publié en 1989 aux Etats-Unis. En France, les éditions 10/18 le sortirent en 1993.

La ocnjuration des imbéciles de John Kennedy Toole. 10/18, 1992. 533 pages. 9,60 €.

Ce billet signe ma première participation au challenge Romans cultes de Métaphore. La liste des titres proposés me permettra de relire quelques pépites de ma bibliothèques (Les contes de la folie ordinaire, mon chien stupide, L'étranger, Le K...) ou d'en découvrir d'autres (Des souris et des hommes, Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur...). Bref, un beau programme en perspective.


17 commentaires:

  1. Un très beau programme en perspective oui...merci pour ce billet enthousiaste...je suis persuadé également qu'il y a des livres qui nous "attendent" à certaines périodes de nos vies...qu'on devait les lire à ce moment là...Il n'y a pas de hasard...il n'y a que des rendez-vous...^.^...
    Amicalement...Jack

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  2. Tu as sans doute raison. J'espère en tout cas qu'il y a encore beaucoup de livres comme celui-là qui m'attentdent^^

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  3. Aïe, , ce livre, j'en ai envie depuis longtemps (et il est à la bibli, bien sûr)

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  4. Beaucoup de gens considèrent ce roman comme culte, en effet (sans être méchante, le fait que l'auteur se soit suicidé doit y être pour quelque chose...). Pour ma part, je n'ai pas pu le terminer, je n'en pouvais plus du gros fainéant geignard !

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    1. J'ai adoré ce "gros fainéant geignard", c'est tout le charme de ce roman.

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  5. Ce roman m'intrigue depuis déjà bien longtemps, rien qu'à cause de son titre. Ma curiosité est satisfaite mais maintenant j'ai très envie de le lire! Je le note.

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  6. Ton billet me rappelle que j'ai ce livre chez moi depuis... un certain temps déjà! Il faudrait que je le lise enfin!

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    1. Ne le laisse pas prendre la poussière, il mérite vraiment que l'on s'intéresse à son cas^^

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  7. Merci pour ton billet et le présentation du challenge. Je rajoute tout ça de suite.
    Je pense lire ce bouquin aussi, donc, je viens le lire après mon billet :)

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    1. Ton challenge va me permettre de découvir ou redécouvrir quelques pépites. Je m'en réjouis à l'avance^^

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  8. Je cherche désespérément ce live depuis un moment. Ton billet me donne encore plus envie de le lire maintenant ! Je vais le commander sur internet de suite...

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    1. J'espère que tu ne seras pas déçue par cette lecture.

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  9. Bonjour Jérôme,

    Si j'ai trouvé le personnage de Reilly fort réjouissant, notamment en raison de sa mauvaise foi qui lui permet sans vergogne d'assumer toutes ses contradictions, j'ai rapidement eu l'impression que le récit s'enlisait, pour finir par tourner en rond. Le charme n'a donc pas opéré en ce qui me concerne.
    On compare souvent ce roman au Seigneur des porcheries" de Egolf (qui s'est d'ailleurs lui aussi suicidé) mais j'avais personnellement trouvé ce dernier bien supérieur.

    A bientôt..

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    1. Je comprends que ce texte puisse laisser de marbre. En tout cas il doit rarement laisser le lecteur indifférent^^

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  10. Je viens de publier ma chronique. Tu as en effet beaucoup aimé ! Pour ma part j'ai bien aimé, notamment pour ce paysage de la Nouvelle-Orléans très bigarré, pour l'extravagance de Reilly, son langage si particulier, et la portée politique du roman. Toutefois je trouve que ça traîne beaucoup en longueur, c'est un peu répétitif, et même si j'ai souri en le lisant, je n'en garde pas un grand souvenir quelques mois plus tard.

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