dimanche 31 mars 2013

L’ensorcelée - Jules Barbey d'Aurevilly

Plus ça va et moins je lis de classiques. Heureusement que Marie et Aaliz sont là pour m’embarquer dans leurs lectures communes sinon je n’aurais jamais le courage de m’y mettre. Rendez-vous donc en ce jour de Pâques avec Barbey d’Aurevilly, l’écrivain dandy par excellence.

Lorsque le récit commence, un voyageur à cheval arrive à l’auberge du taureau rouge, à l’orée de la lande de Lessay, dans le Cotentin. Il y rencontre un fermier, maître Tainnebouy, qui accepte de le guider à travers la lande. Au cours de leur périple, le fermier se met à raconter à son compagnon l’histoire de l’abbé de la Croix-Jugan.
Cet abbé fut naguère un chouan qui, suite à une défaite face aux républicains près de St Lô, décida de se suicider. Recueilli et soigné par une vieille femme, il survécut mais les républicains le retrouvèrent et le défigurèrent de façon abominable. Après-guerre, on le vit réapparaître aux vêpres de l’église de Blanchelande, enveloppé dans un capuchon noir. Le chouan, devenu prêtre, fascina la belle Jeanne de Feuardent, femme d’un riche propriétaire terrien. Succombant à un attrait incontrôlable pour cet homme à l’horrible figure, Jeanne devint l’ensorcelée, celle dont la mort engendra les pires tragédies...     

La découverte de l’univers de Barbey d’Aurevilly fut un vrai choc. Étrange, inquiétant, sauvage, son récit sans concession exacerbe la violence des passions amoureuses. A l’évidence, le bonhomme entretenait une fascination pour le sacrilège, l’horrible (le visage du prêtre) et les forces occultes (les bergers errant sur la lande aux pouvoirs de sorciers). La lisière du fantastique est aussi par moment allègrement franchie, notamment lors de l’épisode du miroir. L’écriture est à la fois précise, expressive et tout en tension. Il y a bien quelques longueurs mais les événements marquants sont si nombreux qu’à chaque fois que le propos semble s’enliser, l’intérêt du lecteur est relancé par un coup de théâtre. La violence est omniprésente et s’accompagne d’un refus de toute morale. Une forme d’outrance et d’insolence propre au dandysme qui sonne comme un défi adressé au bon goût. Et que dire des personnages : point de tiédeur ou de demi-mesure. Du prêtre à Jeanne en passant par le mari trompé, les bergers-sorciers et même la Clotte, vieille femme paralytique qui sera lynchée sur la place publique, tous sont animés d’une force de conviction absolument remarquable et représentent des figures marquantes qu’il est difficile d’oublier.          
    
Je suis sacrément content d’avoir plongé sans retenu dans ce bouillonnement des passions saupoudré d’un zeste de surnaturel où la morale n’a pas sa place. La violence de l’écriture de Barbey, surprenante et sulfureuse, m’a, je dois l’avouer, ensorcelé au point que j’ai hâte de poursuivre la découverte de son œuvre avec le recueil de nouvelles Les diaboliques (tout un programme !).  


L’ensorcelée de Jules Barbey d'Aurevilly. Flammarion, 1987. 256 pages. 4,90 €.

L'avis de Marie




vendredi 29 mars 2013

Histoire du chat et de la souris qui devinrent amis - Luis Sepulveda

Sepulveda © Métailié 2013
Mix est un vieux chat aveugle qui passe ses journées seul dans l’appartement de son maître, à Munich. Découvrant par hasard qu’une souris mexicaine a depuis peu investi son territoire, Mix va devenir son ami. Une amitié indéfectible où la complicité et l’entraide ne sont pas de vains mots… 

Un tout petit roman jeunesse du grand Sepulveda qui m’a d’abord plu, essentiellement parce que l’histoire de ce chat m’a rappelé celle de mon propre chat qui fêtera bientôt ses 15 ans et perd progressivement la vue. J’ai été touché par la description de sa vie quotidienne, le fait de laisser chaque élément de son environnement à sa place afin qu’il se sente à l’aise et s’appuie sur des repères bien précis pour continuer à mener une existence normale.  C’est exactement ce que nous nous efforçons de faire au quotidien, même si avec des gamines qui laissent tout traîner un peu partout, la pauvre bête doit continuellement faire face à de nombreux obstacles qu’il découvre souvent après s’être cogner dedans…

Pour revenir au roman, je dois bien avouer que la suite m’a beaucoup moins emballé. La rencontre avec la souris, l’évolution de leur relation toujours plus amicale, leurs quelques péripéties très basiques, tout cela m’a semblé bien fade. Surtout, l’ensemble est tellement pétri de bons sentiments que ça en devient agaçant. Il y a notamment ces nombreuses phrases venant conclure certains paragraphes, sorte d’aphorismes qui sonnent comme des sentences quelques peu moralisatrices et qui frisent le ridicule : « Les amis veillent au bonheur de l’autre » ; « Les amis veillent toujours sur la liberté de l’autre » ; « Les amis comprennent les limites de l’autre et lui viennent en aide » ; « Quand les amis s’unissent, ils ne peuvent pas être vaincus » ; « Les amis pour de vrai partagent ce qu’ils ont de meilleur ». J’entends bien la volonté humaniste de Sepulveda, son intention de célébrer la force inébranlable de l’amitié, mais je trouve que les ficelles utilisées sont un peu grosses. Reste la petite musique propre à ce magnifique écrivain qu’il est toujours aussi agréable de parcourir au fil des pages. 
  
Un texte parfait pour les enfants désireux de découvrir une histoire très positive (pour ne pas dire cucul). Personnellement, j’ai trouvé que ce coté « chamallow sucré » tout en rondeur manquait quelque peu d’aspérité. Mais bon, je ne suis pas le public cible et mon âme d’enfant a depuis longtemps disparu alors mon avis ne vaut pas tripette. Filez plutôt voir ce qu’en pense Marilyne, son billet risque de sacrément plus vous donner envie que le mien ! 


Histoire du chat et de la souris qui devinrent amis - Luis Sepulveda. Métailié, 2013. 80 pages. 11 euros. A partir de 7 ans. 

Sepulveda © Métailié 2013


jeudi 28 mars 2013

Le facteur Quifaiquoi


Vilar et Ballester © La joie de lire 2012
Voilà un facteur bien étrange qui n’a qu’une chaussure, deux paires de lunettes, trois montres à goussets… Et qui transporte bien plus de lettres et de paquets qu’il ne peut. Il travaille douze jours par semaine, treize mois par an et reçoit quatorze pièces de monnaie tous les quinze jours.
C’est un métier très sérieux. Il a même reçu vingt instructions officielles quant au travail qu’il doit effectuer. La plus importante l’oblige à descendre de sa bicyclette à neuf roues toutes les vingt et une minutes, à faire vingt-deux révérences et à jouer l’hymne de son pays avec son sifflet… Entre autres choses… Car Quifaiquoi est endormi et rêve d’un monde heureux.
Un album au rythme frénétique qui permettra aux enfants de jouer avec les chiffres, et même de compter puisque on passe de un à trente-trois puis de trente-trois à un… Le texte défile au bas de chaque page, comme la ligne d’un prompteur sur un écran et il faut bien avouer qu’il est parfois difficile de ne pas perdre le fil. Mais peu importe finalement puisque cette sarabande n’est qu’un rêve. Le dessin est épuré, formé d’un simple trait et relie aisément  image et texte.
Dommage que l’ensemble dégage une trop grande impression de légèreté et soit aussi vite lu qu’oublié. Indéniablement original, je dois néanmoins avouer que cet album ne m’a que moyennement convaincu…
Le facteur Quifaiquoi de Ruth Vilar et Arnal Ballester. La joie de lire. 2012. 28 pages. 14,50 Euros. A partir de 6 ans. 

Vilar et Ballester © La joie de lire 2012


Et voila ma 4ème et avant dernière lecture dans la catégorie albums







mercredi 27 mars 2013

Le Loup des Mers - Riff Reb’s

Riff Reb's © Soleil 2012
Ce ne devait être qu’une formalité pour le critique littéraire Humphrey Van Weyden. La traversée de la baie de San Francisco, il l’effectuait chaque samedi pour rejoindre un ami. Seulement ce jour-là le brouillard était plus épais que d’habitude et lorsque son ferry fut harponné par un autre bateau, la panique s’empara des passagers. Sautant dans l’eau glacée, Humphrey se réveilla à bord d’une goélette en route vers les cotes japonaises pour chasser le phoque. Embarqué malgré lui dans cette campagne de chasse, le critique littéraire découvre  le terrible capitaine Loup Larsen, sorte de monstre à la force herculéenne et à l’incroyable érudition qui impose sa loi à chacun de ses marins par la violence et l’esprit.

Librement adapté du roman de Jack London, cet album met en scène la confrontation philosophique entre le principe du surhomme selon Nietzsche et la théorie de l’évolution de Darwin. Loup Larsen représente l’homme instruit et guerrier qui, depuis la nuit des temps, doit dominer le monde pour survivre alors que Van Weyden est une figure beaucoup plus « morale » qui préfère s’adapter à son environnement et agir avec intégrité. Le récit est donc traversé par un véritable questionnement métaphysique magnifié par le huis-clos étouffant imposé à la fois par l’espace confiné du bateau et le déchaînement des éléments naturels. Riff Reb’s a choisi de réinterpréter la fin de l’histoire. Chez London, Van Weyden, grâce à sa capacité d’adaptation, parvient à vaincre le surhomme incapable d’évoluer. Le dessinateur propose une vision beaucoup plus pessimiste, renvoyant dos à dos les deux protagonistes en considérant que la modernité du critique littéraire n’est pas un gage de survivance. Un parti-pris que je trouve plus intéressant et beaucoup moins simpliste que la vision de London.          

Graphiquement, le trait est d’une rare puissance. Toujours aussi à l’aise pour croquer des gueules un peu « cradingues », Riff Reb’s fait des marins de la goélette une bande de durs à cuir aux faux airs de pirates et son capitaine, force de la nature au physique de sculpture antique, est tout bonnement impressionnant. Ses représentations de la mer déchaînée sont elles aussi en tous points sublimes. Niveau couleur, chaque chapitre est décliné dans une nuance différente, comme si l’on avait apposé devant les planches en noir et blanc un filtre d’une seule et unique teinte (jaune, bleu, vert, orange, rouge ou rose). C’est spécial mais assez bluffant.

Entendons-nous : derrière les questionnements métaphysiques, il ne faut pas perdre de vue que cet album est avant tout une épopée maritime à l’ancienne. De quoi régaler à la fois les philosophes et les amateurs d’aventure avec un grand A.

Le Loup des Mers de Riff Reb’s. Soleil, 2012. 136 pages. 17,95 euros.

L'avis d'Yvan


Riff Reb's © Soleil 2012




mardi 26 mars 2013

Les nouvelles aventures du Chat botté - Nancy Pena

Pena © 6 pieds sous terre 2006
Rappelez-vous, à la fin du Chat botté, le félin parvient à convaincre un ogre de se transformer en rat puis il l’avale et offre sa demeure à son maître sans le sou, lui permettant ainsi de devenir le marquis de Carabas. Au moment où commencent Les nouvelles aventures du Chat botté, ce dernier doit affronter une montagne bien décidée à lui faire la peau. La montagne est en effet persuadée que le rat dévoré par le chat était son fils (puisque c’est bien connu, les montagnes accouchent parfois d’une souris). Toujours aussi rusé, le chat met au point une stratégie imparable censée duper son ennemie avec l’aide de la souris Patience, mais les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu...

L’exercice est casse-gueule. Imaginer la suite de l’un des contes les plus célèbres de Charles Perrault, c’est prendre le risque de tricoter une intrigue plan-plan dont le final retombe comme un soufflé raté. L’autre danger, c’est d’utiliser le conte d’origine à minima et de n’en faire qu’un prétexte pour mettre en place sa propre histoire sans réellement se soucier du texte dont on s’inspire.  

Nancy Pena a su prendre le problème par le bon bout, avec sérieux et légèreté. Elle multiplie les références, ne se refuse aucune liberté narrative et plonge le lecteur dans une aventure revigorante en diable. De prime abord, ça peut paraître foutraque mais c’est en fait parfaitement maîtrisé. Les dialogues sont savoureux, les répliques fusent, les clins d'oeil à d'autres contes sont nombreux, les personnages n’hésitent pas à interpeller l’auteure qui doit parfois se fâcher pour garder la main sur son scénario et l’humour, tout en finesse, est très présent.

Graphiquement, c’est aussi fort moderne. Gaufrier, pleine page, double page, absence de cases, jeu sur les ellipses... le découpage est d’une grande inventivité. J’aime beaucoup par ailleurs le dessin tout en souplesse qui n’est pas sans rappeler celui de Thierry Martin sur son adaptation du Roman de Renart. Seul petit bémol, l’utilisation systématique du fond gris dans le troisième tome me parait moins pertinente que le blanc du premier volume.

Dommage par ailleurs que je n’ai pas pu récupérer le tome 2 (à priori épuisé chez l’éditeur), j’ai la désagréable impression qu’il me manque une pièce importante du puzzle. Il n’empêche que ces petits albums, dévorés d’une seule bouchée, m’ont fait passer un délicieux moment en compagnie du Chat botté et de la souris Patience.

Heureusement que Mo’ a braqué les projecteurs il y a peu sur cette série que je ne connaissais pas du tout. Une nouvelle belle découverte dont je lui suis redevable.

Les nouvelles aventures du Chat botté T1 : La montagne en marche, de Nancy Pena. Six pieds sous terre, 2006. 32 pages. 6 euros.
 Les nouvelles aventures du Chat botté T3 : Mortefauche, de Nancy Pena. Six pieds sous terre, 2012. 32 pages. 6 euros.


Pena © 6 pieds sous terre 2006




dimanche 24 mars 2013

Mon petit salon 2013


A vrai dire je n’avais pas spécialement prévu de faire un petit retour sur ma journée au salon du livre. Pas certain que ça passionne grand monde mais plus j’y repense et plus je me dis que c’était une bien belle journée alors autant vous la faire (un tout petit peu) partager.

Donc, en vrac, sans chronologie et sans hiérarchie, mon court séjour au SDL à consister entre autres à :

- Gagner des lunettes de soleil toutes pourries sur le stand de la SNCF
- Tomber nez à nez avec Manuel Valls et son armada de gardes du corps au détour d’une allée
- Apercevoir Marc Lévy, Jean Teulé, Luis Sepulveda, Jérôme Ferrari et Jean-Pierre Coffe
- Passer un excellent moment sur le stand Métailié
- Offrir avec plaisir une tarte au citron
- Assister à une conférence sur « La littérature dans tous ses ébats » avec la présence de Sylvia Day (Dévoile-moi) où les intervenants n’ont fait qu’enfoncer des portes ouvertes
- Se sauver dès la conférence suivante en voyant Amélie Nothomb monter sur scène pour parler de ses 20 ans de carrière
- Admirer Jean-Claude Denis (grand prix du festival d’Angoulême 2012) faisant une belle dédicace de son album Tous à Matha
- Voir Noukette se pâmer devant Laurent Gaudé
- Passer à coté d’une sculpturale ex-miss France en train de se pomponner avant un passage télé et ne pas la reconnaître (heureusement que l’on m’a soufflé à l’oreille que c’était Laurie ?)
- Se dire avec regret qu’il est déjà l’heure de rentrer et que, même si je suis sur les rotules, j’ai drôlement bien fait de venir.

Évidemment, en plus de tout cela, il y a eu quelques achats de livres, quelques discussions avec les auteurs et les éditeurs, la découverte de l’expo Titeuf, les fameux badges "Fifty Shades of Dewey" de Livres Hebdo et bien d’autres choses encore. Surtout, et c’est bien là l’essentiel, j’ai passé mes meilleurs moments de la journée en charmante compagnie et j’ai pu constater une fois de plus que les blogueuses sont des femmes d’une rare gentillesse (ou alors c’est parce que j’ai eu la chance de tomber sur les plus sympathiques d’entre elles^^). En tout cas Stephie, Moka, Noukette et Sara, merci à vous pour ce joli moment passé en votre compagnie. On remet ça quand vous voulez !

PS : je n’oublie pas Lucie et Les livres voyageurs (qui sévit sur FB), croisé rapidement mais qui m’ont l’air tout aussi charmantes que le quatuor cité ci-dessus.


Knockemstiff - Donald Ray Pollock

Pollock © Libretto 2013
Donald Ray Pollock m’avait littéralement troué le c.. l’an dernier avec son premier roman, Le diable toutle temps. Une énorme claque à laquelle je ne m’attendais pas du tout. A la fois totalement barré et parfaitement maîtrisé, dévastateur, sans aucune retenue. Pas un bouquin pour les petites natures, quoi.

A découvrir aujourd’hui ces nouvelles publiées avant le roman, je me dis que le bonhomme sait aussi y faire avec la forme courte. Ce que j’apprécie chez lui, c’est qu’il ne faut pas trois plombes avant de savoir où on met les pieds. Laissez-lui cinq lignes et il vous plante le décor de façon magistrale. Exemple avec la première phrase de la nouvelle intitulée Dynamite Hole : « Je descendais juste des Mitchell Flats avec trois pointes de flèches dans ma poche et un serpent copperhead mort qui me pendait autour du cou comme un châle de vieille bonne femme, quand j’ai surpris un gars nommé Truman Mackey en train de baiser sa petite sœur dans Dynamite Hole. »   

Bienvenue à Knockemstiff, Ohio. Le trou de balle de l’Amérique. Une population 100% blanche, désœuvrée, décérébrée, accro à toutes les sortes d’opiacées imaginables et qui vit dans des caravanes où des mobil-homes. On y croise un père ravi de voir son fils casser la gueule à un autre gamin sous ses yeux, une nièce qui joue les racoleuses pour sa tante et drogue le premier clampin venu afin que la tata ait un homme à poil dans son lit en se réveillant le matin ou encore une nana qui adore à ce point le poisson pané qu’elle en garde toujours quelques bâtonnets au fond de son sac à main. Tous ces gens vivent en vase clos. Impensable pour eux de sortir des limites du comté pour aller « découvrir le monde. » Et quand ils tentent leur chance c’est pour être pris en stop par un camionneur aux intentions pas très catholiques. Dix-huit nouvelles pour autant de cas totalement irrécupérables. Y a pas à dire, elle est pas jolie-jolie la vie au fin fond de l’Ohio !

Attention, cette prose au vitriol est dangereuse : ça pique, ça gratte, c’est hautement abrasif et furieusement décomplexé. Vous serez prévenu, lire une nouvelle de D. Ray Pollock, c’est un peu comme s’exfolier au papier de verre. Spéciale comme pratique mais perso, c’est tout ce que j’aime...

Un grand merci à Valérie qui m’a signalé que ce titre faisait partie de la sélection de la dernière opération Masse critique de Babelio. Sans elle je crois que je serais passé à coté et j’aurais vraiment raté quelque chose !

Knockemstiff, de Donald Ray Pollock. Libretto, 2013. 346 pages. 9,10 euros. 



vendredi 22 mars 2013

La nuit tombée - Antoine Choplin

Choplin © La fosse aux ours 2012
L’Ukraine. Tchernobyl. La catastrophe. Des vies brisées à jamais. Gouri arrive de Kiev avec sa moto et sa remorque. Il veut aller dans la zone interdite, à Pripiat, revoir une dernière fois l’appartement qu’il à dû quitter définitivement quelques jours après « l’incident ». Il souhaite récupérer un objet particulier qui, il en est persuadé, n’a pas pu intéresser les pillards. Avant de pénétrer dans la zone, il s’arrête chez  Iakov et Vera. Deux ans qu’il ne les a pas vus. Une halte bienvenue qui ravive les souvenirs. Le temps d’avant, celui où il faisait bon vivre dans cette campagne verdoyante. Iakov se meurt. Gouri le poète va l’aider à écrire une dernière lettre à sa femme : « On ne s’est jamais trop dit les choses avec Vera. C’est pour ça. Mais maintenant, c’est différent. J’aimerais bien écrire quelque chose de gentil pour elle. Tu comprends. Quelque chose qu’elle pourra lire quand je serai passé et que ça lui fera du bien de le lire. Qu’elle pourra même garder avec elle, si elle veut, comme ça dans la poche de son tablier pour se le relire de temps en temps et se souvenir de tout ça. Comme on s’aimait bien tous les deux. Voila, c’est ça que j’aimerais faire pour elle. »

Un livre prêté par Noukette. Pas à dire, elle sait quand un roman va me plaire. Après Les Demeurées, je lui suis donc redevable d’une nouvelle pépite avec La nuit tombée. Pour le coup elle n’était pas la seule à avoir adoré ce roman puisque je me rappelle de billets très élogieux chez Valérie et Hélène, entre autres. Quoi qu’il en soit, c’est un texte fait pour moi. Court, percutant, plein d’émotion retenue, sans un mot de trop. Antoine Choplin marche sur un fil et jamais il ne tombe du coté du larmoyant.

A Tchernobyl, au bord du chaos, l’humanité reste debout. Certains sont condamnés, d’autres savent que ce sera sans doute bientôt leur tour. Mais en attendant, la vie continue et il faut rester soudé. L’amitié, l’entraide, les moments passés ensemble autour d’une bouteille de Vodka, c’est ce qui donne du sens à ces existences en perpétuel sursis. Une belle réflexion également sur la difficulté à quitter de force la terre qui vous a vu naître et où vos enfants on grandi.  Impossible d’oublier ce monde aujourd’hui défunt, ravagé par l’apocalypse. Finalement, il n’y a rien de mieux que les mots et l’écriture pour garder à jamais une trace de nos souvenirs les plus doux.

Un texte magistral.

La nuit tombée d’Antoine Choplin. La fosse aux ours, 2012. 122 pages. 16 euros.

Les avis de Noukette, Valérie, Hélène, Kathel, Philisine Cave, Cristie, Marilyne.




Prix France Télévision 2012






jeudi 21 mars 2013

La Cendrillon du canal de Liu Xinwu

Je n’avais pas lu de littérature chinoise depuis presque deux ans et le recueil de nouvelles A bicyclette qui m’avait fortement déçu. Il a fallu un billet de Natiora présentant un ouvrage de Liu Xinwu pour que j’ai enfin envie de m’y remettre.

Pour tout vous avouer, j’ai commencé ce livre pendant l’accouchement de ma femme. Je savais que ça allait être long et que mon champ d’action serait relativement limité durant plusieurs heures alors j’avais prévu un peu d’occupation. Je n’ignore pas que le papa peut soutenir la future mère pendant le travail, qu’il peut l’aider à trouver les positions les plus confortables au moment des contractions et qu’il peut même lui faire un massage pour la soulager mais je ne m’en sentais pas capable (il faut dire que j’avais séché les cours sur la place des papas au moment de l'accouchement proposés par les sages femmes et que du coup je manquais sérieusement de références). Alors oui, pendant que ma femme souffrait le martyre dans une baignoire de la maternité, je lisais un livre. Du moins j’essayais parce qu’entre ses cris de douleur et les allées et venues incessantes du personnel médical, difficile de se concentrer (oui, je sais, je suis horrible, mais c’est la pure vérité, lynchez-moi sur la place publique si le cœur vous en dit, j’assume). Bref, j’ai dû tout reprendre à zéro la semaine dernière tant mes conditions de lecture lors de ma première tentative n’avaient pas été idéales…    

Deux nouvelles dans ce recueil. La première est celle que j’ai préférée. A Shanghai, on suit la jeune Caimei, défigurée par une horrible tumeur qu’elle ne peut soigner faute d’argent et qui va perdre son emploi de servante dans une famille cossue. Commencent pour elle des heures d’errance au cours desquelles elle croisera quelques personnages chaleureux cherchant à lui venir en aide. Une bien jolie réflexion sur la trajectoire de ces petites gens venus de la campagne pour faire fortune en ville et qui se retrouvent le plus souvent dans une misère noire et une promiscuité difficilement supportable : « Sanglots de gens de la campagne venus à la ville. Ces pleurs recelaient d’indicibles et d’innombrables souffrances, mélange de situations compliquées, de combats, de revers, de désarrois, de doutes, mêlés à d’infinies espérances… »  Avec comme petite note positive la solidarité et l’altruisme des personnes originaires de la même région.  

Le second texte se déroule à Pékin. Une femme reconnaît dans le chauffeur taxi qui l’amène à l’aéroport un homme qu’elle a follement aimé vingt ans plus tôt. Elle n’ose lui parler et se souvient avec nostalgie de leur première étreinte : « cela avait été beau, très beau, car tout était parti du cœur, tout avait été si harmonieux, une telle complicité les liait ; tout avait été parfait sur tous les points… Marée haute graduelle, ondes successives, déferlement de vagues, secousses telluriques, ébranlement céleste… Tout le monde n’a pas la chance d’avoir connu une telle première nuit… ». Mais les années ont passé et leurs chemins se sont séparés. Elle s’est mariée à un américain et est devenue riche alors qu'il est resté un homme du peuple. Le temps du trajet, elle se demande ce qu’elle serait devenue si elle était restée avec lui…

Deux portraits de femmes touchants, teinté d’une veine humaniste typique de la littérature chinoise. Voila en tout cas un auteur que j’aurais le plaisir de retrouver d’ici peu avec Poussière et sueur, un court roman qui vient tout juste d’atterrir sur ma pal. Merci Natiora !   

La Cendrillon du canal de Liu Xinwu. Folio, 2012. 115 pages. 2,00 euros. 

mercredi 20 mars 2013

Les dormants - Jonathan Munoz

Munoz © Cleopas 2013
Une BD qui met en scène un personnage en manque de sommeil, je ne pouvais pas passer à coté. Bon, lui est victime d’insomnies et moi d’un petit bout de bonne femme de 3,5 kg mais le résultat est le même. Quand l’histoire commence, notre héros est donc à la recherche de tranquillité. Des jours, peut-être des mois ou des années qu’il n’a pas dormi. L’origine de son mal lui est inconnue. Il faut dire qu’en plus il est amnésique… Bref, quand il débarque à Bouddumonde, il pense enfin avoir trouvé un havre de paix. Manque de bol, les autochtones n’aiment pas, mais alors pas du tout les étrangers. Résultat, l’insomniaque est arrêté et emprisonné sans raison par le shérif local. Il devra son salut à une étrange gamine qui endort instantanément toutes les personnes dont elle s’approche. Toutes les personnes sauf lui, forcément, puisqu’il ne dort jamais. Du pain béni pour la gamine. Enfin quelqu’un avec qui elle peut parler ! Ce drôle de duo s’installe dans une cabane perchée en haut d’une colline. La jeune fille tente de faire retrouver la mémoire à l'insomniaque, mais les souvenirs qui remontent peu à peu sont des plus douloureux… 

Quelle étrange atmosphère ! Déjà remarqué avec Un léger bruit dans le moteur, Jonathan Munoz récidive avec cet album pour le moins surprenant. La narration laisse planer un voile de mystère qui ne se dissipe qu’à la toute fin. C’est sombre, brumeux, parfois angoissant. Belle trouvaille que cette étrange localité appelée Bouddumonde dont les habitants ne sont pas sans rappeler les bouseux que l’on croise dans les romans américains se déroulant au fin fond du Texas ou de la Louisiane. Certains trouveront sans doute la fin un peu trop ouverte et manquant de clarté mais il me semble au contraire que cette « opacité » ouvre la porte à différentes interprétations, ce qui n’est pas pour me déplaire.

Le trait de Munoz est nerveux, parfois proche du crayonné. Le travail sur la couleur magnifie l’ambiance générale, les tons gris, bleu et ocre faisant peser une chape de plomb sur un décor privé la plupart du temps de luminosité.

Je suis ravi d’avoir découvert l’univers quelque peu torturé de ce jeune auteur. Et même si je conçois tout à fait qu'un tel album puisse laisser plus d’un lecteur de marbre, j’ai de mon coté grandement apprécié cette histoire que je qualifierais volontiers d’« envoutante ».

Les dormants de Jonathan Munoz. Cleopas, 2013. 102 pages. 19,85 euros. 



Munoz © Cleopas 2013









mardi 19 mars 2013

Automne - Jon McNaught

McNaught © Nobrow 2012
Deux « nouvelles graphiques » se déroulant dans la ville de Dockwood. Dans la première, un garçon prépare le repas et fait le service dans une maison de retraite, puis il rentre chez lui. Dans la seconde, un livreur de journaux effectue sa tournée. C’est l’automne, les feuilles tombent, la nature jette ses derniers feux.

Des gens simples, des situations parfaitement insignifiantes, quasiment aucun texte. Il ne se passe rien et c’est ça qui est bien. On prend ce que l’on veut, on imagine, on extrapole. Ou pas. Cet album est contemplatif mais surtout très descriptif. Il s’attarde et dissèque le moindre geste sur des bandes de 4 ou 5 cases. Un procédé répétitif mais qui donne un certain rythme à la narration.

J’aime qu’un auteur me prenne par la main et me lâche à l’entrée du grand bain en me disant : « Débrouille-toi, moi j’ai fait ma part du boulot. » Finalement il y a ce que lui a voulu dire et ce que nous avons envie de comprendre. Une forme de polysémie qui fait tout le sel d’un album comme celui-la. 

Bref, vous l’aurez compris, j’ai vraiment passé un bon moment avec les habitants de Dockwood et je remercie les trois tentatrices qui m’ont convaincu de l’intérêt de ce très joli objet-livre, Mango, Cristie et Mo’.

Automne de Jon McNaught. Nobrow, 2012. 56 pages. 18 euros.

Les avis de Mo' ; Cristie ; Mango



McNaught © Nobrow 2012




Prix de la révélation Angoulême 2013



lundi 18 mars 2013

Les lettres de l’ourse - Gauthier David et Marie Caudry

David et Caudry
© Autrement 2012
C’est bientôt l’hiver et l’oiseau est parti pour le Sud. Son amoureuse l’ourse ne pouvant vivre en son absence, elle décide de le rejoindre. Chaque jour elle lui écrit une lettre et lui raconte son voyage. Traverser une forêt et un désert, escalader un volcan, éviter des champs de bataille, faire de belles rencontres, etc. Un dernier périple sur la mer et l’ourse arrive enfin sur l’île de son bienaimé. Mais celui-ci, ne supportant pas lui non plus la séparation, est déjà reparti vers le nord...

Un album épistolaire et poétique. Quelles sont belles ces lettres d’amour envoyées par l’ourse ! Des missives pleines de tendresse et de bienveillance qui racontent les petits événements de la journée et se terminent par un mot gentil adressé à l’être aimé. Les illustrations sont riches et chatoyantes, très variées. Un album qui fait du bien, dans lequel on plonge avec délice et dont on ressort revigoré par tant de douceur et de bons sentiments.

Voila, c’était ma petite minute fleur bleue. Profitez-en, c’est pas tous les jours...

Les lettres de l’ourse de Gauthier David et Marie Caudry. Autrement, 2012. 48 pages. 14,50 euros. A partir de 5 ans.


David et Caudry © Autrement 2012



3ème participation aux lectures communes
du Prix sorcières 2013 proposées par Libfly (catégorie Albums)







samedi 16 mars 2013

La singulière tristesse du gâteau au citron - Aimee Bender

Bender © L'Olivier 2013
Encore une lecture sous influence. Sauf que cette fois-ci je me suis laissé influencer par les médias et non par des blogueuses. Erreur fatale…  Mis en vente le 14 février, ce roman a été épuisé le week-end de sa sortie suite à un article dithyrambique dans Elle et a une chronique enflammée dans l’émission Télématin. Le tirage initial de 6000 exemplaires n’a pas suffi à combler la demande et à peine un mois plus tard il a déjà été réimprimé deux fois. Un succès fulgurant donc, renforcé par un papier des Inrockuptibles intitulé : « Entre Harry Potter et Le sixième sens. » J’ai donc bêtement pensé que ce roman américain, malgré son titre à la con, devait être une vraie pépite. Pour le coup j’ai vite déchanté…   

L’histoire est celle de Rose Edelstein qui, le jour de ses neuf ans, découvre qu’elle peut ressentir avec une incroyable précision les sentiments des gens à travers les plats qu’ils cuisinent. En mordant dans la tarte au citron préparée pour son anniversaire, elle perçoit la tristesse et le vide existentiel qui habitent sa mère. Un vrai choc, qui va la perturber grandement au point de la pousser à se réfugier dans la nourriture purement industrielle pour ne plus rien ressentir. Ne pouvant malgré tout constamment refuser les plats « maison », elle parvient au fil des années à vivre avec son don et à contrôler les émotions que chaque repas suscite, même la fois où elle se rend compte en mangeant des pâtes que sa mère trompe son père. Mais Rose n’est pas la seule de la famille à posséder un pouvoir extraordinaire. Son frère peut de son coté se fondre dans les objets et disparaître subitement pendant des jours ou des semaines. Quand à son père, il possède un odorat surpuissant…  

Bon, avant de commencer à dire tout le mal que je pense de ce livre je voudrais juste revenir sur le titre de l’article des Inrockuptibles : pour comparer ce roman à Harry Potter il faut 1) ne pas l’avoir lu 2) être sous l’influence de substances hautement prohibées. Cela étant dit, pourquoi ce roman m’a ennuyé à mourir ? Sans doute parce que l’intrigue n’avance pas d’un pouce. Ça démarrait pourtant bien. Cette famille de « super héros » tout ce qu’il y a de plus ordinaires, ce don pour le moins original et le bouleversement qu’il apporte dans la vie de Rose, le frangin limite autiste, le père taciturne et la mère dépressive, c’est un cadre de départ alléchant. J’ai vraiment eu envie de me laisser prendre par la main pour découvrir comment les choses allaient évoluer. Le problème c’est que je me suis fait balader sur plus de 300 pages pour au final n’avoir rien à retenir de cette histoire. Plus j’avançais dans le roman et plus je me disais : bon ça devient un peu longuet mais ça va se décanter, il va se passer quelque chose. J’y ai cru jusqu’au bout mais finalement non, il ne s’est rien passé. Nada, le vide intersidéral. On traverse presque 15 ans de la vie de Rose pour constater que son existence n’a strictement aucun intérêt. En tout cas qu’il n’y avait vraiment pas de quoi en faire un roman.   

Bon, je ne suis pas complètement couillon (même si certaines semblent penser le contraire), j’ai bien compris que derrière le don de Rose l’auteur parle du passage à l’âge adulte, de l’apprivoisement de soi. A travers les émotions qu’elle ressent en mangeant, la jeune femme va peu à peu apprendre à savoir qui elle est. Ce contact avec l’extérieur, qui passe par la nourriture, est nécessaire à sa propre construction. Certes, c’est d’ailleurs plutôt finement analysé. Mais c’est loin d’être passionnant. Au final, il ne me restera qu’une désagréable impression. Rien de pire pour moi que de refermer un roman en me disant que j’ai perdu mon temps.
   
La singulière tristesse du gâteau au citron d’Aimee Bender. L’Olivier, 2013. 345 pages. 22,50 euros. 

L'avis beaucoup plus positif de Clara


vendredi 15 mars 2013

Le boxeur - Reinhard Kleist

Kleist © Casterman 2013
Né en 1925 à Belchatow, Hertzko Haft a 14 ans lorsque les allemands envahissent la Pologne. Parqué avec le reste de la population juive dans un ghetto de la ville, Hertzko est arrêté en 1941 et déporté dans les camps de travail de Poznan et Strzelin. En 1943 il est transféré à Auschwitz, puis au camp annexe de Jaworzno. C’est là que ses talents de boxeur sont remarqués par un officier SS qui le recrute afin de mettre sur pied des combats contre d’autres déportés. Un spectacle navrant dont le but est de distraire les gardiens du camp. Hertzko sait qu'il lui faut gagner pour éviter de mécontenter les soldats qui parient gros sur ses chances et ainsi préserver sa situation « privilégiée ». Au début de l’année 1945, alors que l’armée rouge se montre de plus en plus menaçante, les déportés entament plusieurs « marches de la mort » qui les déplacent de camp en camp. Hertzko y survit miraculeusement en s’échappant lors de la traversée d’une forêt.

La seconde partie de l’album dépeint l’arrivée d’Hertzel à New York après la libération. Rebaptisé Harry Haft, il y mènera une carrière de boxeur dans un premier temps prometteuse mais dont l’élan sera brisé en 1949 lors d’un combat perdu par k-o contre le futur champion du monde Rocky Marciano.
Ce roman graphique retrace un destin tragique où la devise « se battre pour survivre » prend tout son sens. Le boxeur n'est pas vraiment quelqu'un de touchant, il apparaît même assez antipathique. L'aspect fascinant de sa trajectoire tient en une question : comment cet homme a-t-il pu supporter la vie dans les camps ? Affecté aux crémations, au tri des effets volés aux déportés ou à l’extraction du charbon au fond d’une mine, Hertzko ne va jamais s’effondrer. Derrière son inébranlable instinct de survie, un seul rêve l’anime : revoir Leah Pablanski, son amour de jeunesse. C’est en pensant à cette jeune fille qu’il parvient à rester debout, sur le ring ou ailleurs. Il la retrouvera bien des années plus tard, en Floride, pour une dernière rencontre bouleversante…
Un album en noir et blanc où le trait vif et nerveux du dessinateur allemand fait merveille. Le gros reproche que je ferais concerne le format, trop petit pour magnifier la maîtrise graphique de Kleist. Beaucoup de cases semblent minuscules, écrasées, et donnent par moment au lecteur la désagréable impression de regarder cette histoire par le petit bout de la lorgnette.
Cette biographie est adaptée des mémoires de Haft, publiées en 2003 par son fils, associé à deux chercheurs américains. Il est précisé en postface qu’il peut y avoir quelques confusions sur les dates et que certaines scènes décrites par l’ancien déporté sont invérifiables mais la véracité de son parcours reste indiscutable. Le récit de ce père analphabète et violent aura entre autres permis au fils de mieux comprendre pourquoi son géniteur, souvent taciturne, pouvait entrer dans des colères terribles. En racontant son douloureux passé, Harry a pu faire la lumière sur des années d’incompréhension entre lui et les siens. C'est sans doute l'aspect le plus touchant de son témoignage.

Le boxeur de Reinhard Kleist. Casterman, 2013. 206 pages. 16 euros.

Une nouvelle lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Mo’

Kleist © Casterman 2013


jeudi 14 mars 2013

L’homme à l’envers - Fred Vargas

Vargas © J'ai Lu 2008
J’aime bien suivre les conseils de lecture glanés ici ou là sur les blogs, même quand à priori les livres dont on parle ne sont pas pour moi. Dernier exemple en date, Nos étoiles contraires de John Green. Avant il y avait eu Pêche en trouble de Carl Hiaasen qu’Hélène m’avait plus qu’encouragé à lire. Rendez-vous compte, un polar. Le genre de truc qui me fait fuir. Le pire, c’est que je m’étais régalé. Il y a peu, rebelote. C’est Véro cette fois-ci qui m’incitait fortement à redonner sa chance à Fred Vargas. On n’était pas partis sur de bons rails elle et moi. J’avais essayé L’homme aux cercles bleus et ça avait été la cata. Limite à me tomber des mains. Mais bon, on m’avait prévenu que ce n’était pas le meilleur. Le premier de la série en plus, donc il fallait lui accorder quelques circonstances atténuantes. Ok. Véro me conseillait plutôt L’homme à l’envers. Sûr qu’il allait me plaire d'après elle. Je lui ai dis banco, je veux bien tenter le coup. Verdict ? Pas mal, pas mal du tout même. Bien mieux que le premier en tout cas (en même temps c’était pas difficile).

Déjà, le thème me plait. Ça commence par des brebis que l’on retrouve égorgées au fin fond des Alpes maritimes. Normal, depuis que les loups ont été réintroduits dans le parc du Mercantour tout proche, ils provoquent de temps en temps de sérieux dégâts. Mais quand la bête s’en prend à une éleveuse du coin, la psychose gagne toute la région. La rumeur enfle  : y a qu’un loup-garou pour faire une horreur pareille. On a même un coupable tout désigné. Un gars solitaire qui vit dans une maison isolée. Glabre le gars, c’est un signe, ça veut dire que les poils sont à l’intérieur, tous les garous sont comme ça. Pour en avoir le cœur net, il faut l’attraper. Après « on le zigouillera, […] on lui ouvrira le bide depuis la gorge jusqu’aux couilles pour voir si les poils ils sont dedans. Il a déjà de la chance qu’on ne lui fasse pas vivant. » Mais depuis le meurtre de l’éleveuse, il s’est volatilisé, le gars…
Un polar tellement plus intéressant et plus rythmé que L’homme aux cercles bleus ! J’ai aimé cette espèce de road trip en bétaillère à la poursuite du garou. J’ai aimé les personnages atypiques et foncièrement attachants que sont Soliman et le Veilleux. J’ai aimé la touchante Camille, aussi déterminée que paumée. J’ai aimé le fait qu’Adamsberg intervienne si tard dans l’intrigue. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce commissaire flegmatique, improbable, très cérébral, ne m’inspire aucune empathie. Il aurait même tendance à m’agacer au plus haut point. Par contre, j’ai toujours beaucoup de mal avec  les dialogues. Encore une fois trop nombreux, trop travaillés pour paraître naturels. Mais l’impression d’ensemble est plus que positive, j’ai vraiment passé un bon moment de lecture, inutile de le nier. Merci Véro !

Bon, ça me fait maintenant trois polars lus au cours des trois premiers mois de l’année. Pour quelqu’un claironnant partout qu’il n’aime pas le genre, ça la fout mal, il serait temps de ralentir sacrément la cadence…

L’homme à l’envers de Fred Vargas. J’ai lu, 2008. 317 pages. 6,90 euros.


Grand prix du roman noir de Cognac 2000

mercredi 13 mars 2013

Kongo - Tom Tirabosco et Christian Perrissin

Tirabosco et Perrissin
© Futuropolis 2013
Printemps 1890. Teodor Jozef Konrad Korzeniowski (qui prendra plus tard le nom de plume de Joseph Conrad) est engagé comme officier de marine marchande par la Société Anonyme Belge pour le commerce du Haut-Congo. Quittant Bordeaux le 10 mai, il débarque dans le port de Boma courant juin. Il rallie ensuite Matadi. C’est de là qu’il part à pied avec une caravane de 31 hommes pour Kinshasa où l’attend le navire dont il doit prendre les commandes. Une marche harassante de 19 jours dans des conditions extrêmes. Un avant goût de l’enfer qui l’attend lors de la remontée du fleuve en bateau. Animosité de ses compagnons belges qui ne voient en lui qu’un étranger chargé de faire un rapport accablant sur la façon dont ils exploitent les richesses du pays, chaleur insupportable, promiscuité, maladie et fièvre, hostilité d’une partie des autochtones… un voyage terrible dont il sortira à jamais marqué et qui lui servira de matériau de base pour la rédaction de son roman Au cœur des ténèbres publié en 1899.  

Un récit très documenté sur les sept mois passés par Conrad en Afrique. Après sa somptueuse trilogie consacrée à Marta Jane Cannary, Christian Perrissin prouve une fois de plus qu’il est à l’aise avec la biographie. L’écrivain anglais d’origine polonaise part en Afrique par nécessité économique mais aussi parce qu’il garde un souvenir émerveillé de sa lecture des œuvres de l’explorateur Henry Morton Stanley (célèbre pour avoir retrouvé Livingston sur les rives du lac Tanganyika en 1872). Le problème c’est que la réalité qu’il découvre est loin de la volonté philanthropique défendue notamment par la presse belge de l’époque. Les sauvages ne sont pas forcément ceux que l’on croit. Les colons font preuve d’une cruauté abominable. Brutes sans scrupule cherchant à s’en mettre plein les poches, notamment grâce au commerce de l’ivoire, ils fouettent et assassinent avec une certaine délectation les noirs qu’ils recrutent dans les villages disséminés le long du fleuve. Point d’altruisme, juste l’exploitation inhumaine d’une main d’œuvre corvéable à merci. Une vision de cauchemar pour Conrad. On sent au fil des pages l’angoisse l’envahir devant la violence innommable qu’il découvre.

Les planches de Tom Tirabosco sont si évocatrices que l’on a parfois l’impression d’étouffer dans la moiteur de la forêt congolaise. Il lui aura fallu près de trois ans pour réaliser l’ensemble de l’album en utilisant la technique très particulière du monotype. Le résultat est tout simplement bluffant, charbonneux à souhait, totalement raccord avec l’inquiétude qui gagne l’écrivain au fil de son voyage.    

Un coup de projecteur sur une époque peu reluisante où, sous couvert d’émancipation, le colonialisme ne faisait qu’entretenir les immondes relents d’une forme de servitude supposée abolie depuis de nombreuses années. Un album d’une grande force qui souligne parfaitement le pessimisme sur la nature humaine qui caractérisera par la suite l’œuvre du romancier Conrad. Impressionnant !

Kongo de Tom Tirabosco et Christian Perrissin. Futuropolis, 2013. 175 pages. 24 euros. 


Tirabosco et Perrissin © Futuropolis 2013