dimanche 25 août 2013

Monde sans oiseaux - Karin Serres

C’est un village isolé au bord d’un lac. Un village sur roulettes où chaque maison peut être déplacée quand les eaux montent pour éviter l’inondation. Un village où les cochons sont fluorescents et savent nager. Au fond du lac repose une forêt de cercueils, ceux des habitants morts qu’on laisse glisser sous les flots sombres en guise d’enterrement. Dans ce village est née « Petite boîte d’os », la fille du pasteur. A l’adolescence, la gamine est en crise : «  Je ne les supporte plus, tous, leurs vies, nos vies ordonnées, régulières et policées. Je déteste notre joli village aux maisons multicolores, bien droites et propres au-dessus de leur joli reflet. Je hais les jours qui se succèdent, toujours les mêmes. Le temps passe, je grandis, mon destin se dessine au-dessus de l’eau plate, planche après planche, pas après pas : mariage, enfants, promenade, vaisselle… et je n’en veux pas. » Mais quand  le vieux Joseph réapparaît comme par enchantement, la donne change. Le vieux Joseph que la légende qualifie de cannibale et qui va devenir l’amour de sa vie.

Ce premier roman est magique. Une bulle hors du temps et des modes. Karin Serres vous prend par la main et vous emmène dans un univers étrange, à la fois improbable et tellement réel. Elle raconte une histoire d’amour et de mort(s),  la fin d’un monde. Sa prose au lyrisme contenu est ciselée, très musicale. On traverse avec délice l’existence de Petite boîte d’os, ses joies et ses peines. L’originalité tient dans le ton choisi, ce souffle de liberté que l’on ressent dans chaque phrase. Aucune timidité dans cette écriture qui allie poésie, sensualité et réalisme mais au contraire beaucoup d’audace. Forcément je suis fan.

Le texte est truffé de très beaux passages :
-  sur la mort (après une fausse couche) : « Je ne pense qu’à la mort. Elle est entrée en moi, elle y a tué quelque chose que je n’ai pas su protéger réparer, ressusciter, alors elle peut bien rester, me coloniser tout entière, je ne résisterai pas. Plus de force. Je suis une enveloppe vide, une cosse humaine qui parle, mange ou dort sans savoir pourquoi. »
- sur la douleur (au moment d’un accouchement) : « La douleur est peut-être un organisme vivant, invisible mais réel, qui habite à l’intérieur de notre corps. Parfois il se réveille, s’agite violemment, mais le reste du temps il dort. Du bout de ses tentacules, soudain, il appuie sur nos gencives, nos tympans, nos seins adolescents ou notre utérus comme là, maintenant, aaargh ! […] Mais que devient-il quand on meurt ? »

- sur la perte des êtres chers : « On ne sait jamais, la dernière fois qu’on voit les gens qu’on aime, que ce sera la dernière fois. »

Un grand premier roman, je pèse mes mots.

Monde sans oiseaux de Karin Serres. Stock, 2013. 106 pages. 12,50 euros.

Un lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Marilyne. Mon petit doigt me dit qu'elle a aussi beaucoup aimé.








42 commentaires:

  1. Après Maryline, tu en rajoutes une bonne couche, il est pour moi celui-là, je le sens.

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    1. Fais-toi plaisir, c'est un livre qui mérite que l'on se penche sur son cas.

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  2. Oui, au lyrisme contenu, cela fait toute la différence, sans occulter un réalisme prenant, concret, il y a l'eau, la terre, et une flamme. Et oui, j'ai ressenti aussi cette liberté sans avoir su l'exprimer.

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    1. On est à l'unisson par rapport à cette lecture, ça fait plaisir.

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  3. Ce passage sur la perte des êtres chers m'a émue aux larmes. j'ai beaucoup aimé ce premier roman qui est un bijou d'originalité et de sensibilité

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    1. Un bijou tu as raison. Hâte de découvrir ton avis.

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  4. Je suis passée à côté de cette lecture, je n'ai pas été sensible au charme du roman et ne suis pas rentrée dans cet univers particulier.

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    1. Je comprends que l'on puisse passer à coté de cet univers particulier. C'est tout ou rien avec un roman aussi original.

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  5. Ca a l'air magnifique, et ton article est très beau Jérôme.

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    1. Merci Marion, ton commentaire me fait très plaisir.

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  6. En effet les extraits sont magnifiques... Tu as aiguisé ma curiosité sur ce titre

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  7. Tu es convaincant mais il est très court ce roman.

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    1. Il est court et en plus son manque de "normalité" risque d'être rédhibitoire. Sincèrement je ne te le conseille pas.

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  8. je ne suis pas tout à fait sure d'aimer mais dès que ma bibliothèque va rouvrir je pense le trouver. Il est bien du genre à plaire.
    je ne saurais dire ce qui me retient "l'univers particulier" sans doute
    Luocine

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    1. C'est un peu à quitte ou double : envoûte ou totalement déçu...

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  9. Il devrait me plaire et tu donnes vraiment envie d'y regarder de plus près ! Je garde en tête pour un peu plus tard...

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  10. Contrairement à Luociné c'est justement "l'univers particulier" qui m'attire ...

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  11. C'est un vrai tir de barrage alors si vous vous y mettez à deux pour défendre ce livre! Ce tir groupé m'intrigue et j'ai noté ce beau roman!

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  12. Tu me fais noter deux titres à la suite (celui-ci et La lettre à Helga), t'as pas honte ? :)

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    1. Un peu mais en même temps ça n'arrive pas non plus tous les jours.

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  13. Cette Rentrée littéraire est enthousiasmante, non ?? J'ai craqué,je me le suis acheté aussi !

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    1. Celui-là est forcément pour toi, je ne vois pas comment tu aurais pu passer à coté.

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  14. Il me tente beaucoup et les passages choisis donnent vraiment envie.

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  15. Eh bien, deuxième billet, deuxième coup de coeur, bonnes pioches pour le moment ! :))

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    1. C'est bien la première fois que ça m'arrive mais je ne vais pas m'en plaindre.

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  16. Magique ? Ce matin, je n'arrête pas de noter !
    J'inscrits ce titre, mais je ne sais pas si je vais le lire cet automne. Les mots serrent le cœur.

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    1. Ils serrent le cœur mais ils sont tellement beaux.

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  17. Voilà un très beau billet tentateur et un roman qui a l'air bien joli .
    Je n'ai plus qu'à espérer que ma médiathèque en fasse l'acquisition.

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    1. S'il ne la font pas, il faudra leur suggérer. Pas question de passer à coté !

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  18. La première de couv est somptueuse.(tout comme le titre d'ailleurs)..je crois que tu as écrit le billet le plus élogieux sur ce livre, il me semble que d'autres blogueurs avaient été moins enthousiastes. Noté!
    Dis donc tu en as de la chance toi avec cette rentrée littéraire...

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    1. D'autres ont été moins enthousiastes tu as raison. Sur une vingtaine de titres de la rentrée littéraire, j'ai eu 3 coups de cœur. J'ai pas à me plaindre en effet ;)

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  19. Trop bizarre pour moi, je viens de l'abandonner en cours de route.

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    1. ça ne m'étonne pas, je pense que l'on peut vraiment rester très hermétique face à ce roman.

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  20. C'est aussi une pépite pour moi. Une vraie perle.

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