mardi 30 septembre 2014

Mots rumeurs, mots cutter - Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini

Le collège. Une histoire d’amour qui balbutie parce que le prince charmant, coureur patenté, ne veut pas se contenter de simples bisous et aimerait passer à la vitesse supérieure. Une fête entre copines qui tourne à la mauvaise blague, une photo compromettante et la vie de Léa devient un enfer, entre rumeurs, harcèlement, violence et cruauté…

Un vrai plaisir de retrouver le duo Charlotte Bousquet - Stéphanie Rubini après l’excellent « Rouge Tagada ». Une fois encore, l’adolescence est au cœur de leur propos. Et une fois encore, elles en dressent un tableau aussi sensible que réaliste. Des personnalités fragiles, une vraie souffrance, une réflexion profonde sur la force de l’image. Celle que l’on voudrait préserver, cultiver. Et celle que l’on renvoie, parfois bien malgré nous. Destructrice. Aujourd’hui les nouvelles technologies et les réseaux sociaux changent fortement notre rapport au monde. Tous les faits et gestes peuvent être relayés, partagés en deux clics. La méchanceté gratuite fait ensuite le reste et l’humiliation subie est parfois impossible à supporter. Tout cela est ici abordé en finesse, sans pathos, sans en rajouter des tonnes, sans tomber dans la mise en garde moralisatrice.

Le dessin est simple et efficace, le découpage reste constamment au service du récit et de la lisibilité tandis que les couleurs pastel adoucissent l’âpreté de certaines situations. La fin est joliment trouvée, elle montre que l’adversité offre parfois de magnifiques rencontres, mais je l’ai trouvée trop abrupte. J’ai refermé l'ouvrage avec la désagréable impression de laisser Léa en plan au moment où une éclaircie s’annonce, et j’aimerais vraiment découvrir la façon dont les choses vont se passer pour elle par la suite. Espérons que ce sera dans le dernier volume de cette trilogie adolescente qui, pour l'instant, ne souffre d'aucune fausse note.



Mots rumeurs, mots cutter de Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini. Gulf Stream, 2014. 72 pages. 15,00 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Leiloona, Noukette et Stephie. M'est avis qu'elles ont aimé autant que moi...

Les avis de Laël et Liyah.





lundi 29 septembre 2014

Hyperbole - Allie Brosh

Bon, bon, bon. Un roman graphique qui donne dans l’autofiction avec un dessin digne d’une gamine de cinq ans, j’avais de quoi me réjouir à l’avance et me préparer à un dézingage en règle. Quand en plus la 4ème de couv m’apprend que tout cela est tiré d’un blog comptant 72 millions de visites, que son auteure, une américaine de vingt-cinq ans, a 500 000 fans sur Facebook et que le bouquin a été élu meilleur livre d’humour de l’année, Prix des libraires et best-seller du New York Times,  je me dis que tous les ingrédients sont réunis pour que je déteste ce que je vais lire.

Premier chapitre, elle revient sur quelques souvenirs d’enfance. Une gamine un peu étrange, qui consomme de la crème pour le visage comme on mange une glace, qui a des amis imaginaires morts, se balade constamment à poil et aime tellement les chiens qu’elle se comporte comme eux. Ok, c’est bien amené et je n’ai pu éviter quelques sourires. Le second chapitre est d’ailleurs consacré au meilleur ami de l’homme. Des chiens, elle en a deux. L’un est totalement crétin (elle va lui faire passer un test de QI dont les résultats parleront d’eux-mêmes…) et l’autre a tout du psychopathe. Là, j’ai franchement ri. Puis Allie se met à parler de son présent. Sa procrastination chronique, son incapacité à se comporter comme une adulte, ses angoisses existentielles, sa quête d’identité. Et sa dépression. Là on ne rigole plus vraiment.

Pour autant, pas question de sortir les mouchoirs. C’est là que la différence avec les autofictions graphiques que j’ai pu lire précédemment est la plus marquante. Allie Brosh affronte ses névroses avec humour et légèreté, avec une forme de désinvolture qui fait mouche. Ça ne l’empêche pas d’avoir de vraies réflexions profondes sur le mal qui la ronge, mais elle n’en rajoute pas des caisses et c’est franchement agréable. Du coup, on a envie d’écouter sa confession, on se sent moins voyeur et on est davantage touché.

Conclusion, alors que j’étais prêt à sortir les couteaux et à jouer les méchants, je dois bien reconnaître que tu m’as eu, Allie. Bon, tu dessines comme une patate, c’est indiscutable, mais tu as un vrai don pour l’autodérision. Il est devenu tellement rare de tomber sur des gens qui abordent des sujets graves sans se prendre au sérieux que je ne peux que te remercier pour ta fraîcheur revigorante.



Hyperbole d’Allie Brosh. Les arènes, 2014. 310 pages. 20,80 euros.




samedi 27 septembre 2014

Petit point sur ma rentrée littéraire

Plus d’un mois après la rentrée littéraire, j’ai déjà envie de faire un petit bilan perso. J’ai enchaîné des romans très différents les uns des autres et j’ai aimé l’érudition légère de Patrick Deville, l’ironie mordante d’Alma Brami, le sombre désespoir de Paul Harding, la langue éblouissante de Michel Jullien, la rudesse de Stéphane Guibourgé, la sauvagerie du western corse de Marc Biancarelli, l’univers flippant de Denis Michelis, le personnage lunaire d’Isabelle Minière, la drôlerie et l’irrévérence de Gauz et la finesse de la réflexion de Bertrand Guillot sur le monde des livres. Seul le roman de Burnside m’a laissé de marbre tandis que celui de Leïla Slimani m’a dans l’ensemble agacé. Bref, de très bonnes pioches  mais pour autant je n’ai pas encore eu le vrai gros coup de cœur absolu. Quelque part, ce n’est pas plus mal, je me dis qu’il reste à venir…

Donc, pour l’instant,

J'ai lu :

(pour lire mes billets sur ces ouvrages, c’est par ici)



Je lis :

Je lis toujours plusieurs titres en même temps, je ne sais pas faire autrement. Et parmi les trois ci-dessous, le Marcus Malte, commencé hier, s’annonce très prometteur.


Je lirai :

Il me reste de nombreux titres de la rentrée dans ma pal. Le futur est de mise et il pourra être très lointain puisque, comme d’habitude, j’ai les yeux plus gros que le ventre et certains de ces ouvrages ne seront pas lus avant plusieurs années, c’est une certitude. Malade, moi ? Sans doute. Et le pire c’est que je n’ai pas l’intention de me soigner.

Sinon, je me dis que le vrai coup de cœur se cache peut-être parmi ces seize candidats. Je place mes plus grands espoirs sur le Meyer et le Harchi, en espérant qu’un autre, dont j’attends peut-être moins, sera la divine surprise…




vendredi 26 septembre 2014

Je reviens de mourir - Antoine Dole

Il suffit de trois fois rien pour me donner envie de lire. Entendre Stephie et Noukette parler d’un roman coup de poing par exemple. Du genre « J'en suis encore le cul par terre moi, véridique... Fini il y a un petit quart d'heure et je sens qu'il va longtemps me hanter... Quel roman nom de Zeus !! » (Noukette) ou « Un titre qui tabasse. Je pense bien que c’est la première fois que je lis quelque chose comme cela. » (Stephie). Elles ont ce don de me donner envie, je n’y peux rien (envie de lire, hein !). Du coup j’ai regardé si ce roman était disponible dans le réseau des médiathèques de ma ville. Il y était. Je me suis donc précipité pour aller l’emprunter. Je l’ai dévoré d’une traite et je peux vous en parler aujourd’hui. Enfin, si j’y parviens, parce qu’avec ce titre, on est au-delà du coup de poing…

Deux histoires s’entrecroisent. D’un coté celle de Marion, folle amoureuse de Nicolas. Au point de tout accepter. Les coups, les clients qu’il lui trouve et auxquels elle s’offre contre une enveloppe pleine de cash. De l’autre celle d’Ève, mangeuse d’hommes qui se perd en rencontres d’un soir, juste pour le sexe, sans jamais laisser la moindre chance aux sentiments. Deux femmes totalement perdues dont les routes vont finir par se croiser, pour le pire…

Ce roman est dégueulasse. Dégueulasse dans la mesure où il s’en dégage quelque chose de répugnant. Physiquement et moralement. Et malgré cela, une fois ouvert, impossible de le lâcher. Pas à cause d’une fascination un peu morbide. Juste parce que le phrasé syncopé d’Antoine Dole vous saute à la gorge et vous décrit l’indicible avec une puissance qui submerge. Il vous fouille les entrailles, gratte jusqu’à l’os et vous met les nerfs à vif.

Incroyable de découvrir un premier roman si mature alors qu’au moment de sa publication son auteur n’avait même pas 30 ans. La façon de décrire la douleur physique et morale de ces femmes est d’une justesse et d’un réalisme à couper le souffle. Aucune facilité, pas de déballage gratuit en dépit des apparences. Les mots se gravent au fer rouge sur la rétine, vous mettent mal à l’aise, vous laissent au bord de la nausée. C’est cru, c’est extrêmement violent, c’est d’une noirceur absolue, c’est l’expression du désespoir et de la solitude comme je ne l’ai jamais lue. C’est une fin que l’on ne voit pas venir, sur laquelle on réfléchit longtemps après avoir refermé le livre. On cherche alors à rembobiner le fil du récit pour retrouver les indices et l’évidence apparaît : il ne pouvait pas en être autrement.

Je ne veux pas en dire plus, je me demande même si je n’en ai pas déjà trop dit. C’est un roman que l’on doit se prendre de plein fouet, sans en savoir trop à l’avance. Une expérience de lecture intense et qui bouscule. Vraiment très, très fort !

Je reviens de mourir d’Antoine Dole. Sarbacane, 2014. 135 pages. 10 euros.

Une lecture commune dans laquelle m'a embarqué ma binômette préférée. Ce n'était pas prévu au programme mais, comme d'habitude, elle a su trouver les bons arguments...

L'avis de Stephie

Extraits :

« Il l’a gardé six mois au fond de lui, petit diable dans sa boîte à l’intérieur du ventre. Juste attendre que l’hameçon soit profond dans mon cœur, bien ancré dans mes chairs, pour faire jaillir le monstre. Patient, pour voir si je n’étais pas le genre de filles cinglée qui s’emballe trop vite. Être sûr que je serais prête à tout. Et je l’étais, clair que je l’étais. »

« Il ne franchit pas la limite, il la repousse, et plus j’accepte, plus je dois accepter. Si notre histoire s’arrêtait j’aurais peur de réaliser tout ce qu’il m’a fait. Tout ce que j’ai fait. Ne pas formuler le gâchis. »







jeudi 25 septembre 2014

Dans la chambre obscure - R.K Narayan

Savitri est une épouse modèle qui élève ses trois enfants et est au service de son mari, Ramani. Un mari dont le job d’assureur offre un confortable niveau de vie à la famille mais qui est aussi un caractériel lunatique difficile à supporter au quotidien. Après quinze années de vie conjugale, elle regrette de ne pas s’être affirmée dès le départ, de ne pas avoir pris la direction du ménage pour mener son époux à la baguette, comme a su le faire son amie Gangu. Au lieu de cela, elle subit chaque jour les affronts sans broncher. Mais lorsqu’elle découvre la liaison que monsieur entretient avec l’une de ses employés, elle décide de quitter le foyer pour s’assumer pleinement.

Un roman indien de 1938 qui navigue entre comédie de mœurs et chronique familiale. Le ton est faussement léger et les rêves d’émancipation de Savitri résonnent de manière touchante. Cette femme qui se révolte en vain, prisonnière de traditions séculaires sur lesquelles elle n’a aucune prise, devra se rendre à l’évidence : impossible d’échapper à sa condition dans la bourgeoisie indienne des années 30.

La façon dont elle est traitée par son mari l’insupporte et elle ne se prive pas de lui faire remarquer : « Je suis un être humain. Vous autres hommes, vous ne l’admettrez jamais. Pour vous, nous ne sommes que des jouets quand vous êtes d’humeur à caresser, et des esclaves le reste du temps. Ne croyez pas que vous pouvez nous cajoler quand ça vous chante et nous donner des coups de pied selon votre bon plaisir ». Mais quelques pages plus loin, l’évidence la rattrape : « Que puis-je faire par moi-même ? Je ne suis pas capable de gagner une poignée de riz, si ce n’est en mendiant. Si j’étais allée au collège, si j’avais étudié, j’aurais pu devenir institutrice par exemple. J’ai été stupide de ne pas poursuivre mes études. […] Quelle différence y-a-t-il entre une prostituée et une femme mariée ? La prostitué change d’hommes, une femme mariée n’en change pas, mais c’est tout, toutes les deux sont entretenues de la même façon. »

Pour Ramani, il y a bien moins de questions à se poser : « Il admettait, bien sûr, que le Mouvement des femmes n’était pas complètement absurde : il n’y avait pas de raison de les empêcher de lire des romans anglais, de jouer au tennis, d’organiser des conférences nationales et d’aller de temps en temps au cinéma ; mais cela ne devait pas leur faire oublier leurs devoirs primordiaux d’épouses et de mère ; il ne fallait pas qu’elles essaient de singer les femmes occidentales, qui, toutes, vivaient dans un déferlement de libertinage et de divorces. Pour lui, l’Inde devait sa prééminence spirituelle au fait que les gens comprenaient que le premier devoir d’une femme était d’être épouse et mère, mais quelle femme gardait le droit d’être considérée comme une épouse, si elle désobéissait à son mari ? ».

Un très joli portrait de femme, tout en délicatesse. Seule la conclusion, bien trop abrupte, m’a laissé sur ma faim. Il faut dire que j’aurais aimé passer davantage de temps encore avec l’indomptable Savitri.

Dans la chambre obscure de R.K Narayan. Zulma, 2014. 185 pages. 8,95 euros.



mercredi 24 septembre 2014

Prévert, inventeur - Cailleaux et Bourhis

Prévert est le poète de l'école par excellence. Celui que tous les élèves vont croiser au moins une fois au cours de leur scolarité. Mais avant d'être poète, le bon Jacques a été un gamin de vingt ans. Après la conscription en Turquie où il rencontrera Marcel Duhamel, il rentre à Paris. Nous sommes en 1921 et avec son ami le peintre Yves Tanguy, il va connaître une existence bohème. De petits boulots en glandouille permanente, de colocations festives en soirées arrosées, le jeune homme traverse les années 20 en toute insouciance, comme si demain n'existait pas.

Une biographie dessinée passionnante car elle montre Prévert avant Prévert. Un gosse jouant les dandys, punk avant l'heure, vivant au crochet de ses proches, reconnaissant qu'il n'a « aucun goût pour le travail ». Il multiplie les excès, ne respecte rien ni personne. Alors qu'il na pas encore écrit quoi que ce soit, il se permet de déclarer à Desnos : « Je connais votre travail, vous savez. Je trouve ça dégueulasse. Positivement dégueulasse. » Fréquentant André Breton et les surréalistes, participant activement à l'invention des fameux « cadavres exquis », il va peu à peu trouver sa voix en scénarisant des courts métrages, notamment pour son frère, Pierre. A la fin de ce premier volume (il y en aura trois en tout), alors que le cinéma l'accapare à plein temps, un de ses textes est publié dans la revue « Commerce » fondée par Paul Valéry. Une entrée en littérature timide, au cours de l'été 1931, qui lui ouvrira bien d'autres portes.

Graphiquement, Christophe Cailleaux a pris le parti de faire sauter les cadres classiques de la narration en faisant de chaque page un mini tableau sans véritable case. Une façon de recréer le foisonnement du Paris des années folles et de mettre en lumière la liberté et l’irrévérence de son personnage. Ce coté déstructuré ne nuit en aucun cas à la lisibilité, il donne au contraire une dimension supplémentaire au récit.

Un vrai bonheur de découvrir Prévert loin de l'image d'Épinal du vieux poète chantant la nature et l'enfance. Sa jeunesse rock'n roll méritait bien un album et Cailleaux et Bourhis lui rendent ici un bel hommage !


Prévert, inventeur de Cailleaux et Bourhis. Dupuis, 2014. 72 pages. 16,50 euros.







mardi 23 septembre 2014

Confessions d’un apprenti gangster - Axl Cendres

Pas facile d’avoir un père gangster. Le voir uniquement au parloir de la prison, être élevé par une maman courageuse dans un quartier populaire et découvrir en grandissant que si papa est derrière les barreaux pour « un braquage qui a mal tourné », c’est surtout parce qu’il a tué un homme. Et le vrai danger, c’est de vouloir suivre les traces de son paternel. Un danger que le narrateur ne pourra éviter à l’adolescence, en se lançant dans le banditisme sans véritablement connaître la réussite escomptée…

Un petit roman que je qualifierais de « sans prétention ». C’est bien mené, le héros est attachant mais l’ensemble manque un peu de profondeur. Tout va trop vite et certaines situations ne m’ont pas du tout semblé crédibles. Après, c’est suffisamment rythmé pour qu’on ne le lâche pas une fois entamé et le message se veut positif : non, l’atavisme n’est pas une fatalité et il suffit quelquefois d’une rencontre, d’une personne qui vous tient le bon discours au bon moment pour qu’une prise de conscience salvatrice s’opère.

Ce texte, par son thème et sa simplicité, constitue le livre accroche idéal pour les enfants qui ont du mal à trouver un quelconque intérêt à la lecture. Finalement, c’est typiquement le genre d’ouvrage dont on a besoin au CDI pour « ferrer » ceux qui ne sont pas des dévoreurs de livres.

Confessions d’un apprenti gangster d’Axl Cendres. Sarbacane, 2013. 94 pages. 8,50 euros. A partir de 13 ans.

Une nouvelle lecture jeunesse que je partage comme chaque mardi avec Noukette.

lundi 22 septembre 2014

Entre ciel et terre T1 - Golo Zhao

Soyons honnête, je n’ai pas tout compris. Pourtant j’aime beaucoup Golo Zhao et sa balade de Yaya m’avait enchanté mais là, rien à faire, je me demande encore où il a voulu m’emmener.

Ça commence par l’histoire de Huit, une petite fille qui voudrait monter au ciel pour rejoindre sa maman décédée (déjà, bonjour l’ambiance !). Un soir, elle escalade le plus grand arbre du village avant de disparaître. Son ami Ming, parti la secourir, ne retrouvera que ses chaussures posées sur des branches. Quelques années plus tard, Ming s’est installé dans un autre village. Devenu marchand de graines, il se perd un jour dans la forêt, rencontre une créature fabuleuse ayant pris l’apparence d’une jeune fille et la ramène chez lui. Au même moment entrent en scène un prêtre taoïste, une chasseuse de démon et l’inspecteur Zhou Butong, chargé d’enquêter sur la disparition de Huit. Quant à la créature fabuleuse, elle explique à son hôte qu’elle doit pratiquer la Voie (????), « un processus incessant d’apprentissage et d’imitation des humains ».

Vous me suivez ? Ça m’étonnerait… En tout cas c’est tout ce qui m’est resté en tournant la dernière page. Une grande confusion, l’impression que l’on ouvre des tas de porte sans jamais penser à les refermer. Les fils narratifs jetés dans tous les sens vont sans doute se rejoindre à un moment ou l’autre mais ce n’est malheureusement pas le cas à la fin de ce premier tome. En plus, les références au taoïsme semblent importantes pour saisir le pourquoi du comment mais je manque cruellement de connaissances sur le sujet pour y voir clair.

Au final, il me reste la désagréable sensation d’avoir perdu mon temps. Le dessin est toujours aussi agréable mais pour le reste, mieux vaut attendre la suite et tout lire d’une traite parce que là, je ne suis que frustration.

Entre ciel et terre T1 de Golo Zhao. Cambourakis, 2014. 206 pages. 15,00 euros.



samedi 20 septembre 2014

Orphelins de Dieu - Marc Biancarelli

« Une justice devait s’accomplir, et si les tribunaux, dans leur iniquité perpétuelle, ne pouvaient se montrer dignes de leur charge, peut-être Dieu abattrait-il le glaive rédempteur sur les poitrails des Philistins, et si Dieu, qui, Lui aussi, semblait avoir oublié cette terre, si Dieu Lui-même regardait ailleurs et se refusait à accomplir son devoir, alors la tâche qui consistait à rendre cette haute justice incomberait à l’Enfer. Et dans son pays, l’Enfer était un nom d’homme, et cet homme, disait-on, pourvoyait à la résolution de bien des problèmes que les lointains tribunaux étrangers, et Dieu Lui-même, ne semblaient pas considérer. »

Rendre la justice, Vénérande n’a que cette idée en tête. Faire payer les salopards qui ont tranché la langue de son frère après l’avoir défiguré. L’Infernu est son seul salut. Une légende vivante, un tueur à gage craint dans tout le pays. Avec lui, elle va chevaucher vers la tanière des Santa Lucia (la fratrie à abattre) pour accomplir sa vendetta. En chemin, l’Infernu va lui raconter les plus mémorables épisodes sa longue carrière d’impitoyable desperado…

Un western, au cœur des montagnes corses, à la fin du 19ème siècle, fallait oser ! Un western hanté par le mal et la violence, par des hommes orphelins de Dieu devenus des créatures maléfiques. J’ai retrouvé dans le personnage de l’Infernu les caractéristiques que j’avais appréciées chez celui du Tireur de Glendon Swarthout : un tueur légendaire en bout de course voulant sortir par la grande porte et une scène finale crépusculaire dont on devine facilement l’issue.

Mais l’intérêt principal tient dans l’évocation de son passé de brigand, du basculement de son engagement idéologique vers le grand banditisme. A cet égard, la bande de pillards sanguinaires à laquelle il a appartenu n’a rien à envier aux coquillards de François Villon.

La langue de Marc Biancarelli est riche, âpre et lyrique. Les descriptions possèdent une force d’évocation particulièrement puissante. Après, je le reconnais, le récit est traversé par une violence telle qu’elle pourra heurter les âmes sensibles. Pour ma part j’ai pris un vrai plaisir à découvrir ce texte atypique et plein de souffle qui détonne par rapport à ce que j’ai pu découvrir de la rentrée littéraire jusqu’alors.

Orphelins de Dieu de Marc Biancarelli. Actes sud, 2014. 236 pages. 20,00 euros.

L'avis de Sandrine




vendredi 19 septembre 2014

Sous les couvertures - Bertrand Guillot

Une librairie de quartier comme il en reste de moins en moins. Un samedi soir, au moment où les portes se ferment. Le vieux libraire rentre chez lui et s’interroge sur l’avenir de son échoppe, sur les clients de plus en plus rares. Retranché sur des positions d’une autre époque, incapable de se remettre en cause, ne laissant aucune initiative à Sarah, son apprentie pourtant compétente et pleine de bonne volonté, il lui est difficile de faire face à une baisse d’activité qui l’étrangle un peu plus chaque jour.

Sur les rayonnages, le moral est aussi au plus bas. Les livres du « boudoir », ceux qui attendent depuis des mois de trouver un acquéreur, savent que le lundi suivant sera pour eux synonyme de retour chez l’éditeur avant la mise au pilon. Réunis en Grand Conseil, ils décident de mener une attaque frontale en direction de la table située près de la caisse, celle réservée aux best-sellers. L’objectif est d’arracher à ces parvenus leurs jaquettes attractives et leurs bandeaux accrocheurs pour s’en parer et ainsi attirer l’attention des clients. Un baroud d’honneur radical censé leur donner une dernière chance de sortir de la librairie par la grande porte…

Chic, un livre sur les livres ! Un livre drôle et léger, au propos bien plus lucide et grinçant qu’il n’y paraît. La situation du marché du livre et de tous ses acteurs est analysée avec une grande subtilité : la versatilité de lecteurs de plus en plus difficile à fidéliser, les boutiques en lignes, le numérique, le rôle des critiques, la surproduction, la loi du marché qui fait des romans de simples produits de consommation, l’impossibilité pour une très grande majorité d’auteurs d’espérer la moindre exposition dans les médias, etc. Le fait de mettre en scène les livres se battant pour obtenir la meilleure place possible dans la librairie est une excellente idée à la base. Il y a des passages fort réussis, notamment celui ou les ouvrages « papier » échangent avec une liseuse. La scène est drôle et balaie l’air de rien les problématiques qu’implique ce nouvel outil.

Après, j’avoue que la bataille rangée entre les livres ne m’a pas emballé plus que ça. Trop longue, trop confuse, difficile à visualiser, je me suis un peu perdu en route. J’ai préféré les chapitres avec le libraire ou Sarah et j’aurais aimé passer davantage de temps avec eux et leurs questionnements. Mais au final l’impression générale reste très positive. Bertrand Guillot a l’intelligence d’offrir un chant d’amour aux livres sans militantisme enflammé ni étude sociologique barbante sur la lecture. Il pose des questions pertinentes telles que : "Et comment on pouvait encore être libraire, à l'heure où les mêmes clients qui vous reprochaient de ne pas avoir tout lu se tournaient vers des libraires en ligne qui précisément ne lisaient rien ?".  Bref, il donne à réfléchir en toute simplicité, et force est de reconnaître qu'il fait mouche.

Sous les couvertures de Bertrand Guillot. Rue Fromentin, 2014. 176 pages. 16,00 euros.

Une lecture commune que je partage avec Leiloona et Stephie.







jeudi 18 septembre 2014

Les fils de rien, les princes, les humiliés - Stéphane Guibourgé

« Nous choisissons la haine. Nous sortons la nuit pour casser du bicot, défoncer des youpins. Nous sortons la nuit pour humilier des pédés, des gauchistes, des branleurs. Les passants s’effacent, La colère nous hante depuis l’origine. C’est un écho qui ne faiblit pas. 
Nous sommes treize. Des hommes forts, des hommes pâles. Rangers noires lacées haut, bombers sombres, tee-shirt blancs. Une faction. Phalanges tatouées, crânes, fraternité européenne. Nul ne s’oppose à nous, vitesse et violence rassemblées. Dans la pureté de l’instant, chacun de nos pas est une conquête. La ville, les faubourgs nous appartiennent. »

Ainsi s’ouvre la douloureuse confession d’un ancien skinhead. Falco a aujourd’hui 47 ans et il se souvient. Les vols de voiture, les agressions gratuites, les viols, les bagarres entre hooligans autour du Parc des Princes. La Meute l’a accueilli alors qu’il sortait à peine de l’adolescence. Elle est devenue sa seule famille au cœur des années 80, au moment où la France comptait pour la première fois 2,5 millions de chômeurs et où la jeunesse des classes populaires n’avait devant elle qu’un horizon bouché. Enfant de la banlieue né du mauvais coté du périph, fils d’un ouvrier licencié de l’usine Citroën de Poissy, Falco a choisi la haine : « La déroute de nos pères est la nôtre. L’accepter. Tuer ainsi le vieil homme en nous. Rentrer dans la maison de nos pères et y mettre le feu. Retourner dans la maison de l’enfance. La dévaster. Alors seulement nous serons libres, nous pourrons vivre. »

A l’aube de la cinquantaine, sans remords ni nostalgie, Falco cherche l’impossible apaisement. Le chiot enragé qu’il était a commis l’irréparable, le meurtre gratuit. Il a connu la prison, il a trahi, il est devenu un lâche, un père abandonnant son enfant sans se retourner. Aujourd’hui retiré dans les montagnes, vivant dans une caravane avec son chien, construisant pierre par pierre sa maison, il voudrait se réconcilier avec lui-même. Surtout, il voudrait comprendre sa violence, la nommer : « Qu’y a-t-il au fond de moi de sauvage, de mauvais ? Quel est ce mal ? Une force profonde, qui me précédait je crois. Qui me l’a transmise ? Une maladie présente depuis l’origine, qui surgit soudain et se déploie. Certains savent la juguler, d’autres cèdent et se laissent emporter. Ceux-là dévastent tout sur leur passage. »

L’auteur précise en préambule que les opinions qui agitent la Meute dans certaines pages du livre ne sont pas les siennes. Ce n’était pas nécessaire je pense. Ce texte est âpre, traversé par un désespoir poisseux, irrigué par une violence abjecte, mais il est impossible d’y voir une quelconque apologie de la haine ordinaire. C’est bien plus profond. Pas de fascination ni de dégoût pour le personnage, on touche ici à l'angoisse, à la peur, à « la douleur nue, les nerfs qui frottent contre l’os. La solitude. »

Ce roman est un roman social, un roman éminemment politique. Il vous heurte par ses mots crus, sa prose habitée, sa force brute. Il secoue furieusement, il interpelle, il laisse sans voix. Un choc dont on sort ébranlé, et pas qu’un peu.

Les fils de rien, les princes, les humiliés de Stéphane Guibourgé. Fayart, 2014. 200 pages. 17,00 euros.









mercredi 17 septembre 2014

Carnation - Xavier Mussat

Dessinateur formé à Angoulême, Xavier Mussat a choisi de rester sur place à la fin de ses études. En 1998, le studio dans lequel il travaille s’attaque à la réalisation du dessin animé « Kirikou et la sorcière » de Michel Ocelot. Une fois ce travail titanesque terminé, les productions suivantes, formatées pour la télévision, lui paraissent bien fades. Décidé à se lancer dans la BD, il abandonne son job et se retrouve du jour au lendemain à dépendre des ASSEDIC. C’est à cette époque que débarque dans sa vie Sylvia, jeune femme instable, fragile et un peu sauvage. Le début d’une relation tumultueuse dont il ne sortira pas indemne…

Xavier Mussat ne nous épargne rien dans cet album introspectif, disséquant la moindre parcelle de ses moments passés avec Sylvia, de leur rencontre à la rupture, du désir au rejet, de la tendresse à l’indifférence. Comment Sylvia l’a isolé de ses amis, comment elle l’a dévoré peu à peu, comment il n’a pu faire face à son instabilité chronique. Leur histoire est un grand huit permanent  dont la toxicité sonne comme une évidence mais avec laquelle ils finissent par s’accommoder. « On ne s’enferme pas dans une relation secouée de tant de dissemblances sans que quelque chose ne finisse par changer. Au début on cherche les similitudes et on s’indigne des désaccords, on essaie de tordre la matière. Et puis, ne parvenant ni à extraire ni à modifier ce corps étranger, on intègre les paradoxes. On apprend à aimer et  on se surprend à vouloir que cet amour devienne véritable. »

Deux cent quarante pages d’une mise à nue complète pour une histoire d’amour tellement tumultueuse qu’elle ne pouvait qu’être émouvante. Oui mais voila, je n’ai pas été touché une seconde par ce récit beaucoup trop intime pour moi. Sans doute parce que je déteste avoir l’impression de jouer les voyeurs. L'ensemble est aussi bien trop bavard. Joliment écrit mais avec des tonnes de récitatifs au verbiage très, très plombant.

Visuellement, par contre, c’est impressionnant. Je trouve la prise de risque formidable et je dois bien reconnaître que les nombreuses allégories présentes quasiment à chaque page sont aussi variées qu’originales.

Un exercice purificateur, une catharsis sans doute nécessaire, mais cette séance de psychanalyse géante m’a laissé de marbre. Rien à faire, je suis allergique à l’autofiction, même en BD !

Carnation de Xavier Mussat. Casterman, 2014. 247 pages. 25,00 euros.

Une lecture commune que j’ai l’immense plaisir de partager avec Mo’Ça faisait longtemps, bien trop longtemps

L'avis de Moka qui a pour sa part beaucoup aimé. L'avis de Marion.










mardi 16 septembre 2014

Rien dire - Bernard Friot

C’est un stage de préparation au bac de français. Quatre jours en rase campagne, dans un ancien pensionnat transformé en centre d’accueil pour colonies de vacances. Le soir, la prof a mis en place un petit jeu d’improvisation. Le principe : s’asseoir sur une chaise au milieu de ses camarades et parler. « De soi, de sa situation, de ses projets, de ses passions. Sans rire. » Le temps qu’une bougie se consume.

Le tour de Brahim approche. Mais il n’a rien à dire. Il ne veut rien dire. « J’arrête. J’arrache ma langue, je vide ma tête, j’écris fin. Et puis plus rien. Ce serait bien. Mais on peut pas s’arrêter de penser. Penser à rien, ça n’existe pas, c’est impossible ça. » Alors Brahim va parler. Raconter sa passion pour l’Allemagne, pour la langue et les pâtisseries allemandes surtout. Chaque été il rend visite à son oncle, à Dresde. Voila, c’est ce qu’il va raconter. Les vacances, les gâteaux allemands. Le Stollen, le Käsekuchen, la Herrentorte. Les ingrédients, le mode de préparation, la cuisson. Pendant ce temps au moins, la cire pourra fondre. Mais emporté par les mots, Brahim aborde d’autres sujets. Son statut de FOI (Français d’Origine Incontrôlé) en opposition aux FOC (Français d’Origine Contrôlé), par exemple : «  Moi je suis né en France d’une mère née en France. Mais manque de pot, mes grands-parents sont nés en Algérie. Alors ça me poursuivra jusqu’à la fin des temps, certainement. » Et là, les vannes s’ouvrent, la colère monte, Brahim change de ton…

Un bien joli texte sur la parole libérée d’un ado au départ plein de retenu dont l’armure se fendille peu à peu. L’émotion à fleur de peau, les confidences touchantes, le malaise lié à ses origines, tout s’enchaîne dans un flot ininterrompu. D’une seule voix. Une réussite de plus pour cette collection absolument incontournable.

Extrait :

« Dis rien s’il te plait, Brahim, dis rien, ça sert à rien. Te fais pas remarquer et tout ira bien. 
C’est le refrain de ma mère, pauvre mama, je t’aime, alors je ne dis rien, je presse sur mon ventre pour que ça s’enfonce tout au fond, et que ça sorte pas, hein, que ça sorte pas. Lisse, toujours lisse… Bien lavé, bien peigné, bien habillé, clean, cool, poli, propre sur moi, bon élève, délégué de classe, club de judo, groupe de rock, et aide aux devoirs pour les minots, tout comme il faut. Comme notre pelouse, devant notre pavillon de banlieue, la plus belle pelouse du lotissement, taillée aux ciseaux, pas une mauvaise herbe. Et les jardinières de fleurs sur mes rebords de fenêtres, et les rideaux lavés tous les quinze jours.  Mes pantalons bien repassés, même les jeans – non, maman, on ne repasse pas les jeans-, et les baskets nettoyées tous les samedis… Lisse, bien lisse… Même le vocabulaire, propre, bien astiqué – dis pas ça Brahim, parle correctement Brahim – Et j’obéis, oui, maman, oui, maman… Lisse, lisse, lisse… ça sert à quoi ? Je m’appelle Brahim, justement, et j’ai les yeux noirs. Et ça, ça ne s’efface pas, ça ne se lisse pas. »

Rien dire de Bernard Friot. Actes Sud Junior, 2014. 78 pages. 9,00 euros. A partir de 13 ans.


Une nouvelle lecture commune du mardi que je partage comme d'habitude avec Noukette.




lundi 15 septembre 2014

J'aurais dû apporter des fleurs - Alma Brami

Gérault est un personnage romanesque comme je les aime. La cinquantaine bien engagée, bedonnant, le crâne lisse et luisant comme une pomme, pas de femme, pas de famille, pas de boulot depuis que sa boîte a fermé... un vrai potentiel de loser magnifique !

Un repas chez un ancien camarade de collège croisé par hasard et Gérault se retrouve avec une proposition d'embauche. Le neveu du camarade cherche quelqu'un pour l'épicerie de quartier qu'il vient d'ouvrir. Un jeune trouduc qui joue au patron, qui pourrait être son fils et va lui donner des ordres à longueur de journée, le pied ! Sentimentalement parlant, Gérault fréquente plus ou moins Françoise, dont le parfum bas de gamme et les allures bobonnes le désespèrent. Il lui reste sa mère, vieille femme acariâtre qu'il déteste et à qui il rend visite de moins en moins souvent et Étienne, son seul ami, beauf bon teint et queutard invétéré qui trompe sa femme comme d'autres vont acheter du pain.

Ah oui, j'ai oublié de préciser que Gérault est aussi un lâche et un menteur. Un gars qui ne dit jamais non, s'interdit d'exprimer ce qu'il pense et refoule profondément la colère qui le consume en permanence. Sauf que le lecteur, lui, entend cette voix intérieure aussi cynique que sincère. Elle offre un délicieux décalage entre l'image qu'il donne en société et la réalité de ses pensées. Tout le sel du roman tient dans ce décalage. C'est drôle, cruel, terriblement humain. Le Gérault, on le plaint mais pas trop non plus. Une certitude, on ne l'envie pas. Mais il est touchant tant ses révoltes sont d'une évidente lucidité. Bref, le genre de personnage que j'aime vraiment beaucoup, beaucoup.

J'aurais dû apporter des fleurs d'Alma Brami. Mercure de France, 2014. 154 pages. 15,80 euros.

Extrait 

" Je vous passe votre mère, elle sera contente de vous entendre, vous devriez l'appeler plus souvent quand même. » Gros yeux autoritaires à l'autre bout du fil. La garde-malade donne des ordres, c'est nouveau ça. Mme Gros-Yeux ferait bien de se tenir à carreau si elle ne veut pas être remerciée. « Oui vous avez raison, j'essaierai. » Elle peut parler tant qu'elle veut, je n'essayerai rien du tout, je suis un fils à la hauteur de sa mère. Point final. On n'a que ce qu'on mérite il paraît."










vendredi 12 septembre 2014

Je suis très sensible - Isabelle Minière

« Le bonheur ce n’est pas d’être heureux, c’est de ne pas souffrir »

Grégoire aime se coucher tôt. Grégoire aime aller au cinéma, surtout pour voir les paysages. Grégoire aime aussi aller au bureau chaque matin. Grégoire prépare les repas d’Agathe, la prof de philo qui partage sa vie. Agathe, il trouve qu’elle fume trop, qu’elle ne mange ni ne dort pas assez. Pour autant, il n’ose pas lui dire. Grégoire n’est pas contrariant, il est toujours d’accord. Grégoire parle peu, il ne veut pas déranger. Grégoire est un gentil, un vrai. Mais avec le décès soudain du président de la république et la présence de plus en plus régulière de Vivien, un collègue d’Agathe, le monde bien ordonné de Grégoire va s’écrouler peu à peu, sans qu’il s’en rende vraiment compte…

Impayable ce Grégoire ! Élevé par une maman solo cafardeuse qui lui sortait des phrases telles que « Tu n’y peux rien Minou, mais j’aurais préféré que tu restes ou tu étais » ou encore « Je t’aurais pas connu, tu m’aurais pas manqué », le garçon est devenu un adulte aussi routinier que prévisible. Un cœur simple à la logique parfois décalée. Un homme tellement gentil qu’il en deviendrait presque inquiétant.

Un texte à la première personne qui retranscrit les événements à travers le regard innocent d’un antihéros ne pensant jamais à mal. Grégoire est drôle malgré lui. A première vue transparent, il perçoit les choses de façon originale, avec beaucoup de sensibilité, ce qui le rend très attachant. Il serait facile de se moquer ou d’être agacé par cette normalité poussée à l’extrême, cette insignifiance permanente, mais au final je suis tombé sous le charme de cette voix et de ce comportement en apparence (je dis bien en apparence !) inoffensifs.


Je suis très sensible d’Isabelle Minière. Serge Safran éditeur, 2014. 170 pages. 14,50 euros.


Un ouvrage lu dans le cadre de l'opération
 "La voie des indés" de Libfly










mercredi 10 septembre 2014

Ceux qui me restent - Damien Marie et Laurent Bonneau

Florent a beaucoup perdu tout au long de sa vie. D'abord sa femme, dont le suicide a fait de lui un père esseulé et incapable de faire face. Sa fille, ensuite. Lilie ne lui a jamais pardonné la mort de sa mère et l'a toujours tenu responsable de cette tragédie. Aujourd'hui, il voudrait la retrouver mais il ne la reconnaît plus. Son mal porte un nom terrible et glaçant : Alzheimer. La maladie n'est pas le seul sujet de cet album bouleversant. La rancœur, les non-dits, ces choses qui nous éloignent les uns des autres et n'engendrent au final que tristesse et remords sont également des thématiques abordées avec beaucoup d'habileté.

Difficile de mettre en images une mémoire défaillante. Les souvenirs surgissent par bribes, sans réelle hiérarchie. Ils s'imbriquent, se chevauchent, se télescopent, s'estompent, s'effacent. Que reste-t-il de tangible ? A quoi se cramponner ? Le récit restitue à merveille ce puzzle mémoriel dont les pièces se perdent peu à peu.

Le dessin de Laurent Bonneau, d'une grande sobriété, suggère les périodes de flottement, de vide, d'absence d'éléments temporels concrets auxquels Florent pourrait se raccrocher. Les grandes cases, très dépouillées, illustrent le "brouillard" dans lequel son esprit s'enfonce chaque jour davantage. C'est subtil et très lisible malgré l'aspect à première vue "décousu" de la narration.

Un album à lire comme une course poursuite. Contre le temps qui passe et efface. Contre une maladie impossible à vaincre. Contre l'amour perdu d'une fille à laquelle on n'a jamais, absolument jamais, cessé de penser au fil des années. Le récit émouvant d'un combat perdu d'avance, déroulé avec une intelligence et une pudeur remarquable.


Ceux qui me restent de Damien Marie et Laurent Bonneau. Grand Angle, 2014. 160 pages. 21,90 euros.


Encore une BD du mercredi que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.

Les avis de Cynthia, L'ivresse des mots, Marion et Yaneck.















mardi 9 septembre 2014

Oublier Camille - Gaël Aymon

C’est une histoire d’amour qui finit mal. Trois ans qu’ils étaient ensemble. Plus ou moins. Camille, il l’aimait à la folie depuis le collège, mais il n’a jamais su lui dire. Il a raté leur rendez-vous le plus crucial, celui où elle attendait qu’il se livre enfin. Mais il n’a pas osé et il l’a perdue.

Yanis entre en seconde et il voudrait oublier Camille. Pas simple. Pas simple de tirer un trait sur le premier amour, celui que l’on imagine forcément éternel. Son attirance pour la jeune fille est toujours restée platonique. Mais ça n’empêche pas la sincérité et l’intensité des sentiments. Le problème, c’est que ce chagrin, qu’il ne parvient pas à surmonter, perturbe son quotidien et sa scolarité. Sans doute Yanis a-t-il besoin d’un déclic pour passer le cap…

Gaël Aymon dresse avec une justesse remarquable le portrait d’un ado en plein doute. Un ado à la recherche d’une certaine forme de normalité, un ado qui voudrait se fondre dans le moule, être comme ses camarades de classe. Yanis a du mal à trouver sa place, il se sent différent. Il ne se met pas pour autant au-dessus de la mêlée, mais il comprend peu à peu que l’identité que l’on se forge nous est propre, que notre destin est individuel. Il est touchant dans le sens où il s’interroge sur sa perception particulière des choses, sa difficulté à se sentir à l’aise avec tout le monde, son incapacité à se livrer, à s’ouvrir aux autres. Sur son rapport à la sexualité aussi, son dégoût de la pornographie qui, quelque part, le marginalise : « Je ne comprends pas comment je pourrais passer avec Camille de notre amour tellement beau à ce truc… tellement crade ! J’ai trop d’amour pour elle. La toucher et l’embrasser me paraissent comme une offense. A coté de sa silhouette si pure, mon corps me semble animal, presque monstrueux. »

Si ce roman me touche me touche à ce point, c'est peut-être parce que j’ai ressemblé à Yanis à un moment donné de mon adolescence... Bref, tout ça pour dire que son histoire, je l’ai trouvée simple et belle. Surtout pas naïve, ni cucul. Un texte tout en finesse, à lire et à faire lire, aux ados et à ceux qui ne le sont plus depuis longtemps.

Oublier Camille de Gaël Aymon. Actes Sud Junior, 2014. 76 pages. 10,90 euros. A partir de 13-14 ans.

Une lecture que je partage avec Noukette et Stephie. J'espère qu'elles ont aimé autant que moi sinon je boude !




lundi 8 septembre 2014

Dans le jardin de l’ogre - Leïla Slimani

Adèle a tout pour elle. Parisienne, 35 ans, belle, journaliste, mariée à un chirurgien, maman d’un petit Lucien. En apparence, elle a tout pour elle. Mais la réalité est bien plus sombre.

Son job ? « Adèle n’aime pas son métier. Elle hait l’idée de devoir travailler pour vivre. Elle n’a jamais eu d’autres ambitions que d’être regardée. […] Elle aurait adoré être la femme d’un homme riche et absent. Au grand dam des hordes enragées de femmes actives qui l’entourent, Adèle aurait voulu traîner dans une grande maison, sans autre souci que d’être belle au retour de son mari. Elle trouverait merveilleux d’être payée pour son talent à distraire les hommes. »

Son fils ? « Lucien est un poids, une contrainte dont elle a du mal à s’accommoder. Adèle n’arrive pas  à savoir où se niche l’amour pour son fils au milieu de ses sentiments confus : panique de devoir le confier, agacement de l’habiller, épuisement de monter une pente avec sa poussette rétive. L’amour est là, elle n’en doute pas. Un amour mal dégrossi, victime du quotidien. Un amour qui n’a pas de temps pour lui-même. »

Son homme ? « Dans la rue, ils marchent vite, l’un à coté de l’autre. Ils ne se touchent pas. S’embrassent peu. Leurs corps n’ont rien à se dire. Ils n’ont jamais eu l’un pour l’autre d’attirance, ni même de tendresse, et d’une certaine façon cette absence de complicité charnelle les rassure. »

Pour affronter le quotidien, Adèle multiplie les aventures et les coucheries. N’importe où, n’importe quand, avec n’importe qui. Adèle joue les femmes fatales, elle existe à travers le regard des autres.  Le désir n’a pas d’importance. « Elle n’avait pas envie des hommes qu’elle approchait. Ce n’était pas à la chair qu’elle aspirait mais à la situation. Etre prise. Observer le masque des hommes qui jouissent. Se remplir. Goûter une salive. […] L’érotisme habillait tout. Il masquait la platitude, la vanité des choses. »

Le portrait d’une femme insatisfaite. D’une femme perdue, malade. Le portrait d’une nymphomane trompant son monde en permanence et dont la chute semble inéluctable. Leïla Slimani ne tombe pas dans la facilité et évite un enchaînement de scènes crues et gratuites auxquelles le déroulement du récit aurait pu pourtant l’autoriser. Il y a bien sûr quelques passages explicitement sexuels mais je n’y ai trouvé aucune surenchère. Pour autant, je ressors de ce premier roman à la limite de l’agacement. Le portrait de cette bourgeoisie parisienne m’a souvent semblé très caricatural. Le style froid n’a, à aucun moment, attiré mon empathie pour cette pauvre Adèle, que je me garderais bien de plaindre ou d’enfoncer. Bref, j’ai eu du mal, en tournant la dernière page, à donner du sens à cette histoire à la limite du pathétique. Mais bizarrement, j’ai aussi l’impression d’être passé à coté de quelque chose de plus profond. Bref, je suis un peu perdu.

Et je me demande si le problème vient de mon regard masculin, s’il ne faudrait pas un avis féminin pour éclairer ma lanterne. Donc, si une âme charitable veut se lancer dans ce premier roman difficile à cerner, qu’elle me fasse signe, je le ferais voyager jusqu’à elle avec plaisir.

Dans le jardin de l’ogre de Leïla Slimani. Gallimard, 2014. 215 pages.17,50 euros.

L'avis de Titou






samedi 6 septembre 2014

La chance que tu as - Denis Michelis

Il est assis à l’arrière de la voiture. La femme lui dit « Je suis ta mère et ce travail est la meilleure chose qui puisse t’arriver ». Il en déduit que l’homme au volant est son père. Tous deux le laissent devant les marches du « Domaine », une vaste maison bourgeoise avec une allée de gravier et, juste derrière, une immense forêt. Le domaine est un restaurant gastronomique. Le plus prestigieux de la région. Ses parents lui disent qu’il a été accepté comme serveur, que c’est un privilège, « presque un miracle ».

En réalité, tel le Petit Poucet, le jeune homme a été abandonné dans un milieu hostile. Dès le premier contact avec Virg, sa responsable, il se doute qu’il vient de mettre les pieds dans un nid de vipères. Ses effets personnels disparaissent mystérieusement et lorsqu’il demande à signer son contrat, on lui réplique qu’il l’a fait depuis longtemps. Commencent alors les humiliations, les engueulades et le harcèlement permanent. Du simple bizutage, on passe rapidement au degré supérieur. Le chef cuistot abuse de lui sexuellement et, pour mieux le faire obéir, on l’affuble d’un collier et d’une muselière. Avec cet attribut, il devient une attraction pour les clients, un phénomène que l’on vient voir de loin…

Un premier roman inclassable. Inclassable parce qu’au réalisme le plus cru, Denis Michelis a préféré une forme plus énigmatique, proche du conte fantastique. Le Domaine semble être un lieu hors du temps et les personnages qui l’occupent sont désincarnés, froids et pervers. Le flou temporel demeure tout au long du récit et on ne sait pas combien de jours, de semaines, de mois ou même d’années va durer la torture subie. L’escalade progressive des brimades est terrifiante, cruelle. On assiste à la construction implacable d’une victime, d’un souffre-douleur. On s’étonne du peu de réaction du pauvre garçon mais l’enchaînement des événements  prouve simplement que l’« on s’habitue à tout ».

Entre Kafka et « Le prisonnier », un texte glaçant.

« Ici au moins, il est au chaud.
Ici au moins, il est payé, nourri, blanchi.
Ici au moins, il a du travail.
L'enfermement le fait souffrir certes, mais pense un peu à tous ceux qui souffrent vraiment.
Ceux qui n'ont plus rien.
Alors que toi, tu as une situation et un toit où dormir, ça n'est pas rien tu sais.
Et tu oses te plaindre. »

La chance que tu as de Denis Michelis. Stock, 2014. 153 pages. 17,00 euros.


L’avis de Blablablamia 






vendredi 5 septembre 2014

L’été des noyés - John Burnside

Il se passe de drôles de choses sur l’île de Kvalaya, à l’extrême nord de la Norvège. En mai 2001, Mats Sigfridsson s’est noyé dans le détroit de Malagen. Dix jours plus tard, ce fut au tour de son frère de disparaître dans les mêmes conditions. Liv les connaissait plus ou moins tous les deux. Cette jeune fille, vivant avec sa mère artiste peintre dans une maison grise offrant un vue imprenable sur les prairies et la grève, aime la solitude que ce « bout du monde » lui procure. Son seul ami est Kyrre, un vieil homme qui depuis son enfance lui raconte des histoires de trolls et de sirènes. Lui est persuadé que les noyades sont l’œuvre de la « huldra », une femme à l’irrésistible beauté et aux pouvoirs maléfiques qui séduit les jeunes hommes avant de les faire disparaître. Liv est plus terre à terre, elle pense que les racontars de Kyrre ne sont pas crédibles. Pourtant, les faits qui vont s’enchaîner au fil des nuits blanches de l’été arctique feront vaciller ses certitudes…  

Un roman étonnant. Un roman d’atmosphère. Un roman psychologique. Très psychologique même. Beaucoup trop pour moi en fait. Le paysage boréal a ce petit quelque chose de fantasmagorique qui dégage une inquiétante étrangeté. Liv est la narratrice unique du récit. Et elle a parfois un comportement assez flippant ! On en vient à se demander si les disparitions ont vraiment eu lieu ou si elle nous mène en bateau. On referme le livre en se disant que Burnside, quelque part, nous encourage à ne pas choisir, nous laisse volontairement démunis et en pleine perplexité. C’est du moins ce que j’ai ressenti et c’est une impression que je n’aime pas du tout !

Finalement, les noyades ne sont que des péripéties secondaires. La quête d’identité de Liv, son passage vers l’âge adulte, la relation particulière avec sa mère et l’absence d’une figure paternelle sont les véritables thématiques du texte.

Il y a quelque chose de David Lynch dans ce roman que beaucoup pourraient qualifier de fascinant. Le problème, c’est que l’univers de Lynch m’a toujours laissé de marbre. Personnellement, j’ai trouvé cet été des noyés plus nébuleux qu’envoutant. Il n’empêche, la partition offerte par John Burnside, au-delà de réticences qui me sont propres, a tout pour plaire. Son écriture, à la musicalité particulière, est parfois proche du baroque et possède une tonalité à l’incontestable originalité. Énormément de qualités donc, mais je dois bien reconnaître qu’en ce qui me concerne, le charme n’a pas opéré. Dommage.


L’été des noyés de John Burnside. Métailié, 2014. 320 pages. 20,00 euros. 

Une fois de plus, je partage cette lecture commune avec Noukette.

L'avis enthousiaste de Cryssilda ; Celui de Jostein






jeudi 4 septembre 2014

Yparkho - Michel Jullien

Ilias est sourd et muet, comme sa mère Maria. Tous deux vivent dans une petite maison crétoise, loin de tout. Maria est en bout de course. Totalement sénile. Ilias s’en occupe comme il peut. Dans la journée, il répare les camions venus trouver secours au seuil de son petit atelier. Le soir, il pêche dans les criques avec sa vieille barque. Un jour, entre deux falaises, Ilias entend le souffle du vent : « ses deux tympans s’ouvrirent, cravachés d’un coup de grisou expulsé du puisard. Quelque chose venait de hurler qu’il reconnut pour un bruit, le premier, entré dans sa tête. Un bruit neuf, distinct, pas de ces borborygmes claustrés tout le jour dans son immense caisse de résonance intérieure […] Un son intelligible, venu de l’extérieur. » Une impression nouvelle qui le bouleverse…

Que se passe-t-il dans ce court roman ? Pas grand-chose à vrai dire. La vie qui s’écoule, paisible. Silencieuse. L’écaillage d’un mérou, la réparation d’un camion, l’agonie d’une dorade, une séance de manucure, tout est prétexte à décrire le moindre geste, le moindre mouvement. Une écriture sensorielle à l’incroyable force d’évocation. C’est poétique sans être ronflant, imagée sans tomber dans la banale compilation de descriptions. Ça pourrait être très lourd, ça pourrait être de la pure esbroufe, de l’exercice de style sans âme. C’est au contraire une déclaration d’amour à la langue et au pouvoir enchanteur des mots. On sent un auteur exigeant, orfèvre, ciselant chaque phrase avec minutie et prenant un évident plaisir à le faire. Tout est là, je pense. Michel Jullien joue avec un lexique foisonnant, il créé une musicalité qui enchante et force l’admiration. Et le lecteur de se régaler de ces petits riens si joliment troussés. Juste somptueux.

Yparkho de Michel Jullien. Verdier, 2014. 137 pages. 13,50 euros.

Quelques extraits, j’aurais pu recopier des dizaines de pages :

« Plus que le silence familial, plus que leur défaut d’ouïe, Ilias et Maria partagent le peu de choix de leur vie d’élection, cet endroit délaissé, cette maison bâtie sous un virage en épingle à cheveux dont l’accotement verse parfois sur la toiture. Mère et fils ne se voient pas, non qu’ils s’ignorent : leur mutuelle surdité les en dispense, et puis manger force à regarder en bas. Ils n’ont jamais mis au point de gestations codées, de mimes, nulle distorsion de faciès pour un verbe, nulle agitation buccale où lire un mot, pantomine de lèvres, nul mouvement impudique de langue comme l’ont les sourds discutant entre eux à qui se coupe la parole. Il ne rient ni ne se consolent. Muets au pas de la mer, ils partagent leur pudibonderie depuis une quarantaine d’années… »


« Sur la barge de peu de pente, au départ de la barque, six chats postés tenaient l’air de ne surtout pas être là, sur pattes ou mal alanguis, la babine agitée d’un flegme sardonique. […] L’un d’eux s’étira, le dos en plein cintre, comme s’il allait quitter la place mais l’alibi de l’indolence le fit s’asseoir exactement là où il venait de se lever, seigneurial et galeux. Un autre boulé sur ses croûtes se pelageait le croupion de bonne foi, l’aine béante, une gigolette en l’air, cessant soudain ses lècheries pour regarder la barque s’éloigner, une lunule de langue figée entre ses dents. »


Ma 4ème participation au challenge
1% de la rentrée littéraire





mercredi 3 septembre 2014

La mondaine T2 - Lafebre et Zidrou

Suite et fin du diptyque concocté par Zidrou et Lafebre. Où l'on retrouve l'inspecteur Louzeau, cinq ans après son arrivée à la brigade mondaine (si vous voulez en savoir plus sur le tome 1, allez faire un tour chez Noukette et Stephie).

1942. Paris sous l'occupation. La police française collabore de bon gré avec l'armée allemande. En juillet, ce sera la rafle du Vel d'Hiv. 13 000 juifs arrêtés, parqués au vélodrome d'hiver avant d'être quasiment tous déportés vers les camps de concentration. Un événement tragique de l'histoire de la seconde guerre mondiale auquel la mondaine apportera sa contribution sans rechigner. Louzeau de son coté semble dans une impasse personnelle insoluble. Valentine, la prostituée dont il est follement amoureux, refuse de s'engager avec lui. Par dépit, il demande à sa concierge de l'épouser. Mais quand il retrouve par hasard Eeva, la stripteaseuse tahitienne apparue dans le premier volume, ses plans volent en éclat. Et encore, je ne vous parle pas de ses parents...

Une fois encore avec Zidrou, on fait face à l'humanité en marche, dans toute sa complexité, ses faiblesses, ses vices et son peu de vertu. Les protagonistes, nombreux, sont tous attachants dans leur genre. Même Louzeau, un lâche pourtant qui, comme beaucoup, suivra les événements sans essayer de faire bouger les lignes. Point ici de héros ni de salauds lorsque la petite et la grande histoire se rejoignent. Juste des êtres de chair et de sang dont l'évident manque de courage apparaît à bien des égards compréhensible à défaut d'être excusable.

Pour ce qui est du dessin, le trait élégant de Jordi Lafebre restitue à merveille le Paris de l'époque.Il parvient également à faire passer beaucoup de sentiments et d'émotion dans les postures et les visages de ses personnages. Du travail d'orfèvre !

Ce diptyque épatant prouve une fois de plus que le talent de Zidrou est hors-norme et que ce scénariste n'a, à l'heure actuelle, pas d'équivalent.

Et ce n'est pas Noukette, avec qui je partage une fois de plus cette lecture commune, qui me contredira !

La mondaine T2 de Lafebre et Zidrou. Dargaud, 2014. 62 pages. 15,00 euros.




mardi 2 septembre 2014

Le premier mardi c'est permis (29) : Mémoires de Casanova T1 - Stefano Mazzotti

1789. Au crépuscule de sa vie, Casanova décide de rédiger ses mémoires. Il y raconte les nombreuses conquêtes amoureuses accumulées depuis ses seize ans mais surtout il propose une critique sans concession de la société de son époque dont il s’estime être le « produit » le plus représentatif. Ces mémoires (douze volumes dans l'édition intégrale publiée par Plon au début des années 60 !) sont donc avant tout une plongée dans les intrigues, les coulisses et les vices de l’Europe du XVIIIème siècle.
On y découvre  un Casanova individualiste forcené ne cherchant que son profit immédiat et la jouissance sans contrainte. Mielleux à souhait, déclarant le plus sérieusement du monde son amour enflammé à chacune de ses conquêtes (« j’ignorais ce qu’était le vrai amour, tu es la première femme à me révéler ce mystère ». Ben voyons…), le jeune homme profite de toutes les occasions se présentant à lui. Bellâtre, charmeur, il n’a rien contre les femmes mariées, bien au contraire (il faut dire qu’elles le lui rendent bien). Loin de toute modestie, il se peint en amant aussi attentionné qu’endurant. Duo, trio, nuits entières passées à copuler sans connaître la moindre faiblesse, le gaillard était, à l’entendre, un très, très bon coup. En même temps, ce sont ses mémoires, il a bien le droit de se donner le beau rôle, j’en ferai autant le jour où je m’attaquerai aux miennes. Le problème, c'est que les auteurs de cette adaptation en BD ne s’attardent que sur ses vantardises érotiques et masquent les aspects historiques les plus intéressants. Résultat, une succession répétitive de tableaux érotico-porno où les conquêtes s’enchaînent sans la moindre émotion. On sent en filigrane la décadence de la société de l’époque mais on reste en surface alors que cet aspect est sans aucun doute la partie la plus intéressante de l’œuvre originale. Dommage, vraiment dommage.

Et le dessin me direz-vous ? Bof, bof… Je ne connaissais Stephano Mazzotti que de nom et je trouve son trait bien trop figé pour émoustiller la rétine. Bon, ok, j’avoue, je ne le connais pas que de nom, j’ai déjà découvert ses talents en feuilletant par le plus grand des hasards (et à plusieurs reprises) les albums de la série Selen. Ça ne vous dit rien ? Laissez-moi vous rafraîchir la mémoire :


(au passage je vous conseille le très réussi « La baronne avale la fumée ». Tout est dans le titre.). Bref, revenons à nos moutons pour constater en toute honnêteté que cet album est une vraie déception. Récitatifs plombants, graphisme hyper réaliste bien trop froid pour provoquer le moindre début d’excitation et mise sous silence de la partie « documentaire » de l’œuvre, ça fait quand même beaucoup de points négatifs. Je ne sais pas quand sortira le second volume, mais ce sera sans moi.     

Mémoires de Casanova T1 : Bellino de Stefano Mazzotti. Delcourt, 2013. 62 pages. 14,95 euros.

Une déception, certes, mais que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.