samedi 30 novembre 2013

Une part de ciel - Claudie Gallay

Quelques semaines avant Noël Carole retourne dans le Val de son enfance pour y attendre son père. Dans ce petit coin de montagne elle retrouve son frère Philippe et sa sœur cadette Gaby. Il y a aussi la Môme, la fille adoptive de Gaby, le vieux Sam, la Baronne et ses chiens, Jean, Marius, Diego, l’Oncle et la Veuve. Passant ses journées entre le gîte qu’elle a loué, le mobile home de sa sœur, le bar de Franky et le chenil de la baronne, Carole tente de tisser à nouveau les liens. Pas facile pour celle devenue depuis longtemps une citadine de renouer le dialogue avec les siens. Sans compter qu’au cœur de leur relation reste, comme une blessure impossible à refermer, la tragédie qui a marqué leur enfance. Mais peu à peu, la fratrie va se resserrer et la tendresse affleurer... 

Je les ai trouvés touchants ces gens simples et taiseux, un peu cabossés, qui attendent le père comme d’autres ont attendu Godot (l’absurde en moins). L’attente agit comme un processus nécessaire pour que chacun petit à petit se révèle aux autres. Dans cette vallée où les hommes sont parfois aussi sauvages et silencieux que la nature le temps semble s’être arrêté. Au final cette attente va leur ouvrir un vaste champ de possibles et leur offrir une part de ciel, l’espoir de « comprendre la teneur de ce trou béant qui avait fait [leur] différence ». 

J’ai aimé l’écriture très descriptive où chaque geste est précisé avec minutie. Du lavage d’un pot de miel vide à la préparation d’une pièce montée, rien n’est épargné au lecteur. Personnellement, j’apprécie ce parti pris « behavioriste » où l’auteur s’attarde davantage sur l’action que sur l’introspection psychologique. Cette dernière est présente mais reste discrète (tout le contraire du soporifique dernier Kasischke par exemple). Sans doute pour cela que j’ai parcouru ces quelques 400 pages sans lassitude même s’il y a quelques longueurs. 

Le découpage du texte est je trouve très cinématographique. Un enchaînement de chapitres qui sont autant de séquences et de scènes où les dialogues occupent une place importante et participent à leur manière à l’étude du comportement des individus sans avoir recours à cette introspection que je trouve tellement pénible.

Un roman d’atmosphère vers lequel j’hésitais à me tourner tant je craignais de m’ennuyer ferme. La surprise est donc belle, j’ai passé un excellent moment auprès de Carole et des habitants du Val. Pour tout vous dire je les ai quittés à regret, c’est un signe qui ne trompe pas.

Une part de ciel de Claudie Gallay. Actes Sud, 2013. 446 pages. 22 euros.

Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Enna et Galéa



16/20









vendredi 29 novembre 2013

La cuisine de Mamette - Nob

Mamette est une gourmande, c’est pas un scoop. Il suffit d’ailleurs de regarder sa silhouette pour comprendre que le régime ne fait pas partie de ses préoccupations. Alors quand Mamette propose ses recettes de cuisine fétiches, on se régale forcément.

Vingt-trois recettes en tout, extrêmement variées. Leur seul point commun est la simplicité : riz au lait, pain perdu, crêpes, œufs cocottes, tagliatelles à la carbonara, ratatouille, tarte à la tomate, clafouti aux cerises, boulettes de viande, velouté de courgettes, etc. En jetant un œil sur la liste complète en fin d’ouvrage on constate que le sucré prend largement le pas sur le salé (ce qui n’est pas surprenant quand on connait Mamette). Chaque recette est déroulée en quelques cases et semble tellement facile à réaliser, un jeu d’enfant ! Entre les recettes, quelques gags en une planche (avec une mention spéciale pour ceux montrant Mamette essayant d'apprendre la cuisine à la mère de Lou) et quelques belles illustrations pleine page comme on en trouve dans « Les souvenirs de Mamette. »  Il y a aussi des interludes plus pratiques  comme « les dix commandements de la cuisine », « les conseils pour bien digérer », « les ustensiles indispensables en cuisine » ou encore « les aliments indispensables à un pique-nique réussi ».

C’est toujours un plaisir de retrouver l’univers de Mamette, sa bonne humeur permanente, cette façon bien à elle d’affronter le quotidien en laissant la morosité loin derrière. Si vous ne connaissez pas cette succulente grand-mère (ce qui est une grave erreur), il vaut mieux ne pas commencer avec cet album. Il contient de nombreuses références à la série originale et à son spin off (« Les souvenirs ») qu’il sera difficile de saisir. Surtout, impossible d’apprécier à leur juste valeur les interventions des nombreux personnages secondaires qui entourent notre héroïne sans avoir lu les albums précédents. Mais si vous êtes comme moi un fan inconditionnel de cette reine des fourneaux vous pouvez foncer les yeux fermés, vous ne serez pas déçus par le menu qu’elle propose ici.


La cuisine de Mamette de Nob. Glénat, 2013. 96 pages. 14,95 euros.





jeudi 28 novembre 2013

Le grand livre de la bagarre - Davide Cali et Serge Bloch

La bagarre c’est un classique des cours de récré. Avec ce grand livre de la bagarre vous allez tout savoir sur cette activité « née avec les hommes ». A quoi elle sert, comment elle débute, quels sont les différents types de bagarre, combien faut-il être, combien de temps elle dure, quelles sont les phrases magiques pour y mettre fin, pourquoi les adultes posent des questions qui restent sans réponses à son propos, etc.

C’est très drôle, ludique, chaque affirmation sent le vécu à plein nez. On n’oublie pas le rôle de rabat-joie tenu par les parents et les enseignants, on n’oublie pas de dire que les filles aussi se bagarrent, on précise que la vraie bagarre est un jeu et que « si la raison de la bagarre c’est la haine, ce n’est plus du jeu. » Et puis on nous rappelle qu’après une bonne bagarre, les égratignures et les bosses s’exhibent comme des trophées pour épater les copains.  

Les illustrations de Serge Bloch (Max et Lili) sont simples et efficaces. Le coté « gribouillage » illustre à merveille l’aspect brouillon des pugilats enfantins. Forcément j’en entends déjà certains s’étrangler à la lecture de cet album, hurler à l’apologie de la violence alors que les brutalités se multiplient à l’école. Personnellement j’aurais envie de leur dire de regarder plus loin que le bout de leur nez. Il y a là une mise à distance salutaire et jubilatoire que les enfants sont tout à fait capables de comprendre. Il me semble que c’est au contraire un bon moyen de dédramatiser ces moments qui rythment, qu’on le veuille ou non, la vie d’une cour de récré.

Et puis bon on s'en fiche des pisse-froid qui ne vont pas aimer, moi j’ai adoré. C'est peut-être politiquement incorrect mais c’est surtout très bien réalisé et franchement rigolo. Tout pour plaire quoi.  

Le grand livre de la bagarre de Davide Cali et Serge Bloch. Sarbacane, 2013. 36 pages. 17,50 euros. A partir de 5-6 ans.


Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Leiloona. J'espère qu'elle a aimé sinon je boude.






mercredi 27 novembre 2013

Sumato - Renaud Dillies

Un chat et un lapin musiciens, une chanteuse envoutante accompagnée au piano par le chien Sonny. Un coup de foudre. Un accident de voiture. Une amitié indéfectible. De la tristesse, quelques notes de blues… il y a tout ça dans cet album. Les personnages sont pétris d’humanité, de fêlures, de rêves à la fois simples et inaccessibles… ou pas. Les petites gens frappés de plein fouet par des épreuves douloureuses et qui font face comme ils peuvent, ça n’a pas l’air de grand-chose mais chez moi (et chez beaucoup d’autres) ça fait tilt.

On pourra reprocher à Dillies de toujours parler des mêmes sujets mais personnellement c’est ce que j’apprécie le plus chez lui. L’amitié, la musique, l’amour, la souffrance, la mort, autant de thématiques qui font partie de son "identité" d’auteur. Il se dégage ici encore de l'ensemble beaucoup de poésie et une certaine forme de mélancolie qui, paradoxalement, met du baume au cœur.

Sumato est son second album (après Betty Blues). La narration alterne les phases de tension dramatique et d’autres plus calmes, notamment grâce aux illustrations pleine page qui offre au lecteur une respiration apaisante.

Des vies sur un fil, une histoire simple, belle et triste à pleurer, comme dirait Noukette qui a eu la gentillesse de me prêter cet album. Dillies reste décidément un des mes auteurs BD préférés.


Sumato de Renaud Dillies. Paquet, 2004. 78 pages. 15,50 euros.


Une lecture commune que j’ai une fois de plus le plaisir de partager avec Moka.

Les avis de Choco ; Noukette






mardi 26 novembre 2013

Un tag de Syl



Un award décerné par Syl ça ne se refuse pas. Onze questions, onze réponses, rien de plus. Allez zou, c’est parti :

1. Ta plus grande réussite ?
J’espère qu’elle est à venir mais j’en doute de plus en plus. Sinon bien sûr je ne suis pas peu fier des mes trois pépètes.

2. Ton livre préféré :
Définitivement « Les contes de la folie ordinaire » de Bukowski. Le livre fondateur de ma vie de lecteur.

3. Le pays qui t’a marqué ?
J’ai adoré découvrir Chypre. Les mosaïques antiques, le rocher d’Aphrodite à Paphos, la mont Troodos, les églises byzantines, etc. Et puis la gentillesse des chypriotes m’a beaucoup marqué.  

4. Ton rêve le plus fou ?
Alors là, c’est une question que je ne me suis jamais posé. Disons qu’à titre purement personnel, si je vieillis sans être embêté par des problèmes de santé  (ce qui est totalement illusoire) je serais le plus heureux des hommes. C’est léger comme rêve mais ça me va bien.

5. Raconte-nous la naissance de ton blog.
Le blog est né d’un constat : à force de lire et de ne trouver personne à qui parler de ces lectures dans mon entourage je me suis dit qu’il fallait élargir mon horizon. Et quoi de mieux qu'un blog ?

6. La personnalité que tu aimerais être :
Personne, absolument personne ne me fait rêver. Bon en fait si, il y a une femme pour laquelle j’ai toujours eu une admiration sans bornes : Louise Michel. Son parcours, sa vie, son engagement, ses convictions, tout me parle chez cette femme.

7. Le don que tu aimerais posséder :
Aucune idée. Il faudrait que ce soit quelque chose de totalement inutile parce que je n’ai pas envie d’un don qui me ferait jouer les héros (je suis bien trop timide pour ça^^). 

8. Quel est le plus gros défaut de la personne qui partage ta vie ?
Ouh là, elle en a une tripotée, comme tout le monde. Bon c’est une femme et son plus gros défaut, assez féminin je trouve, est l’impatience. Pour moi qui suis plutôt « no stress, prenons tout à la légère », c’est parfois difficile à supporter (mais elle pourrait dire la même chose, mon coté dilettante l’exaspère grandement).

9. Light ou pas light ? Bio ou pas bio ?
Je ne me pose pas là question, il faut juste que ce que je mange ait du goût. Et puis le light et le bio le sont-il toujours réellement ?

10. La it-pièce de ton armoire ?
Euh, comment dire… je ne fais absolument pas attention à ce qui se trouve dans mon armoire. Du moment que j’ai un jean, une chemise ou un pull à enfiler, c’est le principal. Il y a juste un bonnet noir qui me donnait bien chaud aux oreilles et que j’aimais beaucoup mais il me faisait ressembler à un schtroumpf. Ma femme l’a mis à la poubelle sans me demander mon avis et depuis je n’ai plus de bonnet. Bon j’ai vu à la sortie du collège de ma fille que le bonnet à pompon était la grande mode du moment, je sens que je ne vais pas tarder à investir.  

11. Combien de temps passes-tu devant ton écran ?
C’est variable mais en gros une petite heure le matin si je me lève avant tout le monde, une grosse heure le midi pendant ma pause et puis une autre heure le soir. Pour le boulot c’est presque toute la journée.





lundi 25 novembre 2013

Méduses - Valentine Goby

« L'appareil photo autour du cou, je les regarde errer derrière la cataracte qui voile leurs cerveaux. Douze ans, parfois moins, ils ont l'œil vitreux des vieux, ils ont vécu, c'est-à-dire assez souffert, ne veulent plus voir ni être vus. Autour de leurs bouches les sacs plastiques gonflent, rond, laiteux dans la lumière des phares, les halos des lampadaires, puis se rétractent, vides, réduits à une peau qu'un coup d'ongle suffirait à percer comme les mauvais préservatifs qu'on leur glisse dans la main, une fois la pochette déchirée d'un coup de dents et recrachée par terre, pour qu'ils la déroulent sur le sexe en érection d'un homme dont ils ont déjà oublié le visage, passant, chauffeur de taxi, client d'un hôtel, d'ici ou d'ailleurs un sexe en latex couleur blanc d'œuf, et eux ce plastique blanc d'œuf collé au visage. »

Manille. Les enfants des rues. La colle comme seule échappatoire. Les sacs dans lesquels ils respirent les vapeurs de benzène et d’acétone ressemblent à une méduse collée à leurs lèvres. « Et quand l’effet s’estompe, leur cerveau se disloque et leur corps se déchire, à l’intérieur, poumons, estomac, bronches, muscles, réseaux de nerfs à vif lentement sciés par le poison. » Ils ne leur reste que peu de temps mais en attendant « ils vivent, et n’imaginez pas que le mot sonne faux, monstrueux, car ils vivent, dans cette petite mort leur cœur bat fort, ils ne se jettent pas sous les roues des voitures, ne se laissent pas couler dans l’eau noire du port, ne sautent pas des remparts de la vieille ville pour s’écraser quinze mètres plus bas [...] Ils effacent le monde, ils sont plus forts que lui ; le sac de colle bouffe le réel, le réel c’est quand ils veulent. Ils décident. Ils sont vivants. »

En à peine 40 pages Valentine Goby déroule quelques instantanés saisissants. Autant de photographies qui vous sautent à la gorge. Toujours sans misérabilisme, sans pathos malvenu. Les enfants de Manille prennent forme et vous serrent les tripes. L’image de la fillette de huit ans jouant avec une poupée le nez collé à son sac va me poursuivre longtemps. Peut-être parce que j’ai moi-même une fille de huit ans à la maison mais ça va au-delà de mes petites considérations personnelles. Parce l’auteure de Kinderzimmer a su mettre en mots l’innommable et que c’est une fois encore un petit miracle d’écriture.



Méduses de Valentine Goby (dessins de FX Goby). Éditions Jérôme Million, 2010. 40 pages. 7,10 euros.


samedi 23 novembre 2013

Vanilla Ride - Joe R. Lansdale

Envie de faire une pause dans la rentrée littéraire et de replonger dans la littérature américaine bien grasse que j’aime tant. Celle qui ne prend pas de gant, qui met en scène quelques rednecks incontrôlables et bien barrés jurant comme des charretiers. Toujours drôle, vulgaire, sans fioriture et dans une forme d’outrance qui, si on l’accepte, est jubilatoire.

Je vous le concède, cette couverture est digne d’un SAS. Mais Joe R. Lansdale ne boxe pas du tout dans la même catégorie que feu Gérard de Villiers et c’est tant mieux. Et puis cette édition grand format est aujourd’hui épuisée et le roman a été réédité en Folio avec une couverture un poil moins « aguichante » (quoique).

Bon je suis un fan absolu de Leonard et Hap, l’irrésistible duo de Joe R. Lansdale mais je ne vais pas vous la faire à l’envers et je vais reconnaître que ce roman est le moins convaincant de la série. Le scénario tient sur un post-it et les deux loustics ne m’ont pas semblé aussi pétaradants que d’habitude. Alors si vous voulez découvrir la verve de Lansdale, je vous conseille de commencer avec "L’arbre à bouteilles" et "Le mambo des deux ours". Vous y découvrirez deux drôles de zigotos vivant au fin fond de l’East Texas. Hap le blanc hétéro qui joue à chaque fois le rôle du narrateur et Léonard, son meilleur pote, noir et homosexuel dans une région du sud profond où les mentalités n’ont guère évolué depuis la guerre de sécession. Ces deux-là ont le chic pour s’embarquer dans des galères pas possible dont ils se sortent à chaque fois miraculeusement. Ce sont  aussi de sacrés bagarreurs qui n’hésitent pas à utiliser des armes à feu quand le besoin s’en fait sentir.

Ici, ils vont faire face à la Dixie Mafia, une organisation criminelle raciste qui gère d’une main de fer un juteux trafic de drogue. Grosses bastons, crânes explosés à coup de fusil et blagues potaches rythment le récit. Une mécanique bien huilée où les dialogues sont toujours aussi savoureux. Pourtant, il manque un petit quelque chose, j’ai ressenti une légère impression de déjà-vu, de ronronnement dont aucune véritable surprise n’émerge. Je me suis bien marré, je ne vais pas le nier et la langue imagée de Joe R. Lansdale déménage toujours autant mais il y a une évidente baisse de régime sur ce titre. Pas grave, je retenterai ma chance avec " Diable rouge ", le dernier opus de la série sorti cette année et qui vient tout juste de rejoindre ma pal.

Vanilla Ride de Joe R. Lansdale. Outside, 2010. 280 pages. 19,90 euros.

Extraits

« Cette piste est aussi froide que la chatte d’un cadavre de bonne sœur. »

« Ce shérif du dimanche se la jouait gros dur et donnait l’impression de pouvoir se servir du trou du cul d’un éléphant comme placard à chaussures tout en s’arrangeant pour que l’éléphant aime ça. »

« Le connard s’évanouit encore plus vite qu’un octogénaire asthmatique en train de baiser un mouton dans une grange poussiéreuse en plein cagnard. »

« Je me retrouvai dans une cellule mal éclairée en compagnie d’un type trapu aux cheveux gras et aux muscles couverts de tatouages. Sa façon de me regarder me donnait l’impression d’être une côtelette de porc avec un anus. »



vendredi 22 novembre 2013

Le journal d’Edward, hamster nihiliste (1990-1990) - Miriam et Ezra Ilia

« Roue – Graines – Eau. N’y a-t-il donc rien d’autre ? »

Edward le hamster est un philosophe. Il écrit son journal et ne cesse de s’interroger : « A quoi bon écrire ? La vie est une cage de mots vides. » Edward est un rebelle, il refuse de tenir le rôle de jouet auquel ses propriétaires le confine : « Leur but est de venir à bout de ma volonté, de me réduire à néant. Ils peuvent bien me priver de ma liberté, ils n’auront jamais mon âme. » C’est beau, non ? On dirait du Florent Pagny. Edward va donc entrer en résistance. Dans un premier temps, il décide de ne plus faire de roue : « Réflexions sur une roue : Ça tourne. Ça ne sert à rien. Ça grince. Je n’en ferai plus. » Puis il se lance dans une grève de la faim mais ne tient que cinq minutes avant de remettre le nez dans ses graines.

Un jour on lui amène un congénère, Lou. Edward pense enfin avoir trouvé un interlocuteur avec lequel il va pouvoir disserter mais il doit se rendre à l’évidence, Lou est totalement abruti : « J’ai tenté de l’entraîner dans un débat sur la nature de notre captivité, la vacuité de l’existence et notre irrationnelle envie de vivre. Il a émis un rot, ri et déféqué dans le bac à foin. Il est soit fêlé, soit profondément stupide. Je suis anéanti. » Lou passe son temps à faire de la roue et à s’empiffrer. Heureusement, une indigestion va le rayer de la carte. On le remplace par la jolie Camilla. Une femelle un brin intello qui va lui faire tourner la tête et lui redonner le moral. Le 25 octobre, Edward note dans son journal : « Ai fait l’amour. » On pense alors qu’un gentil happy end se profile. Las, le destin va frapper et laisser notre hamster désemparé et désespéré...

Attention, malgré les apparences, cet ouvrage ne relève pas de la littérature jeunesse. A l’origine Le journal d’Edward était une série radiophonique réalisée pour la BBC. Un truc bien barré comme les anglais savent faire. Miriam Elia a tiré de la série cet étrange livre illustré par son frère. Tous deux se sont inspirés d’un hamster mélancolique acheté par leurs parents quand ils étaient enfants. Miriam s’est glissée dans la peau de l’animal (enfin dans sa tête surtout) pour rédiger son journal intime. Edward est aussi lucide que neurasthénique mais comment ne pas l’être quand votre quotidien n’est fait que de banalité et d’ennui, quand votre environnement se résume à une cage, une roue et une mangeoire. Il y a là une évidente et effrayante parabole sur la condition humaine.

Un petit livre ovni, drôle mais pas que, qui laisse en bouche une impression douce-amère et, l’air de rien, pousse à la réflexion. En tout cas plus jamais je ne regarderai les hamsters de la même façon.

Le journal d’Edward, hamster nihiliste (1990-1990) de Miriam et Ezra Ilia. Flammarion, 2013. 92 pages. 8,90 euros.




jeudi 21 novembre 2013

Zita, la fille de l’espace T1 - Ben Hatke

Propulsée un peu par hasard de l’autre coté de la galaxie, Zita veut à tout prix retrouver son copain Joseph, enlevé par une immonde bestiole aux redoutables tentacules. Débarquant sur une planète inconnue menacée de collision avec un astéroïde, la jeune fille va faire d’étranges rencontres et se lancer dans un périple qui l’amènera au cœur des inquiétantes « Terres de Rouille ».

Avec le premier tome de cette série, Ben Hatke fait découvrir aux enfants la SF et le space-opera. Il crée un univers foisonnant dont l’étonnant bestiaire se révèle plus amusant qu’effrayant. Zita est une gamine intrépide qui va devoir faire face à nombre d’épreuves. Heureusement, elle pourra compter sur l’amitié et la solidarité du petit groupe de personnages qui l’accompagnera au fil de son voyage. Gros costaud, n°1, Pipeau, Mulot et Randy le robot feront tout pour lui venir en aide, même si certains cachent bien leur jeu…

Niveau dessin le trait, simple et nerveux, est au service d’un découpage laissant une place prépondérante aux scènes d’action. Les événements s’enchaînent sans temps mort et le texte peu abondant fait que l’on engloutit les 180 pages en un clin d’œil. Seul bémol, les couleurs sont ternes et rendent les décors un peu tristounets.

Je ne crierai pas au génie mais cet album propose une vraie lecture détente et permettra d’initier nombre de jeunes lecteurs à un genre qu’ils n’ont pas souvent l’occasion de fréquenter. Et puis voir une petite fille qui n’a pas froid aux yeux jouer les aventurières et venir au secours de son copain, l’air de rien, ce n’est pas une situation si courante dans la BD jeunesse actuelle. Personnellement, c’est une  inversion des rôles qui me plait beaucoup.

Une nouvelle lecture commune que je partage avec Noukette (oui, je sais, comme hier, et alors ?).


Zita, la fille de l’espace T1 de Ben Hatke. Rue de Sèvres, 2013. 186 pages. 11,50 euros. A partir de 8 ans.



Les avis de Leiloona, Nadael et Stephie







mercredi 20 novembre 2013

Come Prima - Alfred

1958, quelque part en France. Giovanni a retrouvé son grand frère Fabio. Dix ans qu’ils ne s’étaient pas vus. Il n’est pas venu seul, leur père est avec lui. Dans une urne. Son décès a convaincu Giovanni qu’il était temps de renouer les liens. Il propose à Fabio de repartir dans leur village natal en Italie pour les funérailles. Un voyage de quelques jours sur les routes franco-italiennes, en Fiat 500. En chemin le dialogue s’instaure peu à peu. Beaucoup de silences au départ, pas mal de frustration aussi. Un soupçon d’agressivité fait rapidement surface et précède l’inévitable moment où il faudra crever l’abcès. Malgré bien des écueils, des déboires et des engueulades, ce road trip mouvementé amènera les frangins vers l’apaisement.

L’incompréhension, les malentendus, les non-dits, l’amertume laissée par des événements que l’on pense enfouis profondément mais qui ne cessent de nous accompagner tout au long de notre existence… le cadre de départ est classique (secrets de famille, rancœur et Cie) mais la façon dont Alfred déroule son histoire donne à l’ensemble une force et une émotion remarquables.

La narration est parfaitement maîtrisée. On suit au présent le périple des deux frères vers l’Italie tandis que viennent s’insérer ici et là des flashbacks surgissant comme autant de morceaux d’un puzzle que le lecteur va peu à peu reconstruire. Graphiquement, les deux temps de la narration sont traités différemment. Le présent d’une manière classique et le passé avec des traits plus simples et plus épais dominés par des tons bleus et rouges.

Une histoire d’hommes, avec toutes leurs faiblesses, leurs fêlures. Contrairement aux précédents albums d’Alfred et malgré les apparences, celui-ci est empreint d’optimisme. Comme si le chemin tortueux ayant mené Giovanni et Fabio vers la réconciliation ne pouvait que se terminer sur une note positive. Un one shot somptueux.

Come Prima d’Alfred. Delcourt, 2013. 224 pages. 25,50 euros.

Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.

L'avis de Mo'.




mardi 19 novembre 2013

Coucou : le grand cache-cache des animaux d’Édouard Manceau

Édouard Manceau est un de mes illustrateurs préférés. Il y a dix ans sa souris Capucine faisait partie des premières découvertes livresques de pépette n°1. J’aime la poésie, la sobriété, l’humour de ses textes et j’adore la simplicité de son dessin.

Ici, avec un minimum de manipulations, les enfants transforment un objet en animal. Quelques éléments à bouger sur la page et le tour est joué. C’est franchement très bien fait et surtout très varié. Difficile d’imaginer transformer une montgolfière en lapin, une bouilloire en éléphant, une fusée en pingouin, ou une fleur en lion. Et bien c’est possible en quelques tours de main. En face de chaque illustration se trouve un texte drôle et enlevé qui évite de cantonner cet ouvrage au simple livre-jeu.

Un superbe album grand format au cartonnage épais qui ravira d’ici quelques temps pépette n°3. En attendant, ses grandes sœurs, qui ont pourtant passé l’âge, s’amusent comme des petites folles. Bon, j’avoue, leur papa aussi. Mais je ne vous avouerais pas que j’ai eu beaucoup de mal à recréer la bouilloire après en avoir fait un lapin. Heureusement qu’à la dernière page on retrouve tous les modèles et leur transformation…

Coucou : le grand cache-cache des animaux d’Édouard Manceau. Tourbillon, 2013. 18 pages. 13,95 euros. A partir de 3 ans.




dimanche 17 novembre 2013

Les faibles et les forts - Judith Perrignon

« Negro are pushing too far !! […] Un travail ! Une place dans le bus ! Ou au restaurant ! C’est déjà leur faire grand honneur ! Mais dans l’eau ! Dans nos vestiaires ! A poil ! Leur peau ! Leurs microbes ! Veulent pas coucher avec nos femmes pendant qu’on y est ? »

St Louis, juin 1949. Un adjoint au maire déclare : « Légalement, rien n’empêche un noir qui veut nager d’entrer dans une piscine. » Le lendemain des noirs ont accès pour la première fois aux bassins municipaux. Un « événement » qui va déclencher la colère d’une partie de la population blanche et engendrer des émeutes urbaines. Le maire de St Louis déclarera quelques temps plus tard que cette décision d’accepter les noirs dans les piscines était légalement juste mais inapplicable.

Louisiane, août 2010.  Six adolescents se noient dans une rivière. Six adolescents noirs. Aux États-Unis, 60% des enfants afro-américains ne savent pas nager. L’héritage de l’esclavage, de la ségrégation et de la pauvreté a inconsciemment poussé les noirs à intérioriser l’idée que l’eau n’était pas faite pour eux. Ce constat sonne pour Mary Lee comme une douloureuse évidence. Elle a assisté aux émeutes de 1949 et elle est la grand-mère de trois des noyés. Présente le jour du drame au bord de la rivière, elle n’oubliera jamais : « Je suis entrée dans l’eau. Vos cris, les enfants. Vos lèvres cherchant l’air, vos mains tendues vers le ciel. J’ai avancé. J’ai marché dans l’eau, avec vous. Je ne pouvais rien, je le savais, j’allais avec vous. Il y a toujours un fleuve qui sépare les vivants des morts, c’était celui-là, la rivière rouge, le moment était venu pour moi de le traverser. »

Un texte puissant, habilement construit. La voix de chacun des protagonistes résonne avec force, et vous serre les tripes. Les temps ont changé, parait-il, mais dans l’Amérique d’Obama, certaines barrières ne sont pas prêtes de tomber. La démonstration faite par Judith Perrignon en est la preuve limpide.


Les faibles et les forts de Judith Perrignon. Stock, 2013. 156 pages. 16 euros.

Un grand merci à Sylire dont le billet m’a donné en vie de découvrir ce texte. Son avis. Ceux d'In Cold Blog de Luocine et de Clara.





samedi 16 novembre 2013

Quatre ans, quatre gagnant(e)s

C’est peu de dire que j’ai été surpris par les nombreux témoignages laissés suite à mon billet anniversaire. Je vous adresse donc un énorme merci, vous n’imaginez pas à quel point vos petits mots gentils m’ont touché. L’an dernier j’avais glissé 26 noms dans le chapeau. Cette année j’en ai mis 72 !  Allez, point de suspens, roulement de tambour et en route pour le tirage au sort.


La première à sortir du chapeau fut :

Leiloona

En second :

Yueyin

La troisième gagnante :

Mirontaine

Et enfin la dernière :

Laurie

Quatre femmes, donc. En même temps vous étiez très majoritaires mesdames. Comme convenu, vous choisissez parmi les livres présentés ici cette année celui que vous souhaitez recevoir. Prenez tout votre temps, rien ne presse. En cas de rupture chez l'éditeur ou de difficulté à récupérer un exemplaire, je vous préviendrais afin que vous sélectionniez un autre titre. Pour me signifier votre choix et me donner votre adresse, il suffit de passer par le formulaire de contact.

Encore merci à tous d'avoir participé, j’en profite pour vous annoncer qu’il devrait y avoir quelques livres à gagner par ici avant Noël...   






vendredi 15 novembre 2013

Fun Home - Alison Bechdel

Un abandon. Le genre de truc qui ne m’arrive jamais avec la BD mais là, pas moyen. J’avais emprunté cet album à la médiathèque pour accompagner Mo’ dans une lecture commune.  En même temps c’est encore de l’autobiographie dessinée, comme Quatre yeux qui m’était tombé des mains il y a peu. J’aurais dû me douter.

Premier chapitre, je suis surpris par la gravité du ton. On n’est pas là pour rigoler, Alison Bechdel donne dans l’autobio sérieuse (qui a dit chiante ?), sa vie est loin d’être une comédie. Elle décrit avec force détails sa relation complexe au père, un homme qui soumet les siens à une effroyable dictature esthétique et transforme le manoir familial en reproduction à l’identique d’une maison gothique du 19ème siècle. Un papa à la fois distant et très proche, qui mourra à 44 ans, écrasé par un camion et dont on ne saura jamais si la disparition relève de l’accident ou du suicide. Puis elle revient sur son entrée à la fac, la découverte de son homosexualité, qu’elle qualifie d’abord de « purement théorique ». Suivront quelques pages sur son passage aux travaux pratiques avec Joan, une poétesse féministe « pro-matriarcat ». La suite, je ne sais pas parce que j’en suis resté là.

Pas moyen d’accrocher à cette écriture boursouflée, faussement littéraire, et à cette narration confuse. Alison Bechdel cite Fitzgerald, Camus, ou Joyce, elle en fait des caisses autour de son « éducation livresque » et accouche au final d’un texte aussi intello qu’imbuvable, froid et prétentieux. Quand je lis une phrase telle que « Sans doute ma froide distance esthétique traduit-elle, mieux que n’importe quelle comparaison littéraire, le climat arctique de notre famille » j’ai envie de me sauver en courant. C’est ce que j’ai fait d’ailleurs.

Graphiquement, le dessin est passe-partout, sans aucun charme. Les cases sont petites, assez surchargées et presque toujours surmontées de récitatifs donnant l’impression de peser de tout leur poids sur l’image, comme s’il était nécessaire d’alourdir encore le propos.

Un album qui relève pour moi de la branlette intellectuelle. Et je ne suis vraiment pas adepte du genre. Pour Time Magazine c’est une « brillantissime autobiographie en bande dessinée. » La presse américaine dans son ensemble a crié au génie et a comparé Fun Home au Maus de Spiegelman (ne me dites pas que c’est vrai sinon jamais je n’ouvrirai Maus !). Pour nombre de critiques professionnels, c’est un chef d’œuvre. Pour moi simple lecteur lambda, c’est une BD somnifère et pompeuse. Je veux bien être traité d’indécrottable ignare incapable de reconnaître une éblouissante œuvre d’art mais je n'en démordrais pas, je trouve ça très mauvais.

Fun Home d’Alison Bechdel. Denoël  Graphic, 2013. 236 pages. 24 euros. La première édition en français date de 2006 (c’est celle que j’ai eu entre les mains). 

Bon je ne suis pas mécontent de constater qu’In Cold Blog (une référence pour moi) n’a pas lui non plus été convaincu. Évidemment il le dit bien mieux que je ne le fais. (Son avis)
De son coté Mango a adoré (je ne lui veux pas pour autant^^). Et Mo’, elle en a pensé quoi ?

L'avis de Marguerite



jeudi 14 novembre 2013

Niak - Carl Hiaasen

Pour ses fans, Derek Blair n'est pas que l’animateur vedette de l’émission Expédition Survie, c'est un héros. Son credo : être lâché en milieu hostile avec un couteau suisse et une paille, le tout sous l’œil des caméras. Le bonhomme parvient toujours à s’en sortir, n’hésitant pas à bouffer tout cru la première bestiole qui lui tombe sous la main. En réalité, l’émission est une arnaque totale, le pseudo-aventurier n’affronte que des animaux dressés et inoffensifs et il termine chaque jour de tournage dans un hôtel luxueux. Pour le prochain numéro devant être tourné dans les marais de Floride au milieu des crocodiles, la production fait appel à Mickey Cray et à son fils Wahoo dont la ménagerie regorge de sauriens et de reptiles que Derek va pouvoir affronter en toute sécurité. Seulement le bonhomme possède un ego surdimensionné et il décide que cette fois-ci il va se frotter à des bêtes sauvages au cœur des Everglades. Wahoo et son père sont alors engagés pour assurer la sécurité de Derek et le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils vont ne pas être au bout de leur peine…

On est dans un roman jeunesse alors forcément Hiaasen ne lâche pas les chevaux comme il peut le faire quand il s’adresse aux adultes. Il n’empêche que l’air de rien, il balance pas mal. Sur la téléralité bien sûr, sur ces émissions où l’aventure semble régner en maître mais qui sont en fait bidonnées à 100%. Il taille un costard XXL à la star du programme mais aussi à son assistante, au producteur et même au public qui gobe tout ça sans jamais se poser la moindre question. Entre deux il vous parle d’enfance maltraitée, de pauvreté, de parents alcooliques et violents, de ces Américains sans toit qui vivent dans des camping car et squattent les parkings des supermarchés. Et puis il y a la Floride qui lui est si chère et dont il défend farouchement les espaces naturelles et sauvages de plus en plus menacés. Au final on apprend pas mal de choses intéressantes sur la faune et la flore des Everglades. Bref, ça a beau être de la littérature jeunesse, ça reste engagé et sans concession.

Et pour ce qui est de l’humour, l’auteur de Pêche en trouble est toujours au sommet. Il a l’art de croquer des personnages aussi ridicules que crédibles. Ici son Derek Blair est un abruti de première dont il se moque (et nous avec) sans fioriture. Mais « Mr Blaireau » n’est pas le seul à en prendre pour son grade et chacun, à un moment ou un autre, a droit à quelques lignes dont il ne ressort pas grandi.

Un roman jeunesse intelligent, pêchu et drôle, ça ne court pas les rues. A dévorer dès 11-12 ans.

Niak de Carl Hiaasen. Gallimerd jeunesse, 2013. 295 pages. 13,50 euros.


Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Hélène

mercredi 13 novembre 2013

Ma révérence - Lupano et Rodguen

Quand la lecture de « Crime et Châtiments » déclenche une idée de braquage, ça pourrait donner quelque chose de flamboyant. Malheureusement, si le braqueur est aussi rompu à la grande délinquance qu’un footballeur professionnel aux arts lyriques, le résultat ne peut qu’être catastrophique. Pourtant Vincent est persuadé que son plan est imparable. Il veut faire un braquage social, non violent et altruiste. De l’atypique, du jamais vu. Un coup d’éclat avant de tirer sa révérence et de partir pour l’Afrique où l’attend la belle Rana et son fils. Problème, il a dégoté en Gaby un acolyte alcoolique et pas fiable pour deux ronds, encore plus bras cassé que lui. Un gars jamais sorti des années cinquante, gominé à la Dick Rivers, raciste, homophobe et qui a le « Gabriel » de Johnny comme sonnerie de portable. Forcément ça ne va pas le faire, forcément, le fiasco est proche, forcément, leur révérence, ils vont la tirer la queue entre les jambes…

Une lecture que je dois à Noukette. Son billet enthousiaste m’avait convaincu que cet album était fait pour moi. Parce que j’ai un gros faible pour les losers et que Vincent et Gabriel sont des spécimens rares dans leur genre. Des losers mais pas que. Ce sont des gars finalement très humains, cabossés et sacrément paumés. Vincent surtout m’a beaucoup touché. Un peu fragile, un peu lâche, un peu rêveur, très amoureux, très poissard, pas du tout sûr de lui mais parfaitement lucide. Je me suis retrouvé dans ce personnage sur bien des points (je vous laisse rayer les mentions inutiles, par certain qu’il y en ait beaucoup d’ailleurs).

La narration de Lupano est nerveuse à souhait et son écriture très orale, pleine de gouaille, ne pouvait que me plaire. Niveau dessin, ça tient aussi la route. Rodguen bosse depuis 18 ans pour les studios Dreamworks en Californie et il signe ici sa première BD. Son trait est souple, tout en mouvement. Il est surtout très fort pour exprimer un maximum de sentiments à travers les visages. Ça n’a l’air de rien mais les mimiques qu’il parvient à croquer en disent bien plus que de longs discours.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser « Ma révérence » n’est pas un polar. C’est plutôt un récit d’initiation mâtiné de tragi-comédie qui tire par moments vers la satire sociale. Mais c’est avant tout un excellent album, pêchu et jubilatoire, drôle, pétri de finesse et d’intelligence. Décidément, après le formidable Singe de Hartlepool Lupano s’affirme comme un des plus brillants scénaristes actuels.

Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Moka.

Ma révérence de Wilfried Lupano et Rodguen. Delcourt, 2013. 126 pages. 17,95 euros.

L'avis d'Yvan



mardi 12 novembre 2013

Exauce-nous - Pierre Makyo et Frédéric Bihel

Dans cette petite ville de province il y a Karim, le régisseur du théâtre, Frank, le scénariste en mal d’inspiration, Ernest le luthier, Phil, le vendeur de cailloux, Macha, René, Victorine et bien d’autres encore. Mais il y aussi et surtout Léonard. Léonard le simple d’esprit. Léonard qui demande à ceux qu’il croise s’ils n’ont pas vus celle qu’il cherche en vain depuis des lustres. Léonard que tout le monde apprécie mais dont personne ne semble connaître l’histoire. Frank le scénariste va se pencher sur son passé. Il va comprendre qu’un drame épouvantable est la source de ses maux. Mais il va aussi découvrir que Léonard possède un don, qu’il peut accomplir des miracles...

Cet album m'est précieux car il m’a été offert par Moka. C’est, avec l’incontournable Abélard, l’une de ses BD préférées. Le fait qu’elle ait souhaité partager avec moi un coup de cœur comme celui-là me touche évidemment beaucoup. En plus il contient deux dédicaces, l’une rédigée par ses soins et l’autre de Frédéric Bihel. Et je suis désolé de vous dire Mr Bihel que si votre dédicace est magnifique, c’est la première que je préfère.

Un ouvrage tombé à point nommé après les lectures particulièrement éprouvantes des romans de Valentine Goby et Julien Blanc. J’avais besoin d’une petite douceur, d’un bonbon doux et sucré avec une petite pointe acidulée. Quelque chose de délicat et de croquant mais garanti sans guimauve. Et bien Exauce-nous, c’est exactement cela. C’est une histoire qui fait du bien, qui met du baume au cœur. Des petites vies, des petites gens de province pour qui la fraternité n’est pas un vain mot. On passe avec plaisir du temps ensemble, au troquet ou ailleurs, on se soutient, on s’intéresse les uns aux autres en toute sincérité. Au cœur de cette chronique attachante, il y a bien sûr Léonard. Avec lui, « ça se passe ». Son innocence, sa simplicité désarmante, sa bonté permanente irradie à chaque page. C'est un personnage lumineux, il fait partie de ceux (rares) qu’un lecteur ne pourra jamais oublier.

Pour couronner le tout, l’alchimie entre le dessin et le récit est parfaite. Le trait réaliste de Frédéric Bihel est d’une grande élégance et les couleurs sont somptueuses.

Un album remarquable, apaisant et, je me répète, qui fait du bien. Vraiment.
Merci Moka, ton choix était parfait.

Exauce-nous de Pierre Makyo et Frédéric Bihel. Futuropolis, 2008. 102 pages. 19,50 euros.


Les avis de CristieLuocine ; Mo' ;  MokaOliv

lundi 11 novembre 2013

Confusion des peines - Julien Blanc

La vie de Julien Blanc est un roman d’une infinie tristesse. Né en 1908 de père inconnu, sa mère décède alors qu’il n’a que sept ans. Orphelinats, institutions religieuses, maisons de correction, familles d’accueil… il passe sa jeunesse ballotté d’un lieu à l’autre, renvoyé systématiquement des établissements qu’il fréquente pour mauvaise conduite. Fugueur, voleur, un temps SDF, multipliant les petits boulots qu’il ne parvient pas à garder par manque de motivation, il s’engage dans l’armée en désespoir de cause, persuadé que la grande muette sera la seule capable de donner un sens à son existence. Mais incapable de supporter la moindre autorité, il déserte. Arrêté, condamné, emprisonné, le premier volume de cette trilogie autobiographique le laisse en 1931, alors qu’un tribunal militaire vient de décider de l’envoyer purger sa peine dans les bataillons disciplinaires d’Afrique à Biribi.

Qu’est-ce que j’aurais voulu aimer ce livre ! A la base, il avait tout pour me plaire. Un écrivain autodidacte, digne représentant de la littérature prolétarienne que je chéris tant depuis mes études de lettres et ma découverte d’Henry Poulaille. Un écorché vif, gamin maltraité par les salauds d’adultes entre les mains desquels il aura passé toute son enfance. Un révolté, un réfractaire, un esprit aussi libre qu’incontrôlable, bref le genre de personnage qui me fait particulièrement kiffer comme disent les jeunes. Las, je n’ai pas été séduit le moins du monde par cette autobiographie.

L’ensemble est tellement misérabiliste. A coté de Confusion des peines, Sans famille est une gentille comédie. Le problème c’est que les malheurs de Julien Blanc s’enchaînent dans une suite ininterrompue et finissent par perdre toute force d’évocation. A la longue on frôle l’overdose. Et puis le jeune homme ne m’a pas touché. Il n’a certes pas eu une vie facile (c’est le moins que l’on puisse dire) mais on se rend compte qu’il n’a pas non plus fait grand-chose pour s’en sortir, notamment en rechignant à la tâche à chaque fois qu’on lui proposait un emploi. Surtout, l’écriture est d’une grande platitude. La révolte devrait selon moi  aller de pair avec une certaine forme d’éructation verbale. Le hurlement d’un homme face à l’injustice d'une jeunesse ruinée par sa condition sociale et le comportement inadmissible des adultes, Louis Calaferte en a fait un chef d'oeuvre avec « Le requiem des innocents ». Là, pour le coup, on en est loin, très loin même.

Dommage, j’attendais beaucoup de cette lecture, j’en sors d’autant plus déçu. Le second volume de la trilogie de Julien Blanc attend sagement dans ma pal depuis un certain temps. Il risque d’y rester encore longtemps.

Confusion des peines de Julien Blanc. Libretto, 2013. 280 pages. 9,70 €  

samedi 9 novembre 2013

Pan’Pan Panda, une vie en douceur - Sato Horokura

Panettone, que tout le monde appelle Pan’Pan, est un panda. C’est aussi le gardien de la résidence Kanda, où il vit avec une petite fille prénommée Praline. Chaque histoire de ce manga est une chronique de la vie quotidienne. Du choix d’un foulard à l’arrivée d’une nouvelle locataire, d’une amitié naissante à la préparation du repas de Noël, on découvre la tendre relation qui unit Pan’Pan à Praline mais aussi quelques traditions et habitudes typiquement japonaises.

Bon, si je me laissais aller je tomberais dans la vanne pourrie en écrivant que Pan’Pan est cucul (désolé j’aime bien les vannes pourries, on ne se refait  pas). Ça a vraiment été mon premier sentiment en refermant ce manga, je l’ai trouvé assez niais. Et puis pépette n°2 l’a lu et elle a adoré. Du coup j’ai dû revoir ma position. Parce qu’après tout ce livre ne s’adresse pas à moi, adulte aigri et un poil cynique, mais bien à nos chères têtes blondes. Je l’ai donc à nouveau parcouru avec mes yeux d’enfant et je dois dire que je comprends pourquoi ça a fonctionné avec pépette.

C’est frais et léger, mignon comme tout, plein de douceur. Et puis habiter avec un panda tenant plus de la peluche géante que de l’animal sauvage, avouez que ça fait rêver. En plus ce manga est entièrement en couleurs et publié dans le sens de lecture occidental, ce qui facilite grandement les choses pour les petits bouts qui découvrent le genre pour la première fois. De mon coté j’ai beaucoup aimé le bonus final proposant un lexique intéressant, une postface, un jeu et une fort jolie galerie de croquis.

Une série prévue en 8 tomes, pétrie en bons sentiments et qui constitue une entrée idéale dans l’univers du manga pour les plus jeunes. Personnellement, je ne suis pas certain de lire la suite mais j’en connais une qui va me la réclamer à corps et à cris. Et comme je ne refuse jamais le moindre livre aux pépettes…


Pan’Pan Panda, une vie en douceur T1 de Sato Horokura. Nobi nobi, 2013. 110 pages. 9,45 euros.  

Les avis de Leiloona et Mya Rosa


vendredi 8 novembre 2013

Quatre ans... et c'est tout !

Le titre de ce billet pourra paraître obscur à certains d’entre vous mais il fait écho à celui publié l’an dernier à la même date et intitulé « Trois ans, trois enfants ». J’y parlais, entre autres, de la future arrivée de la pépette n°3 et comme cette année je n’ai rien de tel à annoncer (faut pas pousser non plus !) je me contente de ce petit clin d’œil.

Quatre ans donc que ce blogounet existe. Quatre ans qu’il grandit grâce à vous qui passez ici régulièrement (ou pas). Quatre ans que je m’amuse à parler de mes lectures en toute simplicité, sans me prendre au sérieux, à me balader d’une berge à l’autre en ne m’interdisant presque aucun genre (non, la chick lit, la bit lit et les thrillers ne passeront pas par moi) et surtout quatre ans que je partage, que je découvre, que j’échange et que je prend énormément de plaisir à fréquenter la blogo. Parce que si j’aime beaucoup publier mes avis, j’adore aussi découvrir les vôtres, j’avoue même que je ne pourrais plus me passer de mon petit tour quotidien chez les uns et les autres.

Il y a eu quelques événements importants au cours de cette 4ème année de blog. D’abord bien sûr le bébé annoncé et tant attendu est arrivé le 5 février. Charlotte a aujourd’hui 9 mois et elle fait le bonheur de ses parents et de ses grandes sœurs (si je vous dis que je l’adore je pense que vous n’aurez aucun mal à me croire). Autre évolution majeure, je suis passé du virtuel au réel avec certaines d’entre vous. L’air de rien, connaissant mon coté « ours des cavernes », ce n’est pas anodin. Chacun de ces rares moments a été absolument délicieux (du moins pour moi) et j’en suis venu à la conclusion que toutes les blogueuses sont d’adorables personnes  (ou alors c’est juste que je suis bien tombé…). En tout cas maintenant que j’y ai goûté, je compte bien renouveler ces rencontres "en vrai" dès que possible.

Allez trêve de bavasseries, fêtons comme il se doit cet anniversaire avec un petit concours. On va faire simple alors si vous souhaitez participer il suffit de laisser un commentaire ci-dessous. Vous avez jusqu'au jeudi 14 novembre à minuit. Passé cette date, je mets tous les participants dans mon chapeau magique, je le secoue bien fort et les quatre qui en sortent choisissent le livre qu'ils veulent parmi ceux que j'ai présentés ici depuis le début de l'année. Ça vous va ? Les belges, les suisses, les Dom-Tom et les québécois sont les bienvenus.

Je vous laisse, je vous remercie pour tout et je vous fais un gros bisou qui pique :










jeudi 7 novembre 2013

Kinderzimmer - Valentine Goby

Mila a rendu quelques services à la résistance. Mais Mila a été dénoncée puis arrêtée. Direction Ravensbrück. 40 000 femmes dans le camp. Mila est une déportée parmi tant d’autres. Sauf que Mila est enceinte. Mila porte en elle la vie, dans ce lieu où la mort mène la danse. Mila veut que sa grossesse reste invisible. A ses compagnes d’infortunes, à ses geôliers, à elle-même.

Lorsque l’enfant paraît, il se retrouve dans la Kinderzimmer, la pouponnière. De pouponnière, l’endroit n’a que le nom. C’est un bloc comme les autres où les nourrissons s’entassent et finissent par mourir, de faim ou d’autre chose. Pas de biberon, pas de lait, pas de change, d’habit ni de chauffage. Les bébés ressemblent à des vieillards, ridés et maigres, le corps glacé. La cause semble désespérée mais Mila survit pour son enfant, elle s’accroche à cette vie nouvelle, symbole d’ultime espoir dans un environnement qui a tout de l’enfer.

Le texte est au présent et plonge le lecteur au cœur du camp. Valentine Goby décrit l’indicible avec une étonnante justesse. Elle raconte la transformation des corps et des âmes dans le huis clos des barbelés et des miradors, elle trouve les mots justes pour dire la maladie, la promiscuité, la fatigue, la faim, la peur permanente. Sensations, images, odeurs et douleurs sont restituées dans toute leur horreur sans jamais franchir la barrière du déballage purement gratuit.

Pour Mila, la maternité est un indéfinissable bouleversement intérieur. Comment porter la vie lorsque l’on est soi-même un cadavre ambulant ? Mais l’évidence est là, le bébé s’accroche et lorsqu’il naît rien ne lui manque : « une tête, deux oreilles, deux bras, deux mains […] deux yeux, deux narines, une bouche. » Par la suite elle découvrira la solidarité et le courage de ses sœurs de souffrance. Le gant en caoutchouc que l’on vole au péril de sa vie pour faire une tétine, les morceaux de tissu ramenés incognito au bloc et cousus le soir pour confectionner des habits, le sein donné à un enfant que l’on ne connait pas parce que le nôtre vient de mourir…

Un roman âpre, douloureux. Longtemps que je n’avais pas vécu une lecture aussi éprouvante. Mais la langue est magnifique, crue et limpide, elle résonne avec force, c’est très impressionnant. Et puis ce livre m’est précieux parce qu’il m’a été offert, et pas par n’importe qui, alors pour toutes ces raisons, Kinderzimmer restera comme l’une de mes plus belles découvertes de l’année.


Kinderzimmer de Valentine Goby. Actes Sud, 2013. 220 pages. 20 euros.

Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec des blogueuses que j'apprécie particulièrement, à savoir et par ordre alphabétique Noukette, Sandrine, Saxaoul, Sophie/Hérisson et Valérie.

Les avis de Clara, JosteinNatiora, PhilisineStephie









mercredi 6 novembre 2013

Mauvais genre - Chloé Cruchaudet

Paul Grappe et Louise Landy viennent à peine de se marier que la première guerre mondiale éclate. Envoyé sur le front, Paul ne supporte pas l’horreur des combats. Il s’automutile, passe quelques temps à l’hôpital puis, refusant l’idée de retourner dans les tranchées après sa convalescence, il déserte. Caché dans une chambre de bonne avec Louise, il vit difficilement le confinement imposé par sa condition de déserteur et finit par trouver une solution radicale devant lui permettre de sortir incognito : se déguiser en femme. Pendant plus de dix ans, Paul va devenir Suzanne et mener une vie où le travestissement va peu à peu devenir sa seule raison d’être.

Incroyable destin que celui de Paul, incroyable histoire d’amour également, magnifique, brûlante et tragique. La relation entre Louise et son mari bascule de la tendresse vers la violence mais reste avant tout guidée par la passion. Louise joue d’abord le rôle de mentor. C’est elle qui le pousse à se transformer, lui montre les techniques d’épilation et l’initie au monde des femmes en le faisant embaucher dans son atelier de couturière. Mais c’est elle aussi qui le jalouse lorsqu’il devient la coqueluche de l’atelier puis du bois. Paul, tellement « habité » par son rôle, enivré par son succès grandissant auprès des femmes, sombre dans la folie. C’est un personnage complexe, fragile, fascinant. Lorsque la supercherie est révélée après l’amnistie des déserteurs, il assume avec plaisir le statut de bête de foire que lui donne la presse. Il aime être dans la lumière et quand les journalistes se lassent de son histoire, le retour à l’anonymat signe le début de sa déchéance.

Chloé Cruchaudet met en scène cette histoire aussi surprenante que véridique avec une maîtrise impressionnante. La narration est solide, parfaitement construite. Elle donne à Paul des traits imprécis et garde volontairement, notamment avec son énorme nez, des détails qui trahissent sa masculinité. Elle utilise aussi la couleur avec parcimonie, pour donner du sens. Ainsi le rouge est le plus souvent symbole de passage vers la féminité. Un mot également sur les scènes de cauchemar renvoyant Paul dans les tranchées qui sont magnifiquement réalisées.

Un album mené de main de maître. Du travail d’orfèvre et un vrai régal pour le lecteur. Tout simplement somptueux.

Mauvais genre de Chloé Cruchaudet. Delcourt, 2013. 160 pages. 18,95 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager aujourd'hui avec Lunch, Marion, Moka, Noukette et Mo'. Rien que ça !