vendredi 30 juin 2017

Transsiberian back to black - Andreï Doronine

Etre toxico à Saint-Pétersbourg au milieu des années 90. Pas simple. Pas simple de trouver sa dose, de trouver de l’argent, de gérer le manque. Tous les coups sont permis, toutes les compromissions, les lâchetés et trahisons possibles. Tokha agresse les passants en les frappant par derrière avec des chats congelés par le froid hivernal. Youkla, elle, ramène dans son appartement des pauvres types complètement bourrés croisés en boîte avant de les droguer et de prendre des photos compromettantes afin de les faire chanter. Marin est plus direct, du genre à arracher les boucles d’oreilles de ses victimes en embarquant leur lobe. Le narrateur de ces nouvelles, aussi irréversiblement accro que ses comparses, est le seul à bosser. Il multiplie les petits boulots, dans un théâtre, une télé locale, ou en jouant au « taxi vétérinaire » pour véhiculer les animaux malades de clients aisés. L’argent gagné (ou extorqué) sert à financer les injections quotidiennes d’héroïne et tous s’enfoncent chaque jour davantage, conscients de la chute finale à venir mais incapables de stopper la spirale infernale dans laquelle ils ne cessent de sombrer.

Andreï Doronine raconte sa vie de drogué, sa vie d’avant. Une vie bête et méchante. Une vie pathétique faite de souffrance et de douleur pour quelques instants de plénitude. Une vie passée à abandonner toute dignité, toute hygiène, toute illusion. Une vie de galère, pitoyable, misérable, violente.

L’autobiographie, à peine romancée, est trempée dans une autodérision et un humour noir qui peuvent choquer : « Comment peut-on plaisanter sur les drogues ? C’est horrible, horrible ! ». Doronine a reçu beaucoup de lettres de lecteurs indignés par sa légèreté de ton. Heureusement, il n’en a rien eu à cirer et a continué à tracer le sillon d’une tragi-comédie minable et désespérée, « sans la moindre sentimentalité inutile ». Alors oui, ça pique, et pas seulement parce que l’aiguille s’enfonce dans la veine. Mais il y a dans son écriture une urgence teintée d’ironie qui raconte la déchéance avec une forme de distance évitant le misérabilisme, évitant surtout à l’auteur de s’appesantir sur son sort. C’est cash, trash, sans concession, nihiliste. Les écrivains punks ne sont pas morts. En Russie du moins.

Transsiberian back to black d’Andreï Doronine. La Manufacture des livres, 2017. 170 pages. 16,90 euros.






mercredi 28 juin 2017

Crache trois fois - Davide Reviati

Guido, Grisou, Katango et les autres. Des ados en échec scolaire qui fréquentent le même lycée technique et laissent filer leurs journées entre virées au bar, au billard ou au bord de la rivière accompagnés par l’alcool, la fumette et un avenir à l’horizon bouché. Des gamins fascinés par la mystérieuse Loretta, une tsigane installée avec sa famille dans une ferme abandonnée. Plusieurs époques se croisent, plusieurs destins se nouent pour souligner le difficile passage de l’adolescence vers le monde des adultes.

565 pages en noir blanc. Une bonne dose de concentration et  pas mal de temps devant soi sont nécessaires pour se plonger dans ce roman graphique plein de souffle qui dit l’adolescence dans tout son ennui, son indolence, sa bêtise crasse, ses amitiés indéfectibles, sa violence, ses excès et sa fragilité. Un roman graphique qui vous embarque comme une lame de fond. Un roman graphique auquel il ne faut pas chercher à résister. Se laisser chahuter par ses remous, ses circonvolutions, son rythme fait de ruptures, d’accélérations et d’apaisement. Et ne pas s’étonner de croiser John Wayne, des loups-garous ou un singe qui se rince les couilles dans un verre de bière.

Crache trois fois incite le lecteur au lâcher prise. Le récit est à la fois profond, instructif, poétique et universel. Le racisme ordinaire des campagnes côtoie l’histoire tragique du peuple rom, la virilité affichée cache sous le vernis de la fanfaronnade une vulnérabilité à fleur de peau. Davide Reviati décrit une jeunesse italienne rurale désœuvrée, sans repère, immature, dans un noir blanc souple et hachuré, basculant du réalisme le plus trivial à un onirisme d’une grande poésie. Un album ambitieux et dense qui se mérite, certes, mais laissera au final à ceux ayant accepté de se laisser emporter par sa puissance un inoubliable plaisir de lecture.


Crache trois fois de Davide Reviati. Ici Même éditions, 2017. 568 pages. 34,00 euros.












mardi 27 juin 2017

Quart de frère, quart de sœur - Sophie Adriansen

Ça ne pouvait pas coller entre eux. L’espiègle Viviane, débarquant des Antilles avec son père, son grand frère et son excentricité avait tout pour froisser la susceptibilité d’Arthur, « détenteur du titre d’élève le plus cool de l’école depuis le CP ». Viviane, ses robes à fleurs, ses élastiques colorés dans les cheveux, sa bonne humeur permanente et ses projets pour la classe validés par l’enseignant Mr Tourniquet allaient de toute évidence faire de l’ombre à la « star » de la cour de récré. Une star bien décidée à garder son statut, quitte à se mettre à dos la nouvelle venue.

Ces deux-là n’étaient pas fait pour s’entendre, ces deux-là ne pouvaient même que se détester. Et malheureusement, ils ne pouvaient pas savoir que leurs parents divorcés allaient tomber amoureux l’un de l’autre. Et pire que tout, qu’ils décideraient de s’installer ensemble, faisant d’eux des voisins de chambrée. L’horreur !

Une série pétillante, pleine de fraîcheur et de bonne humeur malgré les chamailleries et les coups bas. Avec une touche d’humour et de légèreté qui donne le sourire, Sophie Adriansen imagine une famille recomposée où la cohabitation entre les enfants s’avère des plus difficiles. Au final, après bien des péripéties et malgré les conflits, chacun finit par se convaincre qu’il est préférable de mettre de l’eau dans son vin pour vivre au mieux sous le même toit.

La narration, alternant les voix de Viviane et d’Arthur, offre une différence de point de vue qui pimente le récit. C’est tonique, enjoué, plein d’allant et les caractères bien trempés des deux enfants réjouiront les jeunes lecteurs qui n’hésiteront pas à prendre position pour l’un ou l’autre. Une pépite jeunesse parfaite pour se détendre les zygomatiques à la veille des vacances.

Quart de frère, quart de sœur T1 : une rivale inattendue de Sophie Adriansen (ill. de Maurèen Poignonec). Slalom, 2017. 100 pages. 9,90 euros. A partir de 8 ans.
Quart de frère, quart de sœur T2 : mon pire anniversaire de Sophie Adriansen (ill. de Maurèen Poignonec). Slalom, 2017. 100 pages. 9,90 euros. A partir de 8 ans.


L'avis de Noukette













dimanche 25 juin 2017

Empress - Mark Millar et Stuart Immonen

La préface annonce un récit fortement inspiré de Star Wars. Au moins le décor est planté. Nous voila donc avec « un passé rétrofuturiste, à la fois lointain et exotique ; une héroïne noble et courageuse qui doit retourner chez elle ; des acolytes un peu loufoques qui aident la jeune femme à s’échapper ; et un étrange droïde duquel dépend le destin de la princesse ». Avec en plus aux pinceaux Stuart Immonen, dessinateur de la série Star Wars.

Le pitch est simple : la reine Emporia décide de fuir son tyran de mari, un despote faisant régner la terreur sur toute la galaxie. Aidée de son fidèle garde du corps, elle entraîne ses enfants dans une course éperdue vers sa planète d’origine, où elle pense pouvoir trouver refuge auprès de sa sœur. Mais le roi ne l’entend pas de cette oreille et se lance à ses trousses.

Si on voulait donner un peu d’épaisseur au récit, on pourrait y voir une réflexion sur la famille, une dénonciation du patriarcat, voire une prise de position virulente contre les violences domestiques. Mais on pourrait aussi se contenter de prendre ce one shot pour ce qu’il est de prime abord, à savoir une course poursuite intergalactique pleine de vaisseaux spatiaux et de cascades en tout genre. En réduisant Empress de la sorte on se retrouve avec un comics tout sauf original, multipliant les scènes de combat sur des planètes aux profils et aux populations très différents, l’ensemble étant saupoudré d’une touche d’humour au niveau des dialogues. En gros, rien de neuf sous le soleil, du vu et revu qui n’arrive pas à la cheville du somptueux Saga par exemple, qui décline à peu près les mêmes sujets (fuite, thèmes de la famille, etc.) mais d’une façon bien plus profonde et subtile.

Une variation de Star Wars qui, loin de renouveler le genre, ravira peut-être les fans de Space opera pétaradant où l’action prime sur toute autre considération. Personnellement, il ne m’en restera pas grand-chose d’ici peu, c’est une certitude.

Empress de Mark Millar et Stuart Immonen. Panini Comics 2017. 200 pages. 22,00 euros.





jeudi 22 juin 2017

Sous le ciel de l’Altaï - Juan Li

« Il y aura toujours, en certains endroits, des personnes pour vivre comme si le monde ne devait jamais changer. »

Vivre dans une yourte. Suivre les éleveurs dans leur transhumance, à la frontière de la Chine et du Kazakhstan. Juan Li, sa mère et sa grand-mère ont mené cette existence nomade pendant des années. Couturières et épicières ambulantes, ces commerçantes n’ont pas hésité à se frotter à un environnement hostile très éloigné du leur. Les contraintes climatiques, le mode de vie des autochtones, les journées à l’inéluctable monotonie, les gigantesques steppes herbeuses entourées de montagnes à arpenter, autant d’éléments auxquels il a fallu s’adapter pour trouver sa place dans une communauté en perpétuel mouvement.

Juan Li relate son quotidien : les rigueurs de l’hiver, les rencontres, les animaux, les infrastructures quasi inexistantes (banque ou poste), les ravages de l’alcool, la typologie bien plus diversifiée qu’il n’y paraît de sa clientèle. Elle raconte aussi sa brève histoire d’amour avec un camionneur, la difficulté à s’occuper d’une grand-mère vieillissante et le comportement imprévisible de sa mère. Au final, elle dresse un tableau ni cauchemardesque ni idyllique, malgré l’isolement, l’ennui et les obstacles pour faire prospérer le commerce familial, malgré les longues balades dans une nature sauvage à la beauté éblouissante et les petits moments de bonheur quotidiens.

Recueil de courts textes louant le silence, la lenteur et l’immensité d’un univers où l’homme se sent minuscule, Sous le ciel de l’Altaï est une autobiographie pleine de sensibilité qui souligne la rudesse d’une existence loin de la folie et des vicissitudes du monde moderne. Dépaysant, instructif et très touchant.

Sous le ciel de l’Altaï de Juan Li. Picquier, 2017. 170 pages. 18,00 euros.




mardi 20 juin 2017

Lectures d'été...

Alors, on lit quoi cet été ? Franchement, je n’ai pas envie de vous conseiller la moindre lecture. D’une part parce qu’il est de notoriété publique que mes goûts sont plus que douteux. D’autre part parce que tout le monde est assez grand, il me semble, pour choisir ses livres de vacances sans qu’on lui souffle un titre au creux de l’oreille. Par contre, je peux vous dire ce que j’ai prévu  de lire de mon côté. Une information d’importance somme toute relative j’en conviens, mais qui intéressera peut-être quelques curieux.

Donc pour moi dans les semaines à venir il devrait y avoir :


Les pavés de l'été



Après Confiteor l’an dernier, je sais d’avance que le pavé de l’été 2017 ne pourra pas être à la hauteur. Du coup, et même si la quantité ne remplacera jamais la qualité, j’ai choisi deux pavés, un roman et une BD. Le Goncourt de Lemaitre dans sa jolie édition de poche patiente sur mes étagères depuis trop longtemps et le premier tome de l’intégrale du comics Strangers in Paradise (plus de 600 pages), que beaucoup considèrent comme le chef d’œuvre du génialissime Terry Moore, me fait très, très, très envie.


La rentrée littéraire en avance




J’ai la chance de faire partie cette année du cercle des lecteurs du Furet du nord. Dans ce cadre, j’ai reçu 4 romans de la rentrée littéraire à venir. Je n’ai pas le droit de vous donner les titres mais sachez que pour l’instant j’en ai lu deux, un roman américain pas folichon de Gallmeister et une histoire d’éléphant rose qui m’a beaucoup plu. Il me reste un premier roman français dont la teneur historique ne m’emballe que très moyennement et un auteur français archi-connu que je n’ai encore jamais fréquenté (pour info, il y a Kennedy dans le titre…).


Le plein de BD




L’été rime toujours pour moi avec BD. C’est l’occasion de se poser dans le jardin sur un transat avec un album et un verre de rosé bien frais à portée de main pour rattraper le retard accumulé pendant le reste de l’année. Je vais donc me gaver, en commençant par dévorer les albums offerts par les copines (elles se reconnaîtront).



Autre objectif, la lecture de l’adaptation du Cid par le mythique dessinateur espagnol Antonio Hernandez Palacios. Une adaptation datant des années 70 et publiée pour la première fois dans son intégralité il y a quelques semaines.


Les oubliés de l’année passée



Comme d’habitude j’ai eu les yeux plus gros que le ventre et il me reste une douzaine de titres de la rentrée 2016. Cet été sera l’occasion de me pencher sur le cas de certains d’entre eux, à commencer par le premier roman de Gilles Marchand que plusieurs lectrices enthousiastes me recommandent avec insistance.



Voilà, le menu est copieux, certaines de ces envies de lectures resteront comme toujours à l’état d’intentions non concrétisées et nul doute que bien d’autres titres viendront se greffer entre deux mais je peux au moins me satisfaire d’avoir un semblant de programme, on va dire que c’est rassurant. 






dimanche 18 juin 2017

Les lectures de Charlotte (38) : Anna et Nougat - Kate Berube

Tous les jours après l’école, le papa d’Anna vient la chercher à l’arrêt de bus. Tous les jours après l’école, la chienne Nougat vient chercher Violette à l’arrêt de bus. Tous les jours après l’école, la maîtresse de Nougat propose à Anna de la caresser et tous les jours Anna répond « Non merci ». Jusqu’au jour où Violette annonce que Nougat a disparu. Chacun se lance alors à sa recherche. A la nuit tombée, aucune du trace du chien. Assise sur les marches de sa maison, Anna entend un drôle de bruit venant des buissons juste à côté d’elle…

Un album pour aider à dédramatiser la peur des animaux. Les dessins sont très doux, l’histoire, basée sur l’entraide, montre qu’il est parfois nécessaire de dépasser ses craintes quand la situation l’exige. C’est mignon comme tout, plein de bons sentiments, et ça fait un bien fou. Un livre pour enfants qui se conclut par un tendre câlin ne peut de toute façon qu’être hautement recommandable. Anna et Nougat est notre lecture du soir en ce moment et va à l’évidence devenir une valeur sûre de la bibliothèque de Charlotte. J’avoue que ce n’est pas pour me déplaire.




Anna et Nougat de Kate Berube. Albin Michel Jeunesse, 2017. 36 pages. 11,90 euros. A partir de 3 ans.







vendredi 16 juin 2017

Le cœur sauvage - Robin MacArthur

« Non, je ne déteste pas cet endroit ; je déteste ce qui m’arrive quand je m’y trouve. Je déteste l’attirance qu’il exerce sur moi. Le fait qu’il ne conduise nulle part ailleurs qu’à lui-même. »

Onze nouvelles qui mettent en scène des hommes et des femmes vivant en vase clos dans le Vermont, à la frontière de la civilisation et du monde sauvage. Des femmes surtout. Des filles qui aspirent à quitter cette terre natale où l’avenir ne leur réserve rien de bon, des mères depuis longtemps résignées, la plupart esseulées, dépressives et forçant sur la bouteille. On vit dans des cabanes au bord de la rivière, dans un mobile home au fond du jardin, dans une ferme aux murs branlants. Quelques légumes dans le potager, une chaise sous un arbre, la bière fraîche à portée de main. On se permet une sortie au bar, une virée en voiture le samedi soir. Rien de plus. A quoi bon de toute façon.

Des nouvelles à la première personne dominées par la solitude et la perte des illusions. C’est magnifique parce que très pudique, sans les excès de drogue ou de violence que l’on retrouve dans la plupart des ouvrages mettant en scène cette Amérique rurale pauvre, blanche et en perdition. Dans ces contrées isolées on survit sans se plaindre, on préfère le silence aux vociférations. L’écriture va à l’essentiel, mélancolique et ténue, gardant à distance les descriptions lyriques d’une nature foisonnante ou les analyses psychologiques aussi barbantes qu’inutiles.

J’ai aimé ces personnages qui touchent en plein cœur par leur vie simple, leur lucidité, leur chagrin à fleur de peau. Avec ce premier recueil de nouvelles, Robin MacArthur transforme le coup d’essai en coup de maître.

Le cœur sauvage de Robin MacArthur (traduit de l’anglais par France Camus-Pichon). Albin Michel, 2017. 220 pages. 19,00 euros.











mercredi 14 juin 2017

Marshall Bass T1 : Black & white - Darko Macan et Igor Kordey

Arizona, 1875. Premier noir devenu shérif de l’US Marshals Service, River Bass est chargé par le colonel Terrence B. Helena d’infiltrer un gang d’esclaves affranchis braqueurs de banques dirigé par l’énigmatique Milord... Pas grand-chose à ajouter pour résumer sans trop en dire ce western des plus convenus dont le scénario est aussi épais qu’une feuille de papier à cigarette. Un western qui vaut surtout pour son ambiance poisseuse et cradingue, sa violence brute et ses scènes d’action au découpage d’une redoutable précision.

Premier tome d’un diptyque inspiré de la véritable histoire du premier shérif noir des États-Unis, cet album ne joue selon moi pas assez sur le statut pour le moins particulier de son héros. Comme ne sont pas assez creusées les motivations « politiques » de ce gang d’esclaves simplement présentés comme d’incontrôlables barbares sans foi ni loi obéissant aveuglément à leur chef blanc.

En fait, j’ai eu la désagréable impression de survoler les choses, de me contenter d’enchaîner les situations de tension, d’humiliation ou de cruauté jusqu’à un bain de sang final que j’avais vu venir de loin. Un western qui brille donc davantage par son efficacité que par son originalité. C’est sans doute le but recherché, et il faut dans ce cas reconnaître que la mission est accomplie. Quoi qu'il en soit, un titre à réserver aux amateurs du genre appréciant les ambiances crépusculaires et les décors typiques de l’Ouest sauvage. Pour les autres, la lecture est dispensable...

Marshall Bass T1 : Black & white de Darko Macan et Igor Kordey. Delcourt, 2017. 56 pages. 14,95 euros.

PS : petit coup de gueule contre le résumé de la quatrième de couv qui spoile les trois quarts du scénario. En gros, si vous lisez ce résumé, il ne vous que reste douze pages à parcourir pour connaître le fin mot de l’histoire. Franchement, c’est abusé comme diraient mes filles !













mardi 13 juin 2017

Dans les dents ! Une vie d’ogre - Denis Baronnet et Gaëtan Dorémus

L’ogre Petit Georges a été mis au ban de sa communauté après avoir dévoré sa petite sœur âgée de quelques mois. Esseulé au fond des bois, il est un jour plongé dans le sommeil par un magicien. Se réveillant des siècles plus tard, l’ogre se retrouve à notre époque et se confronte aux dures réalités du monde moderne. Les randonneurs deviennent ses proies favorites mais un jour en croquant dans la jambe en acier de l’un d’eux, il perd ses dents. Un événement qui sera le point de départ d’une course poursuite infernale mettant en scène des personnages tous moins recommandables les uns que les autres.

L’ogre de cette histoire ne fait pas dans la dentelle. Il mange les enfants, les passants, tous ceux qui croisent son chemin. La policière censée mettre fin à ses agissements est plus véreuse qu’une pomme tombée de l’arbre, le bienfaiteur qui sauve Petit Georges des forces de l’ordre est un truand racketteur qui passe ses journées à récolter de petites enveloppes remplies de billets. Tout le monde cherche à tirer profit de la situation, c’est drôle et cruel, magistralement illustré par un Gaëtan Dorémus en pleine forme (la scène où Petit Georges s’imagine créer un poulailler pour humains où il irait chaque jour récupérer sa pitance comme on va chercher des œufs est de loin la plus savoureuse).

Après, l’ensemble est trépidant, les événements s’enchaînent vite, très vite, trop vite parfois, le récit semblant avancer au rythme des grandes enjambées de l’ogre. Mais peu importe cette impression de précipitation, on se laisse au final embarquer par une vague de truculence qui dévaste tout sur son passage. Les amateurs de littérature jeunesse politiquement incorrecte et d’humour noir vont se régaler, les autres peuvent passer leur chemin, cette vie d’ogre n’est à l’évidence pas destinée aux pisse-froids, qu’on se le dise !

Dans les dents ! Une vie d’ogre de Denis Baronnet et Gaëtan Dorémus. Actes sud junior, 2017. 80 pages. 15,00 euros. A partir de 8-9 ans.


Une pépite jeunesse que je partage une fois de plus avec Noukette.









dimanche 11 juin 2017

La Halle - Julien Syrac

Pantha rhei. Tout passe, le monde n’arrête jamais son mouvement. Cette expression attribuée à Héraclite, Julien ne cesse de l’entendre dans la bouche de son copain Avi .Tous deux travaillent à la halle de Marrec. Avi est serveur dans une brasserie, Julien vend des saucissons. Et à la halle, tout passe. La galerie d’art du premier étage va bientôt disparaître, remplacée par un supermarché végétalien. L’avenir est trouble, incertain. Le vendeur de saucissons raconte le dernier jour de la halle dans sa configuration « historique ». Le dernier samedi avant la fermeture de la galerie. Une dernière journée pas tout à fait comme les autres où les hommes et femmes qui font vivre la halle s’agitent, s’interrogent et, pour certains, tombent les masques…

Franchement j’ai eu peur. Peur de la rengaine du « c’était mieux avant », peur d’un roman nostalgique façon vieille France qui m’aurait agacé au plus haut point. Mais mes craintes se sont vite dissipées. Parce que ce premier roman donne avant tout dans l’acidité et l’humour vachard. Julien Syrac passe à la moulinette chacun de ses personnages. Évitant de faire de son narrateur un donneur de leçon au dessus de la mêlée, il croque de savoureux portraits à l’ironie mordante et décortique les comportements d’une « faune » de commerçants et de clients habitée par la peur et les rancœurs. C’est cynique, cruel, moqueur, désabusé, plein d’autodérision, le tout déroulé avec une nonchalance et une forme de second degré qui ne pouvait que me plaire. Une écriture de branleur, dans la veine des premiers romans de Jacky Schwartzmann et Florent Oiseau que j’avais tant aimés. De jeunes écrivains français qui ont depuis longtemps compris, comme le grand Calaferte avant eux, que « l’homme est une saloperie » et qui le démontrent avec un talent des plus savoureux.

Incroyable de constater à quel point cette plongée au cœur de la halle et de son microcosme est réaliste. Je peux vous dire que je ne regarderai plus de la même façon un vendeur de saucissons ambulant ! Un roman bien plus profond qu’il n’y paraît dont seul le dernier chapitre, tirant un peu en longueur, aurait gagné à être resserré. Pour le reste, il n’y a rien à jeter, La Halle mérite vraiment que l’on se penche sur son cas.


La Halle de Julien Syrac. La différence, 2017. 204 pages. 16,00 euros.







vendredi 9 juin 2017

Maures - Sébastien Berlendis


« A quatorze ans chacun découvre l’obsession de l’amour, les confidences nocturnes, la mélancolie et la fragilité qui séduisent. Loin de nous la froideur, l’orgueil, l’ambition, le cœur cuirassé. Je garde en mémoire le grain des peaux ; l’odeur des corps, le timbre des voix, le goût des bouches s’efface. »

Certains livres nous marquent plus que d’autres pour des raisons très personnelles. C’est le cas avec celui-ci. Sans doute parce que comme le narrateur je suis né en 1975 et parce qu’il se déroule en grande partie au cours de l’été 1989, un été que j’ai passé comme lui au bord de la méditerranée avec mes grands-parents. Comme lui j’allais chaque année au même endroit et voyais dans ces quelques semaines passées sous le soleil une parenthèse enchantée. Comme pour lui cet été restera pour moi celui de la découverte du corps des filles et des premiers émois « concrets » avec le sexe opposé. Celui aussi de la prise de conscience des disparitions à venir d’êtres proches que l’on croyait jusque-là éternels.

Au-delà de ces points communs j’ai retrouvé avec plaisir l’écriture de Sébastien Berlendis qui m’avait bouleversé avec son premier roman « Une dernière fois la nuit ». Ici la prose est moins lyrique, plus sèche, et dresse par petites touches un tableau impressionniste. La caravane, la plage, la pinède, la chaleur de l’après-midi, les nuits sans sommeil autour des feux de camp, on suit au fil des jours une vie insouciante sans la moindre aspérité. Avec cette succession de courts paragraphes ciselés au millimètre je constate une fois de plus que l’écriture minuscule m’enchante, que l’économie de moyens et d’effets est une source de ravissement lorsque la petite musique de l’auteur est déroulée sans l’ombre d’une fausse note.

Un retour sur le passé teinté d’une nostalgie qui ne laisse pas de place à la tristesse ou aux regrets. « Ces images d’une adolescence au soleil continuent de modeler mon désir et mon imaginaire » déclare le narrateur devenu quadra. A croire qu’il lit dans mes pensées…

Maures de Sébastien Berlendis. Stock, 2016. 110 pages. 14,00 euros.


PS : un grand merci à Zazy qui a eu la gentillesse de faire voyager ce livre jusqu'à moi. Je vais enfin pouvoir l'expédier à sa prochaine destinataire.






mercredi 7 juin 2017

Le travailleur de la nuit - Matz et Chemineau

Il se dit qu’Alexandre Jacob a inspiré à Maurice Leblanc son fameux Arsène Lupin. Le garçon, anarchiste humaniste et cambrioleur des « ennemis du peuple » qui s’amusait à laisser à ses victimes des petits mots plein d’ironie signés Attila avait, il est vrai, le profil idéal. D’abord marin, ses voyages autour du globe lui confirment que la réalité du monde n’est pas belle à voir. De retour sur terre, il fréquente les milieux anarchistes, devient typographe, est condamné une première fois à six mois de prison pour association de malfaiteurs et se lance dès sa libération dans la cambriole, devenant rapidement un expert en la matière avec ses camarades que la presse finira par surnommés « les travailleurs de la nuit ». Après son arrestation à Abbeville, Jacob est envoyé dans l’enfer du bagne de Guyane, où il restera 22 ans, de 1905 à 1927.

Typiquement le genre de personnage que j’aime. Ni Dieu ni maître, une conscience politique assumée, des principes moraux et des idéaux auxquels on ne déroge pas, une vie picaresque traversée par les drames et les coups durs, Alexandre Jacob est un hors-la-loi comme on n’en fait plus. Au-delà de l’image d’Épinal, Matz et Chemineau s’appliquent à présenter son parcours dans son ensemble, depuis la petite enfance jusqu’au dernier souffle, ce qui permet de mieux appréhender le cheminement qui fut le sien au fil des décennies. Vincent et Gaël Henry s’y étaient déjà essayé l’an dernier dans un album intitulé « Alexandre Jacob, journal d’un anarchiste cambrioleur » mais j’ai trouvé leur projet plus brouillon, bien moins dense et bien moins abouti graphiquement.

 Ici, Jacob possède une vraie épaisseur, sa révolte, son humour et sa lucidité le rendent attachant. Je l’ai quitté à regret cet anarchiste humaniste mais néanmoins ravi de constater qu’il a reçu avec cette BD un hommage à la hauteur de son destin hors-norme.       


Le travailleur de la nuit de Matz et Chemineau. Rue de Sèvres, 2017. 130 pages. 18,00 euros.










mardi 6 juin 2017

Tu seras un saumon, mon fils… - Shôhei Sasaki

Je n’avais encore jamais un lu un manga s’ouvrant sur un concours de branlette entre collégiens. Pas que ça me choque, hein, entendons-nous (j’ai moi-même pratiqué ce genre de « compétition » dans ma jeunesse), mais c’est surprenant. Et pourtant ce n’est rien comparé à la suite. Shion, le champion de la branlette, doit abandonner ses meilleurs copains suite à un déménagement. Nostalgique des bons moments passés avec eux, il s’astique le manche en solitaire au bord d’une rivière. Sa semence tombe à l’eau et s’en va féconder un œuf de saumon. Trois ans plus tard, Shion repasse près de la rivière et tombe sur une créature mi-homme mi-saumon, une créature qui n’est autre que son fils...

Un titre qui fait partie de la collection WTF des éditions Akata, ce qui ne surprendra personne. Franchement, l’auteur doit consommer pas mal de substances prohibées. Il doit même faire de sacrés mélanges. Que penser de ce grand n’importe quoi ? Qu’il faut le prendre comme tel, même si les lecteurs voulant garder un minimum de respectabilité pourront arguer d’une ode à la différence, d’une œuvre bien plus profonde qu’il n’y paraît ou de je ne sais quel autre argument fallacieux pour justifier leur choix de se plonger dans un tel ovni. Pas besoin de tels arguments en ce qui me concerne, il y a longtemps que ma respectabilité s'est fait la malle de toute façon.

J’assume donc. Sans problème.  Les gros délires, ça me plait. Comme j’aime savoir jusqu’où un auteur parti en vrille est prêt à aller. Impossible de rester dans le tiède avec l’homme-saumon engendré par une branlette d’ado. Alors on y va et on imagine une scène d’anthologie qui s’achève en malencontreuse éjaculation faciale dudit saumon sur son paternel. Rien que ça. Et là je me suis dit que j’en avais eu pour mon argent. Ériger le mauvais goût à un tel niveau n’est pas donné à tout le monde, je tire donc mon chapeau à l’auteur pour son audace (ou pour le choix pertinent de ses dealeurs, c’est selon).

Tu seras un saumon, mon fils… de Shôhei Sasaki. Akata, 2017. 220 pages. 7,95 euros.

PS : j'ai voulu, pour fêter les six ans du Premier mardi c'est permis de Stephie, revenir à l'esprit originel de ce rendez-vous, à savoir parler de lectures dont on n'a pas à être fier. Et je crois bien avoir trouvé l'exemple parfait^^











dimanche 4 juin 2017

Tu ne perds rien pour attendre - Janis Otsiemi

Jean-Marc Ossavou est lieutenant de police à la sureté urbaine de Libreville. Depuis que sa mère et sa sœur ont été tuées pas un chauffard ayant échappé à toute poursuite grâce à son statut de fils de ministre, Jean-Marc joue les redresseurs de tort dans les rues de la capitale gabonaise. Un soir, il prend en stop une serveuse prénommée Svetlana à la sortie d’un casino et la ramène chez elle. Le lendemain, il découvre que Svetlana est morte depuis deux ans et demi. Elle a été retrouvée étranglée dans  un ruisseau et son meurtre a été classé sans suite. Voyant dans la présence de ce fantôme dans sa voiture le signe qu’il doit rouvrir l’enquête, Jean-Marc  reprend à zéro les investigations et met le doigt dans un nid de serpents particulièrement venimeux.

Un polar africain que je ne qualifierais pas « d’exotique » tant je trouve le terme stigmatisant, mais qui garantit un vrai dépaysement.  Par son décor d’abord, par sa langue savoureuse ensuite (un français mâtiné d’expressions locales qui ne tombe jamais dans le folklore) et enfin par la description précise des liens qui unissent politiques et investisseurs étrangers dans un pays gangrené par la corruption.

La citation de Jean-Patrick Manchette en début d’ouvrage n’est pas innocente, j’ai retrouvé dans ce texte bien des aspects du néo polar à la française (le seul type de polar qui me convient vraiment pour tout dire). C’est lent, très descriptif, il ne se passe pas grand chose mais j'ai apprécié la dimension sociale relativement marquée. Une vraie découverte, un roman qui m’a sorti de mon train-train habituel et un flic gabonais que j’aurais plaisir à retrouver dans ses futures enquêtes.

Tu ne perds rien pour attendre de Janis Otsiemi. Sang Neuf (Plon) 2017. 230 pages. 15,00 euros.





vendredi 2 juin 2017

Les lectures de Charlotte (37) : Les nuits de Lison - André Bouchard

Lison a peur du noir. Il est partout dans sa chambre. A cause de lui, ses doudous la regardent bizarrement et son ombre la poursuit. Lison pense qu’il y a un crocodile sous son lit. Lison entend un moustique et s’imagine qu’il va lui sucer le sang. Lison n’a pas sommeil et veux qu’on lui lise des histoires. En fait, Lison a beaucoup de mal quand l’heure du coucher arrive. Elle n’aime pas la nuit et il n’y a que dans le lit de papa et maman qu’elle se sent en sécurité.

Elle est espiègle la petite Lison. Malicieuse diront certains. Pour moi qui connaît particulièrement bien la question puisque j’ai la même à la maison, c’est une chieuse. Mais une chieuse qui sait y faire (comme la mienne), qui connaît les points faibles de ses parents et les exploite à merveille (comme la mienne). Une chieuse à la répartie surprenante qui, quand elle vous regarde avec ses grands yeux et avance des arguments pas franchement convaincants pour se retrouver dans votre lit, vous fait fondre comme neige au soleil (comme la mienne).



Un livre au format à l’Italienne regroupant des historiettes de quatre pages. Une image par page, façon strip, un dessin aussi minimaliste qu’expressif, une héroïne moderne à la forte personnalité avec une pointe d’insolence et beaucoup de fausse naïveté pour mieux tromper son monde sans avoir l’air d’y toucher.

Autant vous dire que Charlotte adore Lison. Il y avait déjà Boris et Émile comme gamins débrouillards à la langue bien pendue dans sa bibliothèque, je ne suis pas certain qu’y ajouter Lison soit une bonne idée, mais je dois reconnaître que cet album est drôle et sonne juste. Et puis elle a passé l’âge de s’extasier devant le mollasson T'choupi ou l’encore plus mollasson Petit Ours Brun, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. En somme, mon bébé grandit, je vais devoir m’y faire…

Les nuits de Lison d’André Bouchard. Seuil jeunesse, 2017. 64 pages. 11,90 euros. A partir de 4-5 ans.