samedi 30 janvier 2016

Old Pa Anderson - Hermann et Yves H.

Alors comme ça, Hermann a obtenu le grand prix à Angoulême cette année ? Attribuer la plus haute des récompenses du festival à ce vieux routier de la BD, je valide. J’aime bien Hermann, un dessinateur à l’ancienne (né en 1938), un peu bougon, un peu ours, qui vit loin des modes et des courants. Un gars qui trace son sillon sans esbroufe, qui a donné dans le western (Comanche) , le post-apocalyptique (Jeremiah), l'aventure (Bernard Prince) ou le récit historique (Les tours de Bois-Maury). Un gars qui se fiche de ce que l’on pense de lui et qui trouve que la BD actuelle est devenue « un business, une espèce d’art enveloppé de prétention et de snobisme ». Un gars qui ne se considère pas comme un artiste mais comme un artisan. Surtout, et rien ne peux me plaire davantage, un gars avec tellement peu d'amour propre qu'il a déclaré un jour se contrefoutre de savoir ce que ses œuvres deviendront une fois qu’il aura disparu. Bref, pour moi, il fait un beau gagnant !


Dans son nouvel album sorti la semaine dernière, Hermann illustre une fois de plus un scénario de son fiston Yves H. Pour être honnête, leur duo n’a pas accouché que de chefs d’œuvre, loin de là (Le diable des sept mers par exemple ou encore quelques westerns pour le moins anecdotiques).  Avec Old Pa Anderson, ils s’intéressent aux discriminations raciales dans le sud profond au milieu des années 50. Old Pa vient de perdre sa femme. Le vieil homme ne s’est par ailleurs jamais remis de la disparition de sa petite fille huit ans plus tôt. Lorsqu’il apprend que ce sont trois blancs qui l’ont enlevée, violée et tuée, il décide se venger. Conscient que ses actes vont le condamner à mort mais résolu à l’idée que, quoi qu’il arrive, il n’a plus rien à perdre, Old Pa se lance dans une odyssée tragique dont il connait l’inéluctable issue.

Rien de follement original mais l’album donne dans l’efficacité. L’ambiance poisseuse du Mississippi, le racisme ordinaire, la violence et la haine, tout y est. Et puis les aquarelles en couleur directe d’Hermann, son art du cadrage et son style très personnel en mettent plein les yeux.

Pas l’album du siècle mais une bonne occasion, pour ceux qui ne le connaîtraient pas, de découvrir le grand prix d’Angoulême 2016.

Old Pa Anderson d’Hermann et Yves H. Le Lombard, 2016. 64 pages. 14,45 euros.









vendredi 29 janvier 2016

220 volts - Sylvain Escallon

Ramon Hill a tout pour être heureux. Auteur de best-sellers, une épouse charmante, deux enfants, un niveau de vie plus que respectable… « Mais Ramon Hill, 37 ans, écrivain promis à toujours plus de succès littéraires et père de famille comblé, c’est du flan. » Parce que Ramon est en plein passage à vide. Incapable d’aligner trois mots pour faire avancer son nouveau manuscrit et incapable de gérer la crise qui secoue son couple. En désespoir de cause, madame organise une virée dans la maison secondaire de ses parents perdue en pleine cambrousse. L’occasion de se retrouver tous les deux sans les gosses et de recoller les morceaux. Arrivés sur place, les choses semblent prendre la bonne direction. Mais leur isolement met en lumière  les failles de chacun et n’apaise en rien la situation. Et quand Ramon s’électrocute en voulant réparer une prise de courant, tout déraille…

Il serait scandaleux d’en dire plus tant cette histoire enchaîne les surprises inattendues. Sachez juste que l’on a affaire à du noir très serré, très amer, sans le moindre gramme de sucre. Adapté du roman éponyme de Joseph Incardona, ce huis-clos oppressant est cruel et immoral. Peu à peu l’amertume laisse sa place à l’acidité et il reste en bouche un arrière goût de bile difficile à avaler.



J’avais découvert le noir et blanc puissant de Sylvain Escallon avec « Les Zombies n’existent pas ».Il confirme ici l’étendue de son talent, notamment cette facilité à mettre en scène une atmosphère tendue où le sordide côtoie une certaine forme de légèreté.

J’enrage de ne pouvoir vous en dire davantage, notamment pourquoi j’ai adoré le personnage de Ramon et son attitude de fieffé salopard très politiquement incorrect. Et pour ceux qui connaissent l’histoire, je précise juste qu’il ne faut y voir en aucun cas une quelconque solidarité masculine… Un album qui ne plaira clairement pas à tout le monde tellement il gratte, mais vous aurez compris que pour moi, c’est une réussite totale !


 220 volts de Sylvain Escallon. Sarbacane, 2015. 140 pages. 22,00 euros.




mercredi 27 janvier 2016

Melvile T2 : L’histoire de Saul Miller

Melvile. A peine 500 habitants. Localisation inconnue. Un bled perdu entre forêts et montagnes. J’y avais suivi avec plaisir l’histoire de Samuel Beauclair, J’y suis retourné pour découvrir celle de Saul Miller, astrophysicien, prof d’université à la retraite revenu sur les terres de son enfance. Un des rares habitants de Melvile à avoir fait des études. Aujourd’hui, Saul donne des cours particuliers à la petite Mia pendant que sa mère travaille dans la seule taverne du coin. La nuit, il admire les étoiles dans un silence de cathédrale. Un soir, des chasseurs lui demandent l’autorisation d’emprunter en voiture une route lui appartenant pour traverser la vallée plus rapidement. Saul refuse et après quelques invectives, les chasseurs rebroussent chemin mais Saul se doute qu’ils n’en resteront pas là. Une crainte malheureusement justifiée…

Une fois encore, Romain Renard centre son récit sur le rapport de l’être humain à son environnement. Le cadre verdoyant et la nature omniprésente laissent peu à peu glisser les protagonistes vers une forme de sauvagerie. La tension monte au fil des pages, l’ambiance s’alourdit et on sent venir l’explosion de violence, inéluctable. Parallèlement, et après avoir abordé la question de la filiation dans le premier volume, il s’intéresse cette fois à l’idée de transmission. Et comme dans le premier volume, il tient avec Saul un personnage complexe dont la face cachée et le passé trouble sera peu à peu révélé.

Le dessin me bluffe toujours autant. Mélange de fusain et de feutre avec certaines pages proches du photo-montage, il s’en dégage un grain très particulier avec énormément de masse et de matière, notamment dans les décors.

Melvile, c’est avant tout une ambiance. Entre grands espaces et oppression, ombre et lumière, calme et tempête. On navigue à vue, on se laisse emmener sur des chemins de plus en plus chaotiques, et finalement emporter par une puissance narrative redoutable. J'adore !

Melvile T2 : L’histoire de Saul Miller. Le Lombard, 2016. 208 pages. 22,50 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Livresse des mots et Noukette.












mardi 26 janvier 2016

Aussi loin que possible - Eric Pessan

« On est deux animaux, on a ouvert une porte, sans savoir pourquoi ni comment, on court de peur qu’elle ne se referme. »

Ils sont partis un lundi matin, sur un coup de tête, sans en avoir discuté au préalable. Zéro préméditation. Tony a compté jusqu’à trois et s’est élancé. Antoine l’a suivi. En baskets et survêtement, rien dans les poches. Ils ont quitté la cité en courant en ne se sont pas arrêtés. Ils ont couru du matin au soir, couvrant près de 400 kilomètres en cinq jours. Ils ont chapardé leur nourriture dans les supérettes, ont couché dans des maisons de vacances à l’abandon. Ils ont pris la clé des champs sur un coup de tête, l’un fuyant ce père qui le frappe et l’autre refusant de quitter la France pour l’Ukraine suite à un arrêté d’expulsion.

Un magnifique roman, ode à la liberté, fuite nécessaire pour profiter d’un présent faisant fi du passé et de l’avenir. Une course de fond motivée par la tristesse et la colère, loin d’une quelconque recherche de performance. « La course, on l’a gagnée tous les deux, ensemble, on ne saura pas lequel court le plus vite, et on ne veut pas le savoir, puisque l’on courait l’un avec l’autre, en équipe. »

Dans la tête d’Antoine, le lecteur partage  la fatigue, la peur, la douleur physique, la soif, la faim, l’entraide, les silences, le danger permanent. Il partage aussi cette incroyable sensation de lâcher prise, ce champ des possibles où l’utopie prend forme à chaque mètre parcouru.

Le texte est aérien, il respire au rythme des foulées, allie réalisme et poésie dans une langue puissante et délicate. Magnifique, vraiment.

Aussi loin que possible d’Eric Pessan. Ecole des loisirs, 2015. 140 pages. 13,00 euros.

Une nouvelle pépite jeunesse que j'ai la plaisir de partager avec Noukette.










lundi 25 janvier 2016

J’envisage de te vendre (j’y pense de plus en plus) - Frédérique Martin

Il y a cet homme qui vend sa mère sur une brocante et cet autre dont la tentative de suicide est filmée par une équipe de télévision. Il y a  ce couple qui choisit son bébé sur catalogue et cette femme, gagnante malgré elle d’un cadeau qui risque de lui pourrir la vie. Il y a celui qui va être jugé en direct à la télé par les sages de l’Organisation des Consciences Unies, celle prise en otage par une Brigade de l’eau et ce Serial Killer voyant défiler devant lui les familles de ses victimes.

Une atmosphère étrange se dégage des nouvelles de Frédérique Martin. Elle dépeint une société effrayante où les libertés individuelles ont été sacrifiées au nom d’une cause collective particulièrement liberticide. Pouvoir des médias, marchandisation à outrance, répression du féminisme aboutissant à l’interdiction de l’espace public aux femmes, sa vision d’un futur pas forcément très lointain interpelle et inquiète.

Je découvre avec ce recueil une plume à la fois  élégante et directe au charme incontestable. Quelques bémols pour chipoter : certaines nouvelles, plus classiques, apparaissent un peu « fades », notamment celle du mariage (déjà vu cent fois le coup du témoin qui se tape la mariée) et celle du déménagement. Mais pour le reste, impossible de nier la cohérence d’un recueil où apparaît une anticipation qui n’a malheureusement rien de délirant et pourrait représenter un avenir proche des plus déprimants. Et puis impossible de bouder son plaisir devant une auteure française aussi à l'aise dans l'exercice de la nouvelle, un genre que j'adore et qui est bien trop peu considéré sous nos contrées.

J’envisage de te vendre (j’y pense de plus en plus) de Frédérique Martin. Belfond, 2016. 220 pages. 17,50 euros.

Une nouvelle lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.

L'avis de Saxaoul








dimanche 24 janvier 2016

Mon cousin Momo - Zachariah Ohora

Momo l’écureuil volant arrive chez ses cousins pour les vacances. Tout le monde l’attend avec impatience mais très vite, il y a quelque chose qui coince. Momo est timide, il s’habille bizarrement, il ne sait pas jouer à cache-cache, est incapable de renvoyer la balle de ping-pong et rêvasse devant des champignons ou des insectes. En gros, il est nul, ce Momo. Et quand il entend dire qu’il n’est pas rigolo et que l’on aurait dû inviter un autre cousin à sa place, l’écureuil volant, triste et contrarié, décide de faire ses valises…

Un album sur la différence, l’acceptation de l’autre tel qu’il est, même si son « mode de fonctionnement » est très éloigné de ce dont on à l’habitude. C’est tendre et drôle, tout se termine bien, dans un élan de bonne humeur et de partage qui donne le sourire.

J’aime beaucoup le graphisme, à la fois naïf, expressif et très coloré. Les illustrations occupent des doubles pages aux angles de vue variés privilégiant les gros plans.

Un vrai plaisir de découvrir le cousin Momo et ces petites lubies bien à lui. Et un sujet dans lequel il est bon de plonger les petits lecteurs dès le plus jeune âge.

Mon cousin Momo de Zachariah Ohora. Little Urban, 2016. 32 pages. 10,50 euros. A partir de 3-4 ans.




vendredi 22 janvier 2016

La patience des buffles sous la pluie - David Thomas

Mes filles et leurs copines jouent en ce moment à la roulette russe avec des bonbons très particuliers. Je ne sais pas si vous connaissez le principe mais dans un même paquet, des bonbons de couleur identique cachent des goûts très différents comme par exemple noix de coco ou lingette, pêche ou vomi, poire ou crotte de nez, j’en passe et des meilleurs. On choisit donc au hasard avec une chance sur deux de tomber sur un truc infect. Fou rire assuré ! Et bien je trouve que c’est un peu la même chose avec les nouvelles (le fou rire en moins). Et davantage encore avec les micro-nouvelles, où l’on sait en quelques lignes si l’on est tombé sur une bonne ou une mauvaise pioche.

Avec David Thomas, maître ès micro-nouvelles, il n’y a aucune mauvaise surprise à attendre, chacun de ses textes étant divinement savoureux. J’avais déjà eu l’occasion de m’en rendre compte avec « On ne va passe se raconter d’histoire », j’en ai eu la confirmation avec ce petit recueil qui est en fait sa première publication. Dans un genre différent, Thomas me fait le même effet qu’Etgar Keret, une délicieuse sensation difficilement explicable. D’ailleurs, comme pour Keret, je me dis que j’adorerais écrire comme lui. Et avoir ce sens de l’oralité au rythme très littéraire, cette dérision, cette acidité mordante alliée à un humour aigre-doux, cette lucidité sur la vie et ses travers, cette ironie ne s’abaissant jamais au cynisme, cet art de la chute.

Au fil de ces soixante-treize textes brefs, il dresse des portraits d'hommes et de femmes aux vies ordinaires en prise avec leurs doutes, leurs convictions, leurs failles, leurs forces et leurs petitesses. Des petits riens : des lâchetés, des regrets, des mesquineries, des chamailleries de couples usés par le temps et le quotidien, des reproches que l’on se jette au visage sans prendre de gant, de la mauvaise foi. Des petits riens qui pourraient sans problèmes être les nôtres (les miens en tout cas). Mais tout cela reste incroyablement vivifiant, furieusement drôle et merveilleusement écrit.

« La patience des buffles sous la pluie fait partie de ces livres à la fois formidablement simples et sobrement raffinés qui nous rendent intelligibles à nous-mêmes, qui nous rattachent les uns aux autres, nous donnent envie de tenir debout et de nous ancrer encore plus profondément dans cette étrange activité suicidaire qu’est la vie. » Je ne pourrais jamais dire les choses mieux que Jean-Paul Dubois.

La patience des buffles sous la pluie de David Thomas. Le livre de poche, 2011. 155 pages.

Un lecture commune avec Noukette qui me tenait à cœur. Parce que ce vendredi est un peu particulier pour moi et surtout parce que c’est elle qui m’a offert ce livre à l’occasion d’une journée mémorable en sa compagnie dont je ne vous donnerais évidemment aucun détail.

Extraits :

Slip

Tu sais quoi ? Je crois qu'il va falloir inventer une façon plus sexy de mettre son slip. Parce que de te voir tous les matins plié en deux, les bras qui pendouillent et les jambes qui visent le trou, franchement, ça va pas. ça colle pas avec ton image d'homme élégant. ça casse quelque chose. Alors, je sais pas, débrouille-toi comme tu veux mais trouve une autre façon d'enfiler ton slip.

(Ma femme aurait pu écrire ce texte !!!!!)  
Passé

Pour la première fois de ma vie mon passé me surprend. J'ai envie de parler en silence. De me parler. J'ai envie que ce jeune type qui ne sait pas ce qui l'attend mais qui porte son sourire comme un laisser-passer s'avance vers moi. J'aimerais le voir arriver vers moi avec mes vingt ans de moins, s'asseoir à mes côtés, me sourire timidement, mettre ses mains dans ses poches et garder le silence. J'aimerais que ce jeune type avec mes vingt ans de moins ne me juge pas. J'aimerais qu'il me pardonne de l'avoir trahi.

Quatorze fois

Tu me fais un petit bisou ? On va se prendre un petit café ? Je fume une petite clope et on y va. Si on se faisait un petit ciné ce soir ? Ou alors on reste tranquilles avec un bon petit bouquin. Devant un petit feu... Tu sais ce qui me ferait plaisir pour les vacances ? C'est un petit voyage en Italie. T'as vu mon petit haut ? Je vais te faire une petite pipe. T'as un petit air bizarre...
En dix minutes, elle a trouvé le moyen de dire petit au moins quatorze fois. Quelque chose me dit que je ne vais rien vivre de grand avec cette fille.




jeudi 21 janvier 2016

Banquises - Valentine Goby

En 1982, Sarah, 22 ans, prend un avion à destination du Groenland. Sa famille ne la reverra jamais. Une disparition aussi soudaine qu’inexplicable laissant son père, sa mère et sa jeune sœur Lisa totalement dévastés par le chagrin. Après la stupeur vient le temps de l’incompréhension. La police penche clairement pour une disparition volontaire et refuse de lancer des recherches puisque Sarah était majeure. Le détective privé engagé par les parents ne trouve rien de concret, les mois, les années passent, et l’absence reste impossible à combler. Lisa n’était qu’une ado à l’époque des faits. Vingt-sept ans plus tard, elle décide de partir sur les traces de sa grande sœur et embarque à son tour pour le Groenland.

Vous le savez si vous passez régulièrement par ici, entre Valentine Goby et moi, il se passe un truc (même si je doute fortement qu’elle soit au courant, mais c’est un détail). Déjà, elle est charmante (un autre détail me direz-vous, n’empêche, c’est un petit plus non négligeable). Ensuite, pour avoir eu la chance de discuter longuement avec elle et pour l’avoir vue à l’œuvre avec des élèves, elle est passionnante. Alors forcément, je ne suis pas objectif quand je parle de ses livres (Mais qui l’est, finalement ?). Il y a quelque chose dans son écriture qui m’ébranle profondément. Une question de rythme et de vocabulaire. Une précision chirurgicale alliée à un lyrisme contenu. Jamais un mot de trop, tout est gratté jusqu’à l’os. Je crois que c’est de l’ordre du sensoriel et ça ne s’explique pas.

Ici elle dit l’absence, la souffrance infinie de la perte d’un enfant dont on ne peut faire le deuil. Elle décrit un grand huit permanent fait d’espoir infime et de renoncement dans un récit tout sauf linéaire où les époques se chevauchent et les personnages s’exposent sans filtre. Dans un troublant effet de miroir, la description crépusculaire d’un Groenland en pleine déliquescence, d’une population à l’agonie, résignée devant l’inéluctable disparition de leur monde, est totalement bouleversante.

Banquises est quelque part le roman de l’effacement. Effacement progressif de toutes traces de l’absente et effacement progressif d’un territoire et de ses habitants. La langue et somptueuse, l’histoire d’une infinie tristesse. Comment vouliez-vous que j’y résiste ?

Banquises de Valentine Goby. Le livre de poche, 2013. 210 pages.

Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Philisine. C’est elle qui m’a offert cet exemplaire accompagnée d’une gentille dédicace de l’auteure. D’ailleurs il me semble que tous les livres de Valentine Goby trônant sur mes étagères (Kindetzimmer, La fille surexposée, Une preuve d’amour et Méduses) sont dédicacés. Que voulez-vous, on est fan ou on ne l’est pas^^





mercredi 20 janvier 2016

L’indivision - Springer et Zidrou

Virginie et Martin sont amants. Il est célibataire, elle est mariée et a deux enfants. Virginie et Martin font l’amour passionnément, follement, depuis l’adolescence. Virginie et Martin sont frère et sœur et la situation est devenue intenable, de plus en plus difficile à vivre…

On nous vante dès la couverture un amour fou. Et je me trompe peut-être, surement même, mais je n’ai pas vu d’amour. Du désir, certes. Mais de l’amour… L’attirance physique est soulignée à de nombreuses reprises, clairement montrée même. D’ailleurs cette attirance est le cœur du problème. Alors que les sentiments, l’affection ou la tendresse n’apparaissent à aucun moment. Du moins c’est l’impression que j’ai eu.

Après, j’ai apprécié que cette relation incestueuse soit exposée sans jugement. Leur passion purement charnelle est irrésistible, déraisonnable. Une forme d’addiction quasi maladive. Ou pas. Zidrou expose les faits, et c’est au lecteur de se débrouiller. Avec sa conscience, sa morale, ses limites. Une telle alchimie a-t-elle besoin d’explication ? Je ne crois pas. Il est parfois préférable de ne pas chercher à comprendre pourquoi ni comment deux personnes viennent à se désirer follement. Il est parfois préférable de se laisser porter par ses envies sans se poser de question. En tout cas c’est ce que Virginie et Martin semblaient avoir fait jusqu’au début de l’album.

Ça aurait pu être glauque. Ça aurait pu être vulgaire, racoleur, immoral, scandaleux, dégueulasse. Sauf que Zidrou est aux manettes, donc on joue les choses en finesse. Le personnage du mari cocufié par son beau frère est touchant, les rencontres entre le frère et la sœur sonnent juste, la maison de famille, souvenirs de leurs premiers ébats, que l’un veut garder et l’autre vendre, agit de façon très symbolique sur le déroulement du récit (et donne également son titre à l’album).

Le dessin de Springer, vivant, charnel, illustre à merveille un scénario qui met en scène des individus lambda aux physiques passe partout, ni gravures de mode ni cas sociaux, classes moyennes parfaitement intégrées socialement aux existences banales. En dehors d’un petit détail qui sort quand même grandement de l’ordinaire...

Un album qui dérange, forcément. Mais qui pousse également à la réflexion sans prendre partie, loin de toute apologie ou d’une dénonciation sans nuance. Du Zidrou dans le texte, ne rechignant pas à aller sur des terrains particulièrement glissants avec une sensibilité qui n’appartient qu’à lui. Du Zidrou comme je l’aime, ni plus ni moins.

L’indivision de Springer et Zidrou. Futuropolis, 2015. 64 pages. 15,00 euros.





mardi 19 janvier 2016

Des parents de rechange - Véronique Petit

Comme souvent avec des thématiques aussi « faciles », j’ai eu peur. Peur de la douche lacrymale, des torrents de larmes que l’on aurait voulu nous arracher devant la situation de ce pauvre orphelin. Parce que oui, Adam a perdu ses parents. Sa mère est morte quand il avait six ans, son père a quitté la maison quand il en avait quatre et est décédé quand il en avait dix. Placé dans plusieurs familles d’accueil, il a fini par échouer dans un foyer. Avouez qu’il y a de quoi sortir les mouchoirs !

Sauf que. Adam va se retrouver dans une situation pas banale. Particulièrement inconfortable. A cause d’un événement tragique dont il sera la source. Je ne vous en dis pas plus mais c’est finement trouvé. Et bien mené. Sans gros sabots, par petites touches successives. Adam avance vers son rêve de trouver de nouveaux parents avec plus de doutes que d’espoir. Il se sait sur la corde raide, il imagine le pire, se persuade que le bonheur va le fuir, une fois de plus.

J’ai aimé ce roman pour, entre autres, les interrogations qu’il porte. C’est quoi une famille ? Une question de sang ? Une question de nom ? Une question d’amour ? Adam pense qu’il est un garçon que l’on ne peut pas aimer parce qu’il n’est pas parfait. Entre manque de confiance en lui et expériences passées douloureuses, il avance, fragile, face à un avenir dont les contours peinent à se dessiner nettement.

Un roman intelligent, qui n’élude aucune question et propose une conclusion des plus optimistes sans tomber dans une facilité qui lui ferait perdre toute crédibilité. Parce que les jeunes lecteurs auxquels il s’adresse ont besoin de textes positifs sans être pris pour des crétins. Intelligent, quoi.

Des parents de rechange de Véronique Petit. Rageot, 2016. 125 pages. 6.10 euros. A partir de 9 ans.

Et une nouvelle lecture jeunesse que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.








lundi 18 janvier 2016

Pékin Pirate - Xu Zechen

En sortant de prison, DunHuang n’a plus un sou en poche. Sans argent, sans famille, sans point de chute, il se retrouve à la rue sans aucune perspective concrète alors qu’une tempête de sable s’abat sur Pékin. Sa rencontre avec une vendeuse de DVD pirates va quelque peu changer la donne et lui remettre le pied à l’étrier.

Il ne pouvait que me plaire ce DunHuang. J’ai un gros faible pour les marginaux, les rois de la débrouille qui tentent de garder la tête hors de l’eau alors que la situation est des plus critiques. Des héros simples mais déterminés, plein de failles, fragiles et suffisamment lucides pour ne pas passer leur vie à se plaindre. Des pauvres types qui prennent ce qui se présente au jour le jour, des types qui savent ce que le mot précarité veut dire. J’ai adoré suivre cette errance dans les bas fonds de Pékin où chacun s’en tire comme il peut en flirtant en permanence avec l’illégalité. Rien de glauque ni de particulièrement violent mais un coup de projecteur réaliste sur une face sombre du « rêve chinois ».

DunHuang a « l’impression de vivre à l’écart, en périphérie ». Clairement, ce n’est pas qu’une impression. Malgré une histoire d’amour naissante, malgré la solidarité affichée entre marginaux, la solitude transpire à chaque page et le chacun pour soi règne en maître. Surtout ne pas se poser de question, se lever chaque matin sans penser au lendemain et faire une croix sur les illusions futiles, la philosophie de ces laissés pour compte n’a rien de zen, elle tient juste du pragmatisme le plus élémentaire.

Un roman qui se dévore et laisse en bouche un petit goût d’aigre-doux. J’ai quitté à regret DunHuang, j’aurais aimé l’accompagner davantage dans sa quête d’une vie meilleure. Mais j’ai apprécié arpenter avec lui les rues de la capitale chinoise et y découvrir un microcosme assez fascinant.

Pékin Pirate de Xu Zechen. Editions Philippe Rey, 2016. 205 pages. 17,00 euros.










samedi 16 janvier 2016

Le croque lapin - Rémi Courgeon

Trévor, il inspire le respect. Pas parce que c’est un ours. Pas parce qu’il mesure deux mètre zéro neuf. Pas parce qu’il a un appétit d’ogre (d’ailleurs il est végétarien). Mais parce que dans sa poche se trouve une petite boîte d’allumettes. Et que dans cette boîte d’allumettes se cache le terrible croque lapin. Le croque lapin, personne ne l’a jamais vu. Mais tout le monde sait que c’est un monstre qui peut dévorer une douzaine de lapins d’un seul coup.  Et le seul capable de l’arrêter c’est Trévor, qui possède une autre boîte d’allumettes contenant le mange croque lapin. Trévor est donc à la fois redouté et admiré. Surtout, on lui fiche une paix royale, pour ne pas l’inciter à sortir des allumettes de sa poche !

Une réflexion espiègle sur ces craintes irraisonnées qui peuplent l’imaginaire collectif et avec lesquelles on joue à se faire peur. Le croque lapin permet aussi aux parents de menacer les enfants pas sages, ce qui peut se révéler bien pratique parfois.

Le dessin de Rémi Courgeon, sans encrage, est simple et expressif. Il s’en dégage une grande force, rehaussée par une mise en couleur couche par couche proche de la sérigraphie.

Un album rigolo qui aborde de façon originale un sujet déjà traité mille fois. Et pour rassurer les moins courageux, sachez que jamais, au grand jamais, le terrifiant croque lapin n’apparaît au détour d’une page.

Le croque lapin de Rémi Courgeon. Belin jeunesse, 2015. 40 pages. 11,90 euros. A partir de 3 ans. 

vendredi 15 janvier 2016

Le pique-nique des orphelins - Louis Erdrich

Début des années trente à Minneapolis. Jude, Karl et Mary sont abandonnés par leur mère au cours d’une fête foraine. Jude, encore nourrisson, est enlevé sur le champ de foire par un couple en mal d’enfant. Karl et Mary, âgés respectivement de 14 et 11 ans, décident de rejoindre en train Argus, dans le Dakota du Nord, où leur tante Fritzie et son époux tiennent la seule boucherie de la ville. Karl se perd en chemin et Mary est la seule à arriver à destination…

Ce second roman de Louise Erdrich, publié à l’origine en 1986 sous le titre « La branche cassée » et proposé ici dans une nouvelle traduction, est une saga familiale s’étendant sur plus de quarante ans et trois générations. Chronique plus amère que douce, Le pique-nique des orphelins met en scène une galerie de personnages ayant pour point commun d’être tous, à leur manière, plus ou moins antipathiques. Mais  finalement peu importe, le plaisir du lecteur est ailleurs, notamment dans une narration chorale à la Faulkner où se déploient, au fil des points de vue, les affres d’existences malmenées par de forts courants contraires. Des protagonistes plein de maladresse et de ressentiments, incapables d’aimer, enchaînant les rendez-vous manqués et les désillusions dans ce petit bout d’Amérique profondément rurale dont ils ne sortiront jamais.

Louise Erdrich dresse le portrait d’une famille éclatée où chacun, tout en s’accrochant aux autres, joue sa propre partition et accumule les fausses notes. Sans cynisme, avec une pointe d’humour noir, une écriture puissante et poétique, un art consommé des dialogues et de la mise en scène. Un roman ample, riche, ambitieux, violent et beau comme ces vies se déroulant de façon chaotique au fil des décennies.

Le pique-nique des orphelins de Louis Erdrich. Albin Michel, 2016. 468 pages. 24,00 euros.

jeudi 14 janvier 2016

Je lis… donc je suis…





Un petit tag qui circule depuis quelques jours. Noukette m’a demandé de m’y coller, et comme je ne peux rien lui refuser… Le principe est simple, en théorie : Répondre aux questions posées en donnant comme réponse le titre d’un livre lu l’année dernière. J’avoue, j’ai triché pour un titre, lu en 2014 et non en 2015. Mais chhhuuuttt…

Décris toi…

Comment te sens-tu ?

Décris où tu vis actuellement…

Si tu pouvais aller où tu veux, où irais tu ? 

Ton moyen de transport préféré ?

Ton/ta meilleur(e) ami(e) est…

Toi et tes amis vous êtes…

Comment est le temps ?

Quel est ton moment préféré de la journée ? 

Qu’est la vie pour toi ?

Ta peur ?

Quel est le conseil que tu as à donner ?

La pensée du jour…

Comment aimerais-tu mourir ?

Les conditions actuelles de ton âme ?

Ton rêve ?





mercredi 13 janvier 2016

Martin Eden d’après le roman de Jack London – Aude Samama et Denis Lapière

Martin Eden, marin des bas fonds d’Oakland, est invité à dîner par un fils de bonne famille qu’il a défendu lors d’une rixe. Il rencontre au cours de la soirée la délicate Ruth, dont il tombe éperdument amoureux. Pour s’élever socialement et briller aux yeux de sa belle, Martin décide de s’instruire par la lecture.

Autodidacte forcené, travailleur acharné, Martin devient un homme cultivé et se lance dans l’écriture. Malgré ses efforts, tous ses manuscrits sont rejetés par les éditeurs. Il finit par nouer avec Ruth une tendre et sincère relation amoureuse mais lorsqu’un journal local le présente comme un socialiste après une réunion syndicale, sa fiancée rompt les ponts définitivement. Peu après, ses écrits sont publiés et connaissent un succès phénoménal. Devenu un écrivain célèbre, Martin décide de fuir le monde et de retourner en mer…

Martin, aveuglé par l’amour, désireux d’intégrer la bourgeoisie en s’élevant culturellement, va se heurter au cloisonnement des conventions de classe. Ruth, qui soutient dans un premier temps ses tentatives d’écriture, souhaite rapidement le voir s’engager dans une direction professionnelle plus stable et surtout plus conforme aux souhaits de sa famille. Elle devient  un muse néfaste qui, par conformisme, va couper les ailes de l’artiste en devenir. Après leur séparation, Martin souffre terriblement, et au moment où ses talents sont reconnus, où il obtient ce qu’il désire et peut enfin vivre de sa plume, il ne ressent que tristesse et désillusion.

Le trait d’Aude Samama, influencé par l'expressionnisme allemand, m’a rappelé celui de Nadja (« Les filles de Montparnasse »). Son travail à la gouache offre des nuances chromatiques quasi infinies. Et même si cette représentation plus proche de la peinture que du dessin a tendance à « figer » les personnages et souffre par conséquent d’un certain manque de souplesse, cela ne nuit en rien à un récit qui reste dans l’ensemble très statique.

Une belle adaptation de ce roman du désenchantement, surement le plus autobiographique de London. Un roman qui dresse le portrait en creux d’un écrivain narcissique et idéaliste sombrant dans la dépression et l’autodestruction. L’histoire ne dégouline certes pas d’optimisme béat mais dégage une forme de beauté romantique assez fascinante.

Martin Eden d’après le roman de Jack London – Aude Samama et Denis Lapière. Futuropolis, 2016. 175 pages. 24,00 euros.



La BD de la semaine,
c'est aujourd'hui chez Stephie




mardi 12 janvier 2016

Parole de papillon - Cécile Roumiguière

Kosovo, été 1999. Todor se cache au moment où les soldats arrivent chez lui. Son père est abattu sous ses yeux, sa mère emmenée. Le matin suivant Todor quitte son abri et part seul sur les routes afin de retrouver son grand frère dans la ville de Mitrovica. En chemin l’enfant souffre. De la fatigue, de la faim, du froid, de la soif. Il croise un casque bleu puis se joint à une colonne de réfugiés et arrive finalement dans un camp de la Croix Rouge…

Un magnifique petit roman. Cécile Roumiguière dit la guerre avec pudeur et sobriété. Elle dit l’horreur, la douleur, la tristesse, la peur et l’exil sans voyeurisme, sans tomber dans la facilité et jouer artificiellement sur la corde sensible. L’écriture se déroule avec fluidité en phrases courtes et descriptives à la force de suggestion imparable. Il se dégage au final du texte une infinie tendresse et beaucoup d’espoir.

L’auteure s’est inspirée de trois photos et du destin tragique de Todor Bogdanovic, enfant Serbe et Rom tué à la frontière franco-italienne en 1995. « J’ai écrit Parole de papillon avec l’idée absurde et vitale de réparer les tissus des histoires déchirées ». Où comment, grâce à la fiction, elle a offert à Todor l’avenir plein de promesses auquel la folie des hommes ne lui aura jamais permis d’accéder.

Parole de papillon de Cécile Roumiguière (ill. Léa Djeziri). Éditions du pourquoi pas, 2015. 64 pages. 9,50 euros. A partir de 9 ans.

Une première pépite de l'année que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette. Pas question de perdre les bonnes habitudes en 2016 !





lundi 11 janvier 2016

En attendant Bojangles - Olivier Bourdeaut

On ne sait pas où, on ne sait pas quand. Un petit garçon raconte. Ses parents excentriques, follement amoureux, dansant sur la chanson "Mr Bojangles" de Nina Simone. Une folie partout présente, dans un quotidien guidé par le seul plaisir, la fête et la joie de vivre. Un enfant plus spectateur qu’acteur, observateur attentif et amusé d’un tourbillon de fantaisie dans lequel il se laisse emporter, les yeux remplis d’étoiles. Mais quand la folie maternelle prend des chemins trop tortueux et la conduit à l'hôpital psychiatrique, père et fils vont tout faire pour la garder auprès d’eux, coûte que coûte.

Un texte vivifiant, d’une formidable légèreté de ton. C’est frais mais pas que. La seconde partie laisse en bouche un arrière goût doux-amer, évitant de laisser le récit au niveau de la simple comédie. En attendant Bojangles est surtout une histoire d’amour magnifique, absolue, celle d’un couple fusionnel où l’on ne peut exister sans l’autre. C’est beau et triste comme la vie, il y a du Boris Vian chez Olivier Bourdeaut, une mélancolie poétique, une sombre douceur qui touche en plein cœur.

Un premier roman audacieux, loin des modes, qui ne donne pas dans l’autofiction ou la biographie romancée, quel plaisir ! Il s’en dégage un charme désuet, un petit rien de suranné qui vous enveloppe dès les premières pages. Tout ce qu'il me fallait pour attaquer la rentrée littéraire de janvier de la meilleure des façons.

En attendant Bojangles d’Olivier Bourdeaut. Finitude, 2016. 160 pages. 15,50 euros.

Un billet qui signe ma première lecture commune de l'année avec Noukette (la première d'une très longue série,je n'ai pas besoin de le préciser^^) et ma première participation au challenge de Laure








samedi 9 janvier 2016

Karen Diablo - Mr Tan et Paul Drouin

Karen est une ado lambda. En apparence. Collégienne  populaire, déléguée de classe, entourée de copines et amoureuse d’un garçon qui l’ignore. Sauf que Karen est aussi la fille du professeur Diablo, un super-vilain mettant au point des inventions machiavéliques pour terroriser la ville. Et qu’elle l’accompagne dans ses opérations nocturnes sous le déguisement de Little Diablo. Car Karen a un pouvoir très utile pour mener à bien les plans paternels. Mais Karen grandit et s’interroge. Elle aime son père mais ne cautionne plus ses actes. Et lorsqu’elle se rend compte que Kevin, celui qu’elle aime, est membre d’une famille de super-héros ennemis jurés de la guilde des méchants dont elle fait partie malgré elle, la situation devient invivable…

Mr Tan, papa de la célèbre « Mortelle Adèle », signe ici un cross-over de sa série Zoé Super. Avec Karen Diablo, il propose une trame classique d’histoire adolescente très girly fortement influencée par les comics. Mais au-delà d’aventures matinées d’humour et d’action à tout va, il interroge sur la filiation, la difficulté d’être soi-même face à une pression parentale et un environnement  dont il paraît impossible de s’affranchir. Et il le fait avec intelligence, rendant son héroïne attachante dès les premières pages, faisant évoluer ses sentiments et ses réflexions d’une façon subtile qui parlera à coup sûr au lectorat auquel il s’adresse.

Je ne suis pas fan du dessin, clairement inspiré du manga et de l’animation, mais le trait souple et expressif de Paul Drouin couplé à son découpage  ultra dynamique est à l’évidence parfaitement adapté au rythme trépidant de chaque épisode.

Ce volume regroupe l’ensemble des vingt-quatre chapitres de la série, publiés à l’origine dans le magazine « Julie ».  Le résultat est convaincant, ce n’est pas ma pépette n°2 qui dira le contraire, elle a dévoré tout l'album d’une traite.

Karen Diablo de Mr Tan et Paul Drouin. BD Kids, 2015. 128 pages. 11,50 euros. A partir de 8-9 ans.






vendredi 8 janvier 2016

Le cœur cousu - Carole Martinez

La pétillante Framboise m’avait prévenu en me l’offrant, si je n’aimais pas SON roman chouchou, je devais me taire pour ne pas faire souffrir son petit cœur tout mou. Ce billet est donc la preuve que j’ai apprécié le voyage dans l’univers si particulier de Carole Martinez.

Les avis à propos de ce livre sont en large majorité dithyrambiques. En général ça me refroidit. Et puis j’avais déjà lu une fois cette auteure, certes en BD, mais je n’avais été que très moyennement emballé, c’est rien de le dire. Alors forcément, j’y suis allé un peu à reculons, surtout que c’est un pavé et que les pavés et moi ça fait deux. Mais bon, impossible de snober un cadeau de Framboise. Et puis avec les vacances de Noël, j’étais certain d’avoir la disponibilité d’esprit et le temps nécessaire pour lui accorder l’attention qu'il mérite. Donc je me suis lancé, sans rien connaître de l’histoire, sans me poser de questions et sans lire la 4ème de couv.

En fait, je ne sais pas comment parler de ce roman. C’est une saga familiale, une fresque, un roman fleuve, l’histoire d’une lignée de femmes possédant un don lié à une boîte mystérieuse. Mais c’est aussi tellement plus ! C’est une danse à trois temps, un voyage en trois étapes de l’Andalousie au Maghreb.

J’ai parfois pensé au soleil des Scorta à cause de l’aridité du décor, de la chaleur étouffante, du destin familial douloureux se déployant sur des décennies. J’y ai vu beaucoup de poésie, une imagination débordante, une écriture sensible et belle, pleine de retenue, de souffle et de respiration. J’ai vu l’amour sans borne de l’auteur pour ses personnages féminins et j’ai apprécié leur singularité, la richesse de leurs caractères. J’ai vu l’intrusion du fantastique et étrangement, cela ne m’a pas gêné. Sans doute parce que cette intrusion par petites touches est proche du réalisme magique sud américain que j’aime tant (l’épisode du moulin en est sans doute l’exemple le plus typique). Il y aurait tant d’autres choses à dire mais je veux rester au niveau de mon simple ressenti de lecture et ne pas rentrer dans l’exégèse. Mes deux petits bémols ? J’ai trouvé que le sort réservé aux hommes (lâches, stupides, bornés, défaillants, etc.), certes réaliste, manquait parfois de nuance. Et j’ai ressenti quelques longueurs dans la seconde partie avec les anarchistes. Mais bon, il faut bien que je pinaille un peu.

Le cœur cousu, c’est une histoire foisonnante, à la construction ambitieuse révélant un sens aigu de la narration. Je suis sorti totalement bluffé de ce premier roman aussi maîtrisé qu’audacieux. Un roman merveilleux, dans tous les sens du terme.

Un grand merci Framboise, je comprends parfaitement pourquoi ce livre t’est si cher. Et je suis touché que tu aies eu envie de partager avec moi.

Le cœur cousu de Carole Martinez. Folio, 2009. 440 pages. 9,20 euros.


Le billet de Framboise







mercredi 6 janvier 2016

La favorite - Mathias Lehmann

Cette couverture a eu sur moi un effet repoussoir quand je l’ai aperçue dans les bacs des libraires en début d’année dernière. Je trouve qu’il s’en dégage quelque chose de morbide, que cette petite fille en équilibre a un coté spectral, fragile, froid. Cette petite fille, je l’imaginais tomber, se noyer, disparaître. Morbide quoi, ni plus ni moins. Heureusement, Mo a joué les Mères Noël et a déposé cet album au pied de mon sapin. Je dis heureusement car sans elle je serais passé à coté et cela aurait été bien dommage.

Pas de résumé sur la quatrième de couverture, aucune information permettant de savoir de quoi il retourne avant de se lancer, c’est rare et ça me plait. On entre donc dans cette BD sur la pointe des pieds pour découvrir Constance, jeune fille enfermée dans le grenier du château familial par sa grand-mère et obligée d’y passer la nuit sans matelas ni couverture au milieu des araignées. Glaçant.

Constance ne sait rien de ses parents. Élevée à la dure par cette mamy acariâtre, elle ne peut trouver de soutien auprès d’un grand-père lâche et alcoolique. Constance n’a aucun contact avec l’extérieur, elle ne va pas à l’école et tâte du martinet à la moindre occasion. L’arrivée d’une famille portugaise et de ses deux enfants dans une dépendance du château va changer la donne. A leur contact, Constance va découvrir sa véritable nature. Car Constance n’est pas celle que l’on croit…

Un sujet plombant mais traité sans le moindre apitoiement, à hauteur d’enfant. Constance souffre mais elle rêve, elle s’évade, elle joue. Surtout, elle se révèle au contact des autres et face à leurs réactions. Il y a beaucoup de folie, de naïveté et de cruauté dans ce récit. Une bonne dose de méchanceté aussi, de la rancœur, de la bêtise, des secrets de famille profondément enfouis dans les placards. La tragédie en cours reste malgré tout porteuse d’espoir et laisse au final la porte ouverte à une possible reconstruction.

Le noir et blanc est d’une densité incroyable, le trait vif et souple oscille entre réalisme et caricature avec une facilité déconcertante. Mathias Lehmann ose des planches totalement déstructurées où s’insinuent des touches de fantastique. Il marche sur un fil, enchaînant les prouesses graphiques en restant constamment au service de son récit, son travail est bluffant.

Un drame social troublant, qui met mal à l’aise mais reste, dans son traitement, d’une surprenante subtilité. Un album impressionnant qui va me marquer durablement, c’est une certitude. Merci encore Mo !

La favorite de Mathias Lehmann. Actes Sud BD, 2015. 148 pages. 23,00 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Stephie.

Les avis de CanelLasardineMo et Sylire





mardi 5 janvier 2016

Le premier mardi c'est permis (44) : Osez les conseils d’un sexologue pour maîtriser votre éjaculation

J‘avais déjà abordé cette question sensible il y a quelques temps. Pas que ce sujet me passionne ou me concerne (je ne devrais même pas avoir besoin de le préciser) mais une piqûre de rappel ne peut pas faire de mal. Un sujet qui ne prête pas à sourire tant il peut être cause de souffrance pour un homme et pour un couple. Mais les solutions existent, il suffit de prendre le taureau par les cornes (l’image est un peu osée, je vous le concède, mais pas non plus hors sujet, vous verrez pourquoi si vous avez le courage de lire ce trop long billet jusqu’au bout).

J’ai adoré la partie historique de ce petit bouquin. Saviez-vous qu’en Chine, à l’époque des concubines, les femmes pouvaient obtenir le divorce si elles n’étaient pas comblées sexuellement ? Et chez les Taoïstes, il convenait de ne pas gaspiller sa semence et on conseillait aux hommes, pour garder la santé, quelques libérations occasionnelles en fonction de l’âge (pour moi par exemple, à 40 ans, je n’aurais eu droit qu’à une éjaculation tous les dix jours. Autant dire que j’aurais été incapable de respecter la prescription. Bref, passons…). Toutes les cultures et les époques sont rapidement passées en revue (Babylone, Inde, Grèce antique, monde arabo-musulman) et offrent des visions parfois très différentes de la maîtrise de l’éjaculation (sachant que jusqu’au 20ème siècle, la domination masculine impliquait le plus souvent un acte sexuel rapide où l’homme tenait le rôle de fécondateur-procréateur et ne s’inquiétait jamais du plaisir éventuel de sa partenaire).

J’avoue par contre avoir survolé la partie consacrée à l’anatomie et la physiologie. Je ne suis pas un spécialiste mais je vois à peu près comment les choses fonctionnent.

Dès le troisième chapitre, on rentre dans le vif du sujet. Le problème est simple : un homme souffrant d’éjaculation prématurée ne peut maîtriser son excitation dans la minute qui suit la pénétration. Cette impossibilité de retarder l’éjaculation est source de frustration et de détresse, elle peut même engendrer un comportement d’évitement de l’intimité sexuelle.

Les solutions ? Elles sont d’abord psychologiques. Apprendre à devenir réceptif, à apprivoiser sa "fougue", à se concentrer sur ses propres sensations érotiques. Détecter l’imminence orgasmique et maîtriser son excitation. Plus facile à dire qu’à faire puisque l’éjaculation est un réflexe et qu’une fois le processus enclenché, il est inarrêtable. En premier lieu, tout se passe dans la tête. La modulation de l’excitation est la clé, il faut savoir faire monter et descendre cette excitation sans dépasser le point de non retour. Une question de rythme, de respiration, de complicité avec sa ou son partenaire, une question de travail sur soi mais aussi de confiance en l’autre.

Les solutions plus « pratiques » peuvent aussi avoir des effets bénéfiques. Se masturber (indispensable pour l’apprentissage du « contrôle »), avoir un deuxième rapport peu de temps après avoir éjaculé (pour ceux qui ont la forme), faire des pauses en plein coït pour laisser redescendre l’excitation (pas vraiment top pour la partenaire mais qui veut aller loin ménage sa monture) ou encore privilégier certaines positions moins stimulantes (notamment celles où la femme est au-dessus de l’homme). Reste une solution radicale, le fameux squeeze ou compression du gland, à effectuer au moment de l’imminence éjaculatoire. En gros, on se retire en plein exercice et on se pince (ou on vous pince) fortement le gland avant de se remettre à la tâche. Pour le coup, la complicité avec votre partenaire doit être au top. Une pratique juste inimaginable pour moi, nanmého ! (et j’aime autant vous dire que celle qui me pincera le gland n’est pas encore née ! Bref, passons…).

Ce n’est pas forcément le bouquin que l’on offre à son mari, son chéri ou même un copain, je vous l'accorde. Ce petit guide très sérieux et parfaitement documenté est pourtant hautement recommandable tant il aborde la question avec finesse (pas comme moi dans ce billet !), tant il dédramatise, relativise et est au final porteur d'espoir. Vraiment excellent !

Osez les conseils d’un sexologue pour maîtriser votre éjaculation du Dr Marc Bonnard.  La Musardine, 2015. 220 pages. 9,90 euros.










lundi 4 janvier 2016

Neverhome - Laird Hunt

« J’étais forte, lui pas. Ce fut donc moi qui partis au combat pour défendre la République ».

Guerre de Sécession. Constance abandonne sa ferme de l’Indiana et s’engage dans l’armée nordiste à la place de son homme. Tant par amour que par conviction. Cheveux coupés, poitrine bandée, muscles saillants, Constance devient Ash, un soldat comme un autre, qui ne rechigne pas à la tâche et révèle des talents de tireur d’élite. Un soldat bien plus courageux que la moyenne, montant au front sans jamais reculer d’un pouce, se libérant après avoir été capturé par l’ennemi avant d’être interné dans un asile psychiatrique. Un soldat qui restera marqué à vie par le conflit, hanté par des fantômes  du passé (sa mère) et du présent (tous ceux croisés sur les champs de bataille).

Les historiens estiment à cinq cents le nombre de femmes s’étant travesties afin de partir combattre pendant la guerre de Sécession. Laird Hunt ne donne pas dans le documentaire, il offre un récit picaresque, le récit d’une tragédie où se côtoient la dure réalité d’un conflit abominable et des passages onirico-fantastiques. Constance/Ash n’est pas épargnée par les épreuves, par les blessures tant physiques que psychologiques. Elle souffre, se bat et survit, mais ne sortira pas indemne d’une telle épreuve.

Neverhome relate les dégâts causés par le syndrome du stress post-traumatique que personne n’était capable de nommer à l’époque. C’est aussi l’histoire d’un départ et d’un impossible retour (d’où le titre). Une sorte d’Ulysse revisité où, une fois démobilisée, Constance s’engage dans un long et sinueux périple pour retrouver son foyer et son époux. Un superbe roman à la fois épique et psychologique, proposant un regard décalé sur la guerre et tenant du conte allégorique, du monologue intérieur et de la réflexion philosophique. Laird Hunt m’avait séduit avec Les bonnes gens, il m’a littéralement enchanté avec cette plongée dans le douloureux passé de son pays.

Neverhome de Laird Hunt. Actes Sud, 2015. 260 pages. 22,00 euros.



dimanche 3 janvier 2016

Par bonheur le lait - Neil Gaiman

Parce qu’il culpabilisait d’avoir donné une image peu reluisante des pères dans « Le jour où j’ai échangé mon père contre deux poissons rouges », Neil Gaiman a décidé de rééquilibrer la balance et de mettre en scène un papa capable d’incroyables exploits. Mais à sa façon, c'est-à-dire en troussant un énorme délire où l’imagination prend le pouvoir sans limite.

Son point de départ est on ne peut plus simple : au petit déjeuner, un garçon et sa sœur constatent qu’ils n’ont plus de lait à mettre sur leurs céréales. Maman s’étant absentée pour quelques jours, c’est leur père qui file à la supérette.
Commence alors pour lui un fabuleux voyage où il va croiser, dans le désordre, des extraterrestres, des pirates, un stégosaure, des poneys pailletés, une tribu indigène, d’affreux wompires, j’en passe et des meilleurs. Tout cela en gardant en permanence la bouteille de lait au fond de sa poche parce que quoi qu’il arrive, ce super papa ne perd jamais de vue sa mission première !

Ce livre, c’est une pelote que l’on dévide en tirant sur un fil dès les premières pages. Une pelote qui se dévide de manière foutraque, inattendue, improbable, totalement folle. Plus on tire et plus tout s’enmêle dans un joyeux bazar qui garde au final une surprenante fluidité (je n'ai pas dit crédibilité !). Un vrai plaisir de se laisser mener par le bout du nez de la sorte, de rire face à des situations si inattendues, qui plus est mises en images par l'excellent Boulet.

Un seule question reste sans réponse au moment de tourner la dernière page : qu'a bien pu "réellement" faire ce papa pour mettre autant de temps à revenir de la supérette ? Vu le scénario qu'il propose à ses bambins, m'est avis qu'il a consommé quelques psychotropes particulièrement puissants. Mais ça valait la peine, assurément !


Par bonheur le lait de Neil Gaiman (ill. de Boulet). Au Diable Vauvert, 2015. 110 pages. 12,50 euros.


Les avis d'Antigone, Faelys et Noukette