jeudi 30 août 2012

La vie de Régis de Sa Moreira (rentrée littéraire 2012)

R. de Sa Moreira ©
Au diable Vauvert 2012
Les personnages se croisent le temps de quelques lignes. Ils se succèdent de façon cohérente, la fin du propos des uns lançant celui à venir des autres. Chaque paragraphe se termine par des points de suspension permettant à ce flux ininterrompu de paroles de continuer sa route jusqu’à la dernière page. De quoi parlent ces gens ? De tout et de rien, d’un souvenir, d’une pensée qui surgit, de la description d’une scène, d’un décor. Une forme de hasard semble tirer les ficelles et mener la danse. Hommes et femmes sont ici tous plus banal les uns que les autres, même si certains s’expriment depuis l’au-delà. Ne cherchez là aucune véritable histoire, n’imaginez pas que vous pourrez ressentir une quelconque empathie pour ces anonymes qui traversent le temps d’un instant le fil du récit.

La vie est un exercice de style original. Déstabilisant de par sa forme mais malheureusement sans grand intérêt en terme de fond. J’ai juste eu l’impression de parcourir un micro trottoir géant où ceux à qui l’on donnait la parole n’avaient finalement pas grand-chose à dire. L’aspect répétitif de l’ensemble fini par lasser et la prose, si elle peu faire sourire de temps en temps, reste dans l’ensemble d’une grande platitude.

Au final, la seule chose qui m’intéresse vraiment est de savoir comment ce texte a été écrit. Est-ce que Régis de Sa Moreira a établi un plan ultra précis détaillant l’enchaînement des paragraphes ou bien a-t-il laissé son imagination prendre le pouvoir de façon totalement libre, un peu à la manière de l’écriture automatique d’un Kerouac ? Sans doute un peu des deux. J’avoue que la seule question qui me passionne au sujet de cette œuvre concerne le passage à l’acte d’écrire. Pour le reste, La vie m’a laissé de marbre.

La vie de Régis de Sa Moreira. Au Diable Vauvert, 2012. 120 pages. 15 euros.



Merci à Babelio et Au diable Vauvert pour la découverte.





Ce billet signe ma 1ère participation au défi des 100 pages
de la Part Manquante


La conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole

Printemps 1997. Faisant partie des derniers appelés du contingent à devoir effectuer le service militaire avant sa suppression définitive, je m’apprête à « faire mes trois jours » comme on disait à l’époque. Destination Cambrai pour une batterie de tests physiques et médicaux destinés à valider mon aptitude au service. Refusant obstinément de porter les armes et l’uniforme, je sais déjà que je serai objecteur de conscience, mais cela ne me dispense pas des trois jours. Avant de monter dans le train, je m’arrête dans une librairie afin de trouver un bouquin qui va m’aider à mieux supporter ce court séjour cambrésien. Déambulant dans le rayon de littérature étrangère, je tombe en arrêt devant un titre improbable mais on ne peut plus adapté à la situation : La conjuration des imbéciles, de John Kennedy Toole. Le clin d’œil est trop beau, c’est le livre que je me dois d’emmener à la caserne ! Voila donc comment j’ai rencontré, par hasard, un des plus beaux romans qu’il m’ait été donné de lire.

L’histoire de la publication de La conjuration des imbéciles est incroyable. John Kennedy Toole est né en 1937 en Louisiane. Couvé, surprotégé par une femme devenue mère à 37 ans alors que les médecins lui avaient certifiée qu’elle ne pourrait jamais l’être, le jeune garçon a très tôt développé des capacités intellectuelles au dessus de la moyenne. Devenu professeur dans un établissement de La Nouvelle Orléans, il continua à vivre chez ses parents. C’est pendant son service militaire (décidément !) qu’il rédigea La conjuration des imbéciles. Le roman fut refusé par plusieurs éditeurs, au grand dam de son auteur.

Le 26 mars 1969, à 31 ans, persuadé d’être un écrivain raté, JK Toole se suicide en inhalant les gaz d’échappement de sa voiture.

Sa mère est dévastée lorsqu’elle apprend la nouvelle. Pendant les années qui suivent, elle propose le manuscrit à de nombreuses maisons d’édition. Les refus s’enchaînent. Obstinée, Thelma Ducoing Toole décide de montrer le texte à Walker Percy, un enseignant de création littéraire à l’université de Loyola. Dans la préface de l’édition française, le professeur Percy relate cette rencontre « [elle] me tendit l’épais manuscrit. Il n’y avait pas moyen d’y couper. Il ne me restait qu’un seul espoir : qu’après avoir lu quelques pages, je les trouverais, en toute bonne conscience, assez mauvaises pour ne pas avoir à en lire davantage. D’habitude, c’est ainsi que cela se passe. En fait, le premier paragraphe suffit souvent et ma seule crainte est que celui-ci ne soit pas assez mauvais ou qu’il soit juste assez bon pour que je me sente obligé de poursuivre la lecture.

Cette fois-ci, je continuais à lire, encore et encore. Au début, avec le sentiment déprimant que ce n’étais pas assez mauvais pour en rester là. Ensuite, avec un vague titillement d’intérêt. Puis avec une excitation grandissante. Et finalement, avec une sorte d’incrédulité : il n’était pas possible que ce soit aussi bon. »

L’ouvrage est finalement publié par la Louisiana State University Press. En 1981, La conjuration des imbéciles remporte le prix Pulitzer de la fiction. A titre posthume, John Kennedy Toole, un jeune homme qui se suicida pensant être un écrivain raté, reçu la plus prestigieuse des récompenses américaines pour un roman.

Pourquoi La conjuration des imbéciles est un livre culte (au moins pour moi) ? Le roman met en scène un des personnages les plus marquants de l'histoire de la littérature américaine : Ignatius Reilly. Un gaillard de La Nouvelle Orléans surdoué intelectuellement, irascible, en révolte contre la stupidité de ses congénères, à l’égo démesuré, fainéant comme pas deux, souffrant d’importants troubles gastriques qui engendrent de nombreuses flatulences et éructations. Une sorte de Don quichotte (obèse) des temps modernes qui cherche à mener une croisade perdue d’avance contre les imbéciles de tout poil. Sa mère le pousse à trouver un travail : chacune de ses expériences professionnelles va tourner à la catastrophe. Ignatius a une petite amie, Myrna. La relation entre ces deux drôles d’oiseaux est pour le moins originale. Et puis il y a la ville. JK Toole plonge le lecteur dans sa Nouvelle Orléans. Un endroit bigarré, à l’atmosphère si particulière. On parcourt les bas-fonds avec un plaisir incroyable, croisant des personnages hauts en couleur et des endroits au charme indéfinissable. Bref, voila un roman franchement drôle, à la fois léger et profond. Après avoir dévoré les 500 pages, on referme le livre en se disant que l’on ne tombe pas tous les jours sur un tel texte. Et c’est bien dommage !


NB : la mère de JK Toole trouva dans les affaires de son fils le manuscrit d’un roman qu’il écrivit lorsqu’il avait 16 ans. La bible de néon fut publié en 1989 aux Etats-Unis. En France, les éditions 10/18 le sortirent en 1993.

La ocnjuration des imbéciles de John Kennedy Toole. 10/18, 1992. 533 pages. 9,60 €.

Ce billet signe ma première participation au challenge Romans cultes de Métaphore. La liste des titres proposés me permettra de relire quelques pépites de ma bibliothèques (Les contes de la folie ordinaire, mon chien stupide, L'étranger, Le K...) ou d'en découvrir d'autres (Des souris et des hommes, Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur...). Bref, un beau programme en perspective.


mercredi 29 août 2012

Zone blanche de Jean-Claude Denis

J-C Denis © Futuropolis 2012
La zone blanche, c’est un endroit où les portables ne passent pas. Serge Guérin en rêve de cette zone, lui qui ne supporte pas les ondes électromagnétiques. Ce soir d’hiver où une panne d’électricité paralyse la ville, Serge revit. Problème, le digicode de son immeuble étant HS, il doit se réfugier au troquet du coin puis dans le hall d’un hôtel pour fuir le froid. C’est là qu’il rencontre une charmante jeune femme. Au fil de la discussion, chacun confie à l’autre ses malheurs et ses envies de meurtre. Après avoir passé la nuit ensemble, ils décident de mettre au point un plan imparable devant leur permettre de parvenir à leurs fins. Seulement, les choses ne se passent pas toujours comme prévu…
  
Jean-Claude Denis mélange les genres, tâtant à la fois du polar et de la sociologie. Mais pas de politique, les écolos « anti-ondes » en seront pour leurs frais. Le grand prix du festival d’Angoulême 2012 ne donne pas dans la dénonciation de la nocivité des antennes-relais. Zone blanche n’est donc pas un cri d’alarme. L’auteur concède que de toute façon, il n’a jamais cherché à délivrer des messages dans ses albums : « je n’ai jamais eu qu’une seule ambition, dans mon travail : parler de la vie. » C’est en recentrant son propos sur l’ambigüité des personnages que J-C Denis tricote le nœud de son récit. Serge est-il vraiment malade ou tout simplement givré ? Et cette femme croisée au bar de l’hôtel : femme fatale sincère ou fieffée mythomane ? Leur point commun tient dans l’absolue solitude qui semble les habiter. Pour le reste, chacun gardera jusqu’au bout sa part de mystère.

L’intrigue entremêle flashbacks et retour au présent. Un procédé classique mais qui fonctionne parfaitement bien. Niveau dessin, le trait de l’auteur se reconnaît au premier coup d’œil. Comme d’habitude, il a effectué un gros travail sur la lumière,  les ombres et les clairs-obscurs pour diffuser une ambiance d’ensemble plutôt feutrée.

Zone blanche n’est sans doute pas le meilleur album de J-C Denis mais il n’empêche que sa lecture fut pour moi un agréable moment. Petite cerise sur le gâteau, la pirouette finale (merci les écureuils^^), d’une crédibilité certes discutable, est aussi inattendue que surprenante et clôture le récit avec une maestria teintée d’un soupçon de désespoir (voir pour cela les trois dernières cases).

Zone blanche  de Jean-Claude Denis. Futuropolis, 2012. 68 pages. 16 euros.



J-C Denis © Futuropolis 2012





lundi 27 août 2012

La liste de mes envies BD

Oui, je sais, j’exploite de façon honteuse le titre du roman resté en tête des meilleures ventes cet été afin d’attirer ici des personnes pas du tout intéressées par mon propos mais qui me permettront d’augmenter artificiellement les chiffres de fréquentation du blog (chiffres dont je me contrefous totalement par ailleurs, mais je ne suis pas à une contradiction près).

J’aime la fin août parce qu’elle coïncide avec la sortie du numéro spécial de la revue professionnelle Livres hebdo consacré à la rentrée BD. Tous les ans, un dossier complet présente les ouvrages prévus chez les éditeurs entre le 15 août et la fin novembre. Et autant vous dire que cette année encore, ces derniers ne vont pas faire dans la demi-mesure. Tenez-vous bien, 997 albums et 470 mangas et manhwas sont annoncés au cours de cette  période (+2,9% par rapport à 2011). A coté, la rentrée littéraire fait pâle figure avec ses 646 nouveautés.

Parmi toutes ces sorties, six poids lourds auront un tirage à plus de 200 000 exemplaires : Titeuf T13 (1 000 000 ex.) / Largo Winch T18 (450 000 ex.) / Lucky Luke (450 000 ex.) / Blake et Mortimer T21 (450 000 ex.) / XIII T21 (350 000ex.) / Le petit Spirou T16 (220 000ex.).

De mon coté, un premier balayage rapide de ce vaste programme de nouveautés m’a permis de sortir du lot quelques titres. Parmi mes lectures BD des semaines à venir, il devrait donc y avoir :  

Des titres repérés depuis longtemps :

Zone blanche de J-C Denis.

Résumé : Dans une forêt, un coup de feu trouble les émois d'un couple d'amoureux. Les jeunes gens découvrent, au pied d'un arbre, un homme gisant dans son sang. Il s'agit de Serge Guérin. L'enquête va permettre de reconstruire le passé de ce quinquagénaire qui vivait seul à Paris avec son chat et souffrait d'un mal qui le rongeait, jusqu'à ce soir de panne d'électricité où son destin a basculé.

Marcinelle, 1956 de Sergio Salma.

Résumé : Marcinelle, Belgique, 8 août 1956. Parce qu’un wagonnet de charbon a été mal encagé dans un ascenseur, un incendie se déclare accidentellement au charbonnage Le Bois du Cazier. Il déclenche une catastrophe : 262 hommes de la mine y laissent la vie. À travers l’itinéraire de l’un de ces mineurs, Pietro, immigré italien, Sergio Salma retrace avec justesse et sensibilité les quelques mois qui ont précédé ces événements tragiques et le quotidien de cette communauté de travail. Pietro, pourtant marié et père de famille, croise la route d’une femme qui va dévier le cours de son existence… Il manquera même une journée de travail. 

Titeuf T13 : à la folie de Zep.

Ben oui, j'adore Titeuf, et alors ? Pas question de rater son nouvel album, na !

Résumé : Hé, vous savez quoi ? Dans l’école de Titeuf, paraît qu’il y a une nouvelle ! Paraît qu’elle est super grande et qu’elle s’appelle Ramatou. Elle parle pas très bien français, c’est parce qu’elle vient du Brougalistan ou un truc comme ça ! Et paraît que les soldats ont massacré toute sa famille… Paraît aussi que Titeuf pense tout le temps à elle !


Moi, René Tardi, prisonnier de guerre du Stalag II B de Jacques Tardi.

Résumé : Adaptation par J. Tardi de carnets dans lesquels son père a consigné ses souvenirs à propos de sa jeunesse, de la Seconde Guerre mondiale et de sa captivité en Allemagne.





Quelques madeleines de Proust : 

Pépito, intégrale T1 de Luciano Bottaro
Résumé : Pépito entre dans la tradition des bandes dessinées pour enfants en petit format, peu onéreux et vendu dans les kiosques et dans les gares.
Parfaitement iconoclaste, gentiment anarchiste, le mot d'ordre de la série est de défier l'autorité, sans relâche et avec un humour décapant! Pépito est un personnage libertaire qui promet à ses jeunes lecteurs une vie bien plus amusante que celle qu'incarne le gouverneur de Las Bananas. Bête, rigide, autocentré, autoritaire, il représente à lui seul tout ce qu'enfants comme adultes peuvent détester chez les détenteurs du pouvoir.

Chlorophylle, intégrale T1 de Raymond Macherot

Résumé : Le lérot Chlorophylle et ses amis mènent une vie paisible au milieu des prés. Mais le rat noir Anthracite est bien décidé à régner en maître sur la région. Chlorophylle tente alors de réagir.





 
Et pour finir des titres déjà lus ou en cours de lecture grâce aux prépublications dans la presse :

Texas Cowboys de Bonhomme et Trondheim

Résumé : Harvey Drinkwater, journaliste de Boston, est envoyé au Texas pour faire un reportage sur le Hell's half acre, la région la plus dangereuse du pays. Il décide d'en profiter pour se venger de l'ex-mari de sa mère, pour s'enrichir et pour trouver l'amour...



Jérôme Moucherot T5 de Boucq

Résumé : La vie moderne comporte bien des dangers. Jérôme Moucherot, grand fauve conquérant de l'impossible, mâle dominant au sommet de la pyramide de l'évolution (selon Leonard de Vinci lui-même!) a réussi à les braver pour en tirer parti. Parfaitement adapté à son milieu, il traque sans pitié les victimes de l'insécurité de la jungle urbaine. Cet album propose une étude scientifique de haut niveau sur ce remarquable spécimen à l'autorité naturelle incontestable.


JKJ Bloche T23 de Dodier

Résumé : Jérôme a affaire à un maître-chanteur qui exige qu'un chèque soit remis au profit d'une bonne oeuvre. Cette affaire met la paroisse du père Arthur en ébullition. Pour parvenir à ses fins, l'escroc utilise en effet des secrets qui sortent tout droit du confessionnal.





Les tuniques bleues T56 de Lambil et Cauvin

Résumé : La carrière de Chesterfield s'achève et les querelles avec Blutch sont maintenant terminées. Il doit à présent retourner à la vie civile et épouser la mère de sa fille.








Ça fait dix pour l’instant. Nul doute que certains autres viendront se greffer à cette liste au fil de mes pérégrinations sur les blogs. Une fois de plus, l’automne sera BD ou ne sera pas !

PS : Ceux qui passent ici souvent noteront que le nouveau Chabouté ne figure pas dans cette liste. Trente euros pour un pavé de 330 pages sans texte où le décor et l’histoire se réduisent à un banc public qui voit défiler les gens au fil de heures, des jours, des saisons et des années, c’est trop conceptuel pour moi.


dimanche 26 août 2012

Le rabbin congelé de Steve Stern (rentrée littéraire 2012)

Stern © Autrement 2012
Pologne, 1889. En plein hiver, le rabbin Eliezer ben Zephyr meurt en tombant dans une mare gelée. Un siècle plus tard, à Memphis, Bernie Karp, ado américain décérébré, retrouve le rabbin dans le congélateur familial. Lorsqu’une coupure de courant survient pendant l’absence de ses parents, Bernie voit le vieil homme dégeler et se réveiller bien vivant...

A lire le résumé, on se dit qu’il y a du Hibernatus dans ce rabbin congelé. Un Hibernatus juif dont la dépouille, préservée telle une relique sacrée, s’est transmise de génération en génération, de Lodz à New York et de New York à Memphis. Steve Stern remonte le fil de l’épopée du rabbin à travers le 20ème siècle. L’histoire de sa famille « protectrice » est picaresque à souhait. Alternant les bonds dans le passé et les événements du présent vécus par Bernie, le récit met en lumière à la fois la quête d’intégration d’expatriés juifs et les errements d’un gamin grassouillet n’ayant aucune connaissance de l’histoire de sa communauté. En fin connaisseur de la culture et des traditions juives, Steve Stern tisse d’esprit ironique et d’humour yiddish les péripéties de cette fresque polyphonique savoureuse.

Au final, ce Rabbin congelé habilement construit, même s’il souffre parfois de quelques longueurs, permet aux lecteurs français de découvrir un auteur dont le talent et la verve n’ont à l’évidence rien à envier à l’excellent Jérôme Charyn.

Le rabbin congelé de Steve Stern. Autrement, 2012. 512 pages. 23 euros.




Ouvrage lu dans le cadre de l’opération "On vous lit tout", organisée par Libfly et le Furet du Nord.




vendredi 24 août 2012

Le lynx de Silvia Avallone (rentrée littéraire 2012)

Avallone © Liana Levi 2012
« - Mais toi, pourquoi tu voles ? »
« - Parce que j’ai un lynx dans le sang. Parce que quand je m’approche d’une banque, ou d’une poste, et que je sais que l’instant d’après je serai à l’intérieur avec mon calibre à la main, et que je les obligerai à me refiler tout leur fric, je me sens vivant, je me sens un lynx. »

Piero est un petit malfrat proche de la quarantaine. Un gars qui a déjà connu la taule et qui passe ses journées à conduire des voitures de sport volées. Un homme, un vrai, qui aime les femmes et qui ne s’intéresse plus depuis longtemps à la sienne, aussi laide qu’apathique. Une nuit, alors qu’il s’apprête à braquer une station service, il tombe sur un ado androgyne qui lui demande s’il peut utiliser son portable. Ce gamin blond, maigrelet, aux yeux « d’un bleu indéfinissable proche de la glace », l’intrigue et l’électrise. Piero lui propose de le raccompagner chez lui. L’autre accepte. Le lendemain, Piero lui achète un smartphone et décide de lui apporter. Commence alors entre les deux une relation étrange, un véritable tournant dans la vie de Piero...

Sacrément séduit par ma découverte très récente de Silvia Avallone, je profite de cette rentrée littéraire pour me plonger dans ce court récit inédit paru à l’origine dans la presse transalpine. L’auteure dépeint une fois de plus les affres de cette Italie de Berlusconi où les femmes sont soit bigotes soit bimbos et où la figure du macho prédomine toujours autant. Si le récit est poignant, on a toutefois l’impression que Silvia Avallone s’amuse à faire succomber le dur à cuire Piero au charme du jeune éphèbe Andréa. Une façon subtile de désacraliser le mythe du bellâtre incapable d’exprimer le moindre sentiment.

Un très joli texte qui se lit malheureusement trop vite. A quand un vrai recueil de nouvelles, madame Avallone ?

Le lynx de Silvia Avallone, Liana Levi, 2012. 60 pages. 4 euros.

L'avis de Clara

 
 
Et une nouvelle contribution au challenge il viaggio de Nathalie
 

jeudi 23 août 2012

Marcus de Pierre Chazal (rentrée littéraire 2012)

Chazal © Alma 2012
Allez zou, c’est parti. Cette semaine signe le début de la rentrée littéraire (et pour moi la fin des vacances, mais c’est une autre histoire…) et les nouveautés alléchantes se bousculent déjà sur les tables des libraires. 646 romans français et étrangers vont paraître d’ici le mois d’octobre.  Je compte en lire entre 15 et 20, comme chaque année. Sur ma liste 2012, Laurent Gaudé, Jérôme Ferrari, Silvia Avallone, Pedro Juan Gutiérrez, Christophe Donner, Jean-Michel Guenassia, Claire Keegan et quelques autres qui ne manqueront de tomber dans mon escarcelle au gré de mes pérégrinations sur les blogs.

En attendant, on commence en douceur avec Marcus, un premier roman de Pierre Chazal que j’ai reçu au mois de juin dans le cadre de l’opération On vous lit tout », organisée par Libfly et le Furet du Nord.

A Lille, lorsque la mère de Marcus se jette du haut d’un pont, le garçon se retrouve seul au monde. Pris en charge par Pierrot, le meilleur ami de la défunte, l’enfant se renferme sur lui même. Pour Pierrot aussi le choc est rude à encaisser. L’arrivée de Marcus bouleverse ses habitudes de célibataire endurci. Peu à peu, ces deux écorchés vifs vont apprendre à mieux se connaître et découvrir que leur vie commune peut être source de bonheur. Mais une fois de plus, le destin s’en mêle et Pierrot, accusé de meurtre, se retrouve derrière les barreaux. Entre les murs, il tente de survivre et surtout il s’accroche à cette certitude : dehors, Marcus l’attend…

Un roman qui donne la parole aux sans grades, aux laissés-pour-compte qui, jamais, ne connaîtront les feux de la rampe. Ces gens-là, comme le chantait Brel, sont  à la fois attachants, généreux et bons vivants. Pour autant, Pierre Chazal a l’intelligence de ne pas les idéaliser. Sous sa plume, la voix de Pierrot raisonne avec force. Son narrateur est un gars du nord qui raconte ce qui lui vient, comme ça lui vient. Un style direct et moderne qui colle parfaitement au propos.  

Un premier roman plein de vie et souffrant de quelques imperfections mais qui laisse au final une impression des plus positives.

Si vous souhaitez découvrir ce titre, je veux bien le faire voyager. Contactez-moi par mèl en me laissant vos coordonnées et le tour est joué.

PS : mon exemplaire n’est pas celui disponible en librairie, ce sont les épreuves non corrigées mais au final cela ne change strictement rien.

Marcus de Pierre Chazal. Alma éditeur, 2012. 330 pages. 17 euros.



Ce billet signe ma 1ère contribution au
challenge 1% rentrée littariare de Mimi et Hérisson
 
 

et une nouvelle participation au défi 1er roman de Anne



mercredi 22 août 2012

Kick Ass 2 T1 : Restez groupés !

Millar et Romita Jr
© Panini 2012 
J’avais beaucoup aimé le premier diptyque de Kick-ass, l’histoire de Dave, cet ado lambda qui décide de devenir un super héros. Évidemment, il n’a aucun pouvoir mais il décide quand même d’enfiler une tenue moule-burnes et de partir chaque soir défendre la veuve et l’orphelin. Évidemment, les choses se passent très mal et il reçoit une raclée mémorable qui l’envoie à l’hosto pour plusieurs mois. Pas découragé pour autant, il retourne patrouiller dans les rues et devient un phénomène sur Youtube. Son association avec Hit-Girl (une gamine d’à peine dix ans) et Big Daddy, eux aussi justiciers masqués, va le mener à un terrible affrontement final avec des sbires de la mafia au cours duquel Big Daddy est tué et Dave torturé. Secouru par Hit-Girl, l’adolescent semblait, après cet épisode sanglant, s’être rangé des voitures.

Au moment où s'ouvre ce nouveau volume, Kick-Ass reprend du service et entre dans une ligue de justiciers créée sur Facebook. En toute logique, Justice éternelle (le nom du groupe de Kick-ass) va engendrer des réactions négatives qui vont aboutir à la formation d’une équipe de super-criminels, les mégas-enfoirés (j’adore la poésie de ce nom !). Au final, l’affrontement entre les bons et les méchants va être ultra-brutal et ces super-héros ordinaires vont y laisser des plumes, c’est le moins que l’on puisse dire.

Nous voila donc repartis dans un nouvel arc narratif (une expression à la c… utilisée par l’éditeur) très très violent. Autant vous le dire tout de suite, cet album s’adresse aux lecteurs avertis qui n’ont pas peur de l’hémoglobine. Le premier cycle donnait déjà dans le sanglant mais je pense que cette fois-ci un nouveau palier a été franchi. Le problème c’est que le semblant de légèreté (tout est relatif !) et l’humour des volumes précédents a totalement disparu. Tout l’art des auteurs consistaient à mettre en scène avec truculence des super-héros comme vous et moi qui ne jouaient pas à faire semblant. Ici, le principe reste à peu près le même mais la verve et l’autodérision ont disparu. On donne dans le glauque, la violence gratuite et on grimpe sur l’échelle de l’innommable avec le plus grand sérieux. Du coup, tout le plaisir de la lecture disparaît pour laisser place à un certain malaise. Le voyeurisme morbide, très peu pour moi. Je ne doute pas que certains apprécient beaucoup ce genre de choses, ça ne me pose d’ailleurs aucun problème, mais personnellement je ne suis pas le bon public.  

Une certitude, de mon coté, l’aventure Kick-Ass s’arrêtera là. Et si l’envie me prend de faire le plein de testostérone, je retournerais lire Doggy Bags. Au moins, je suis sûr d’y trouver mon compte.

Kick Ass 2 T1 : Restez groupés ! de Mark Millar et John Romita Jr. Panini, 2012. 96 pages. 11.20 euros.


Millar et Romita Jr © Panini 2012






lundi 20 août 2012

Raymond Carver selon Roger Wallet

On fait tous un peu la même chose en écrivant nos billets. Pour parler de nos lectures, on rédige plus ou moins laborieusement des avis plus ou moins argumentés. Notre envie première, c’est partager, faire découvrir, échanger. Certains s’en sortent mieux que d’autres. Il y a parfois un ton vraiment particulier, une qualité d’écriture qui sort du lot et qui saute aux yeux. Mais il n’en reste pas moins que la très grande majorité d’entre nous donne dans l’amateurisme le plus complet. Et c’est tant mieux. Il n’empêche, quand un écrivain parle de l’un de ses auteurs préférés, ça a une autre gueule.

Dans le n°15 de la revue Les années (revue à laquelle je participe modestement), Roger Wallet parle de sa découverte de Raymond Carver et de la façon dont ce dernier a influencé de manière majeure son écriture. Je connais très bien Roger. Il a été mon directeur pendant des années. Lorsque son premier roman (Portraits d’automne) est paru et qu’il est passé chez Pivot, ce fut un magnifique souvenir. Depuis, il continue à publier de nombreux recueils de nouvelles chez différents éditeurs. Je garde aussi en mémoire les ateliers d’écriture menés à ses cotés auprès de collégiens en difficulté. De grands moments !

C’est Roger qui m’a parlé de Carver. Je ne connaissais pas du tout. Depuis, j’ai classé cet auteur tout en haut de mon panthéon personnel auprès de Bukowski, Fante, Selby et Michon. Je reproduis ci-dessous (avec son autorisation) l’intégralité du texte rédigé par Roger dans la revue. C’est tout sauf scolaire. Ce n’est pas non plus journalistique ou formaté pour respecter d’éventuelles règles propres au genre. Ça vient du cœur. C’est le genre de billet que je rêve d’écrire. Malheureusement, je ne suis pas au niveau. Je n’espère même pas y arriver un jour. En attendant, je vous souhaite une bonne lecture. Et si vous n’êtes pas convaincu après cela qu’il faut ABSOLUMENT lire Carver, je ne peux plus rien faire pour vous.

« Le jour où j’ai lu mon premier Carver il s’est passé quelque chose d’indicible. On venait de me prendre la main, de me tenir la main à l’entrée du grand bain. Je découvrais mon univers : ce serait des gens simples que j’écrirais, et la vie de tous les jours. Les joies, les peines, pas besoin d’aller dans les excès pour mettre le monde en suspens le temps d’une lecture. La première nouvelle que j’ai lue de lui est la plus belle. Il le dit dans un entretien, c’est celle qu’il préfère. C’est pas grand-chose mais ça fait du bien. Un titre nul, ridicule. Mais une histoire au couteau qui chemine lentement, vous agrippe le cœur, vous le serre, vous le pince, vous le tord, vous l’essore. On en sort lessivé : comment ce type peut-il vous bouleverser à ce point ? Les larmes, ce n’est pas son truc. Il s’arrête toujours au moment où le cœur serre si fort qu’on ouvre la bouche pour prendre une grande inspiration. Des fois, ça serre simplement, ça poigne. Voilà le mot : ses histoires vous pognent, vous poignent. Vous empoignent et vous n’en sortez pas. Ce sont presque toujours des histoires simples. La plus simple : ce type anéanti par un divorce. Il s’arrête quelque part, n’importe où. Là où il a loué pour quelques jours, le gars a fait rentrer du bois, reste à le fendre. C’est lui qui s’y colle, celui qui n’est plus nulle part. Trois jours il cogne, il cogne, il s’abrutit de coups. Le troisième soir il est guéri. Il peut partir. Les critiques ont fait de Carver l’inventeur du minimalisme en écriture. Sans doute pour cette pauvreté des scénarios et des mots. Il ne nomme pas les sentiments, il les met en action, en situation.

Une autre question posée par Carver a ressurgi à l’occasion de la publication de ses œuvres complètes à L’Olivier. En deux mots. Il envoie son premier manuscrit à un éditeur. Il lui trouve de grandes qualités et une voix, une voix neuve. Il accentue délibérément l’âpreté brutale du dénuement des personnages en rognant certaines longueurs. L’Olivier a eu la belle idée de publier la version initiale de Parlez-moi d’amour, celle de Carver, ici titrée Débutants. Belle idée car elle permet de voir le travail de l’éditeur qui est aussi d’accompagner un auteur. La version de l’éditeur est meilleure ! Il y a quelque cruauté à écrire cela mais le regard extérieur qu’il a apporté magnifie l’écriture de Carver.

Il a aussi écrit des poèmes. Beaux. Dans le même style. Je dois beaucoup à Carver. Outre des citations à peine voilées dans deux ou trois de mes textes, il m’a rassuré sur l’écriture : rien à voir avec les succès de librairie, c’est avec soi que ça se joue. Dans ce rapport infiniment complexe entre ce que l’on croit inventer et qui est nous, et ce que le lecteur ingère parce que c’est lui. Carver c’est l’anti-Harrison, pas de personnages flamboyants, pas de nature foisonnante, pas de légende. Carver est urbain, de son temps (il est mort en août 88) et il se dépouille de son écriture. Ce n’est pas non plus l’écrivain des losers comme je l’ai lu. Il n’a aucun de ces snobismes. Il parle de gens comme lui – et il a touché de près certains de ces drames où l’on s’engloutit, comme l’alcool. On habiterait à côté de chez lui, on ne le saurait pas. »

Roger Wallet

Retrouvez gratuitement l'ensemble des numéros de la revue : http://lesannees.blogspot.fr/



vendredi 17 août 2012

D’acier de Silvia Avallone

Avallone © Liana Levi 2012
Anna et Francesca ont 13 ans. Ces deux gamines qui ne se sont jamais quittées depuis les bancs de la maternelle sont les meilleures amies du monde. Leur univers se circonscrit aux HLM de la rue Stalingrad, à Piombino, face à l’île d’Elbe. Leur quotidien, c’est la plage où se jettent les égouts. C’est aussi une vie de famille difficile. Dans cette Italie de Berlusconi, les maris sont avachis devant le petit écran pour mater les bimbos qui présentent des jeux à la con. Ils fantasment devant ces garces à la plastique parfaite, tout le contraire de leurs femmes. Anna et Francesca surnomment leur père les babouins. Celui de la première abandonne souvent sa famille et trempe dans des trafics à la petite semaine. Le père de Francesca est un mari violent troublé par le corps de sa fille et qui passe ses après-midi à la regarder aux jumelles depuis le balcon. Anna a aussi un frère qui travaille à l’aciérie locale. Le plus grand employeur de la ville, une usine et des hauts-fourneaux qui broient les ouvriers à coup de cadences infernales dans une chaleur insupportable.

Les deux amies ne voient pas leur avenir de la même façon. Anna va rentrer au lycée général. Pour elle, l’éducation est la seule voie d’émancipation pour les femmes. Francesca ne rêve que de plateaux télé, de mini-jupes et de talons hauts. Seule certitude pour ces ados un peu paumées, leur indestructible amitié ne les séparera jamais, quoi qu’il arrive…

Ce premier roman est un coup de maître. Ample, dense, extrêmement construit, il pose un regard sans concession sur une Italie ayant fait du consumérisme et des reality-show graveleux la culture dominante. Un véritable « roman social », au sens le plus noble du terme. C’est également un superbe texte sur l’adolescence, ce moment où sensualité, doute et fragilité se conjuguent et où des destins de femmes se construisent parfois.

Personnages incarnés, réalité sociale parfaitement décrite, D’acier est un texte d’une très grande force. Une divine surprise qui m’a permis de découvrir une nouvelle voix de littérature italienne actuelle et qui m’a définitivement convaincu que cette dernière ne se limitait pas au seul Erri De Luca.

D’acier de Silvia Avallone, Liana Levi (Piccolo), 2012. 386 pages. 12,50 euros.

L'avis d'EmmaDorian ; L'avis de Clara



Ce billet signe une nouvelle contribution au challenge il viaggio de Nathalie...

et ma 6ème participation au challenge de Anne