vendredi 7 novembre 2014

Charlotte - David Foenkinos

Foenkinos a découvert la peintre Charlotte Salomon à l’occasion d’une exposition de ses toiles à Hambourg : « Ce fut immédiat. Le sentiment d’avoir enfin trouvé ce que je cherchais. » Depuis, la vie de cette femme est devenue son obsession et il a ressenti le besoin de mener l’enquête, de reconstituer son parcours, de la suivre pas à pas. Née en 1917 dans une famille juive de Berlin, Charlotte perd très tôt sa mère. Adolescente introvertie, hantée par les suicides qui frappent les siens à chaque génération, elle se découvre une passion pour la peinture qui ne la quittera plus. Fuyant l’antisémitisme après la Nuit de Cristal fin 1938, elle rejoint ses grand-parents à Villefranche-sur-Mer. C’est là qu’entre 1940 et 1942 elle réalisera quelques centaines de gouaches rassemblées sous le titre « Leben ? Oder Theater ? » (Vie ? ou Théâtre ?), aujourd’hui exposées au musée juif d’Amsterdam. Dénoncée, arrêtée, déportée à Drancy puis à Auschwitz, elle meurt dans les chambres à gaz à l’âge de 26 ans, enceinte de cinq mois.

Je n’avais jamais lu Foenkinos avant, je n’ai donc aucun point de comparaison possible avec le reste de son œuvre. Finalement, ce n’est pas plus mal. Sur le fond, la trajectoire de cette femme m’a passionné. Sa tragédie familiale, l’éveil de sa conscience artistique, son destin rattrapé par l’Histoire avec un grand H, ses petites victoires, ses joies dérisoires et ses grandes peines. Sur la forme, je suis plus mitigé. Déjà, le coté autofictionnel m’a agacé à plusieurs reprises. Quel intérêt a l’auteur de nous expliquer qu’il s’est rendu dans la maison d’enfance de l’artiste et qu’il n’a pu la visiter parce qu’on lui a claqué la porte au nez ? Franchement ? Pour nous prouver qu’il est bien parti à sa recherche ? Euh… on le sait depuis le début. Patrick Deville fait souvent le même genre d’intrusions dans ses récits mais elles ont toujours du sens, alors que là… Et puis sur la forme en elle-même, j’ai eu beaucoup de mal. Du sujet-verbe-complément-retour-à-la-ligne sans doute pas si simple que cela à écrire mais qui, à la lecture, offre une trop grande accessibilité au texte et lui enlève toute qualité littéraire.

Par contre, j’ai aimé que Foenkinsos se justifie, qu’il assume son parti-pris formel : « Pendant des années, j’ai pris des notes. J’ai parcouru son œuvre sans cesse. […]. J’ai tenté d’écrire ce livre tant de fois. Mais comment ? […] Quelle forme mon obsession devait-elle prendre ? Je commençais, j’essayais, puis j’abandonnais. Je n’arrivais pas à écrire deux phrases de suite. Je me sentais à l’arrêt à chaque point. Impossible d’avancer. C’était une sensation physique, une oppression. J’éprouvais la nécessité d’aller à la ligne pour respirer. Alors j’ai compris qu’il fallait l’écrire ainsi. » Point de coquetterie donc, une vraie sincérité, une certaine pudeur aussi.

Je trouve donc la démarche de l’auteur touchante mais ce minimalisme, cette volonté d’en dire le moins possible pour aller à l’essentiel m’a beaucoup trop laissé à distance. Le style télégraphique fini par être d’une froideur clinique et ne laisse aucune place à l’émotion. Tout l’inverse de ce qu’a par exemple fait Valentine Goby avec Kinderzimmer et que j’ai tant aimé. Je ressors donc ni véritablement déçu ni totalement convaincu. On sent l’œuvre portée par l’auteur pendant des années et son besoin quasi viscéral de la coucher enfin sur le papier pour, quelque part, s’en libérer. Mais du strict point de vue de la lecture et de la petite musique des mots, il ne m'a donné aucun plaisir.

Charlotte de David Foenkinos. Gallimard, 2014. 220 pages. 18,50 euros.

Une nouvelle lecture commune que je partage, une fois de plus, et c'est toujours le même plaisir, avec Noukette.

Les avis de Blablablamia, Laure, Laurie, L'irrégulière, Mango, Sandrine, Unchocolatdansmonroman






jeudi 6 novembre 2014

La source des jours - Mélanie Rutten

C'est l'histoire d'une ourse danseuse, d'un cerf amoureux d'une louve, d'un livre qui a perdu sa première page, d'un petit chat à la recherche de son ballon, d'un bison musicien ou jardinier et d'un lapin blanc. C'est aussi et surtout une histoire de rencontres, de trajectoires à priori éloignées qui vont finir par se croiser. Dans cette histoire, on n'est rien d'autre que ce que l'on est. Et dans la tempête, certains sont contents d'avoir un grand frère, d'autres se débrouillent tout seul, d'autres aimeraient que quelqu'un soit là, tandis que d'autres encore jouent les protecteurs en attendant que les choses se calment.

Résumée comme cela, cette histoire peut paraître confuse, elle peut sembler n'avoir ni queue ni tête. Or c'est tout le contraire. Je n'ai malheureusement pas le talent de conteur de Mélanie Rutten. Si vous vous laissez prendre par la main, elle vous emmènera dans son univers tendre et poétique. Vous comprendrez d'où vient la source des jours, surtout si comme moi vous avez eu la chance de lire son précédent album, « L'ombre de chacun ». On retrouve ici les mêmes personnages et l'on remonte à l'origine de leur rencontre.

Une fois encore c'est un livre qui se mérite : beaucoup d'ellipses, beaucoup d'implicite, une multitude d'interprétations possibles. Et une fois encore Mélanie Rutten enchante par son trait coloré, inventif et plein de douceur. Elle nous offre une parenthèse hors du temps et du triste quotidien, un voyage dépaysant vers une contrée où il fait bon vivre. C'est simple, c'est beau, tout en émotion. C'est à des années lumière de ce que j'ai l'habitude de fréquenter mais qu'est-ce que c'est bon !


La source des jours de Mélanie Rutten. MeMo, 2014. 52 pages. 17,00 euros.


Je ne pouvais partager cette lecture qu'avec Moka. C'est à elle que je dois ma découverte de Mélanie Rutten et j'espère que nous lirons ensemble bien d'autres album de cette grande artiste.




mercredi 5 novembre 2014

Le linge sale - Rabaté et Gnaedig

Après vingt ans derrière les barreaux, Pierre Martino retrouve la liberté. Trompé par sa femme, il avait voulu l’assassiner avec son amant dans l’hôtel où ils avaient l’habitude de se retrouver. Mais il s’était trompé de chambre et avait tué un autre couple avant de blesser un des policiers venus l’interpeller. Libéré pour bonne conduite, le prisonnier modèle n’a rien oublié et il est bien décidé à terminer la mission qu’il n’avait pu achever deux décennies plus tôt. Et comme entre temps son ex s’est mariée avec l’amant, il imagine que la tâche n’en sera que plus facile. La vengeance est un plat qui se mange froid mais que l’on peut parfois avoir bien du mal à digérer…

Un récit tenant à la fois du polar rural, de la chronique sociale et de la comédie de mœurs. La nouvelle famille de l’ex-femme est beauf jusqu’au trognon, vivant de rapines dans une maison délabrée en pleine cambrousse. Père, mère, enfants et grands-parents dorment sous le même toit, vident les bouteilles à l’unisson et jurent comme des charretiers. Un quart monde décrit avec humanité et sans misérabilisme. C’est sordide mais jamais cynique, Rabaté n’étant pas du genre à se mettre au-dessus de ses personnages. Et c’est aussi très drôle, tant grâce aux dialogues plein de gouaille qu’aux péripéties pathétiques vécues par cette bande de pieds nickelés ingérable. Le cocu assassin est quant à lui un antihéros aigri et déterminé, tendant méticuleusement et patiemment la toile qui doit lui permettre de prendre sa revanche. Tellement déterminé qu’il en deviendrait presque sympathique et que l’on souhaiterait de tout cœur le voir mener à bien son entreprise.

Si ce linge sale est bien du Rabaté pur jus, je n’en ferais pas mon préféré. Dans la même veine, Crève saucisse et La marie en plastique m’avaient plu davantage. Ici, la fin, grinçante à souhait, est bien trouvée mais le reste est par moment poussif. Il faut dire aussi que j’ai eu beaucoup de mal avec le trait particulièrement naïf de Sébastien Gnaedig qui ne sert pas au mieux le scénario, c’est le moins que l’on puisse dire. Une lecture agréable, du bon Rabaté mais pas de l’excellent Rabaté.

Le linge sale de Rabaté et Gnaedig. Vents d’ouest, 2014. 126 pages. 19,50 euros.








mardi 4 novembre 2014

Le premier mardi c'est permis (30) : In Bed - Lydia Frost et Kalondji

Dans un hôtel de Central Park, un couple après l’amour. La femme est rayonnante, l’homme bien plus soucieux. Il faut dire que Rachel et Luka sont mariés, mais pas ensemble. Une relation adultérine vécue différemment par ses deux protagonistes, l’un culpabilisant beaucoup plus que l’autre…

Une réflexion très fine sur l’adultère. Il est appréciable que les auteurs ne se soient pas emparés du sujet pour tomber dans la simple histoire de cul multipliant les visuels aussi froids que cliniques. Ici, tout est en suggestion, l’approche étant essentiellement psychologique. L’histoire est certes des plus banales mais l’intérêt tient dans le fait que l’on s’intéresse aux causes et aux conséquences de la tromperie. Sans jugement, sans défendre où accuser. Lui va voir ailleurs parce qu'il est dans une fuite en avant, ne sachant pas vraiment ce qu’il cherche ni ce qu’il veut. Il est fragile, mal à l’aise, manquant d’assurance. Il est lâche et ne parvient pas à compartimenter les choses. C’est un homme, quoi. Rachel est au contraire une working girl bien sa peau, qui veut juste briser la routine d’un quotidien avec mari et enfants. Elle assume, fait la part des choses et ne se prend pas la tête. Je ne dirais pas qu’elle a le beau rôle, mais presque.

Et finalement, c’est ce que j’ai aimé. Le portrait, même un poil caricatural, d’une femme belle, talentueuse et sûre d’elle face à un homme qui se perd en tergiversations. Comme j’ai aimé l’individualisation d’une problématique universelle, le fait que leur histoire banale possède un caractère unique. Et puis niveau dessin, c‘est d’une rare élégance et les scènes « coquines », certes discrètes, sont passionnées et brûlantes.

Finalement, la réflexion est plus profonde qu'elle n'en a l'air. Pour Rachel, coucher n'est pas tromper. Pour Luka, ce n'est pas si simple, loin de là. Pour le lecteur, c'est une question de point vue, d'opinion ou d'expérience personnelle, voire de mauvaise foi...

In Bed de Lydia Frost et Kalondji. Delcourt, 2014. 90 pages. 15,95 euros.

Une lecture commune que je partage avec Moka. Et ce n'est rien dire que ça me fait très plaisir !









lundi 3 novembre 2014

Meursault, contre-enquête - Kamel Daoud

« Un français tue un arabe allongé sur une plage déserte. Il est quatorze heures, c’est l’été 1942. Cinq coups de feu suivis d’un procès. L’assassin est condamné à mort pour avoir mal enterré sa mère et avoir parlé d’elle avec une trop grande indifférence. Techniquement, le meurtre est dû au soleil où à de l’oisiveté pure. […] Tout le reste n’est que fioritures, dues au génie de ton écrivain. Ensuite, personne ne s’inquiète de l’arabe, de sa famille, de son peuple. A sa sortie de prison, l’assassin écrit un livre qui devient célèbre où il raconte comment il a tenu tête à son Dieu, à un prêtre et à l’absurde. Tu peux retourner cette histoire dans tous les sens, elle ne tient pas la route. »

Un vieil homme se confesse dans un bar d'Oran. Dans un long monologue proféré à un prétendu universitaire, il raconte celui qui, pour tous, a toujours été « l'arabe », et rien d'autre. Une victime innocente, tuée sur une plage. Une victime qui n'était autre que son frère, Moussa : « celui qui a été assassiné est mon frère. Il n'en reste rien. Il ne reste que moi pour parler à sa place, assis dans ce bar, à attendre des condoléances que jamais personne ne me présentera. » Haroun n'avait que sept ans à l'époque. Il ne sait pas vraiment ce qu'il s'est passé ce jour-là. Alors il extrapole, il digresse et revient sur son enfance, sur cette mère assoiffée de vengeance qui l'a toujours traité comme un moins que rien. Sur le meurtre qu'il commettra lui-même vingt ans plus tard, en 1962, au moment de l'indépendance. Un meurtre gratuit, contre un français.

Tout cela a bien entendu à voir avec « L'étranger » et sonne comme une réponse à ce dernier. Pourtant, jamais le nom de Camus n'est cité. Le livre est attribué à Meursault, qui l'aurait écrit lui-même en sortant de prison. Comme s'il s'agissait d'un véritable fait divers, comme si la réalité rejoignait la fiction. Les correspondances entre cette contre-enquête et « L'étranger » sont nombreuses et l'on peut dire que Daoud écrit contre Camus, collé tout contre lui. L'effet miroir est saisissant : son « héros » a un problème avec sa mère, son héros tue sans véritable raison un français, son héros voit sa solitude fugitivement brisée par une figure féminine, son héros hait la religion et le crie bien fort.

Ce ne pourrait être qu'un exercice de style, c'est bien plus ambitieux. Peut-être trop d'ailleurs. J'avoue que je suis resté sur ma faim. L'idée d'exploiter la figure de la victime anonyme, cet angle mort du roman de Camus, ce « hors champ », était intéressante, mais j'aurais préféré découvrir vraiment la vie de cette victime plutôt que celle de son frère. Je m'attendais à découvrir cette histoire-là, je ne sais pas pourquoi. Du coup, le monologue décousu du narrateur sur sa propre existence, sa volonté, inconsciente ou pas, de créer le parallèle avec le personnage de Meursault m'a laissé quelque peu indifférent. Pas vraiment une déception, j'admire la façon dont le sujet a été traité, mais ce n'est pas celui que j'aurais aimé découvrir.

Dernière précision qui a son importance, je trouve l'écriture de Kamel Daoud très belle, oscillant sans cesse entre colère sourde et envolées pleines d'exaltation : « Une langue se boit et se parle, et un jour elle vous possède ; alors elle prend l'habitude de saisir les choses à votre place, elle s'empare de la bouche comme le fait le couple dans le baiser vorace ».

Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud. Actes Sud, 2014. 153 pages. 19,00 euros.

Une lecture commune que je partage une fois encore avec Noukette.

L'avis de Marilyne





vendredi 31 octobre 2014

La malédiction du bandit moustachu - Irina Teodorescu

Ça commence comme un conte. Nous sommes à la fin du XIXème siècle, quelque part en Roumanie, et une malédiction est lancée à l’encontre de Gheorghe Marinescu par un bandit moustachu détrousseur de bourgeois : la mort frappera tous les descendants mâles de sa famille, et ce jusqu’à l’an 2000. A partir de là nous suivons, de génération en génération, le destin tragique des fils Marinescu qui ne pourront échapper à la fatalité. Et l’on découvre que les Marinescu n’ont rien de bons samaritains, tant les hommes que les femmes d’ailleurs. Ce ne sont pas « Maria la cochonne », « Maria la laide », « Ana la sorcière » ou « Margot la vipère » qui me contrediront.

Bof, bof, bof, ai-je envie dire. Ce premier roman d’une jeune auteure roumaine de 35 ans (écrit en français, je précise que ce n’est pas une traduction) a un coté loufoque qui pourrait être plaisant. L’écriture est dynamique, le changement de niveaux de langue donne beaucoup de vivacité, comme les chapitres très courts. Mais pour le reste... Les choses vont trop vite. On passe d’une époque à l’autre, d’un « Marinescu » à l’autre sans véritable liant. Et puis je me rends compte que j’ai beaucoup de mal dès qu’il y a plus de cinq personnages dans un roman. Je suis finalement un lecteur assez limité (bon ça, il y a longtemps que je le sais). Mais là, franchement, pour suivre le rythme et m’y retrouver, il m’aurait fallu un arbre généalogique détaillé. L’autre aspect qui m’a dérangé, c’est la méchanceté et le cynisme permanent dont font preuve les membres de cette famille. Je freine toujours des quatre fers devant le cynisme et la méchanceté. Il paraît que ça peut être drôle mais ça ne me fait jamais sourire. Du coup, les Marinescu et leur histoire, je n’en ai rien eu à faire, et ce dès le début. J’ai même été bien content de les quitter en tournant la dernière page, c’est dire.

Alors oui, c’est un premier roman enlevé et original qui sort des sentiers battus et de l’autofiction généralisée (ce qui est quand même un sacré bon point !), mais non, il ne m’a pas séduit une seconde et en ce qui me concerne,  je vais le classer sans regret dans la catégorie des « aussi vite lus qu’oubliés ».


La malédiction du bandit moustachu d’Irina Teodorescu. Gaïa, 2014. 155 pages. 17,00 euros.





jeudi 30 octobre 2014

Un pommier dans le ventre - Simon Boulerice et Gérard Dubois

Quand Raphael mange une pomme, il la mange en entier, sauf la queue. Lorsqu’on son copain Rémi l’apprend, il est affolé : « Tu ne sais pas que si tu avales un seul pépin, un pommier peut pousser dans ton ventre ?! ». Raphael ne veut d’abord pas le croire mais il finit par se plier aux arguments de son ami. Horrifié, il retourne en classe avec des crampes à l’estomac. Plus tard, devant le miroir, il lui semble voir son ventre tout bosselé. Et quand il cogne sa poitrine, il a l’impression de frapper une porte en bois. A la maison, sa mère lui coupe les cheveux. Les yeux fermés, il sent « que le plancher de la cuisine se couvre de petites branches et de feuilles mortes »…

Un très joli album sur les peurs enfantines, sur la capacité des bambins à laisser leur imaginaire extrapoler une situation du quotidien jusqu’à la rendre particulièrement anxiogène. Les proportions prises par la certitude pour Raphael qu’un pommier pousse dans son ventre deviennent vite incontrôlables. Heureusement, en partageant son angoisse avec sa mère, il parviendra à la raisonner. La conclusion est très joliment trouvée, laissant au final l’insouciance de l’enfance emporter la partie.

Graphiquement, c’est totalement vintage, à tel point que j’ai cru au départ avoir entre les mains la réédition d’un album des années 50. Les illustrations sont superbes, elles ont le charme suranné des vignettes d’antan. Un très bel objet-livre, une histoire à la fois tendre et sensible qui permettra peut-être à certains petits lecteurs d’exorciser leurs propres peurs. Que demander de plus ?

Un pommier dans le ventre de Simon Boulerice et Gérard Dubois. Grasset Jeunesse, 2014. 48 pages. 13,50 euros. A partir de 5 ans.


Les avis de Martine et Sophie Van der Linden







mercredi 29 octobre 2014

Les vieux fourneaux T2 : Bonny and Pierrot - Lupano et Cauuet

Quel plaisir de retrouver ces chers vieux fourneaux ! Pierrot, l’activiste du groupe, se retrouve à la tête d’une coquette somme d’argent, offerte « pour la cause ». Mais c’est moins l’impressionnant paquet de fric que le nom de la généreuse donatrice qui le bouleverse. Ce cadeau tombé du ciel est le point de départ d’un enchaînement de situations cocasses où l’on découvre une fois de plus que le 4ème âge n’a besoin d'aucune leçon pour faire chier le système.

Invasion de bars branchouilles par des commandos d’ancêtres au son de la java bleu, attentats gériatriques malodorants dans les soirées sélects de l’UMP, hacking du blog de Nadine Morano par une mamy férue de nouvelles technologies, communauté libertaire autogérée plutôt que maison de retraite, Lupano se lâche et le lecteur se marre ! Après le passé d'Antoine, l’accent est cette fois mis sur celui de Pierrot et de Mimile, avec toujours en toile de fond une vieille histoire d’amour qui gratte et sur laquelle il est difficile de tirer un trait. Et comme dans le tome précédent, de nombreux flashbacks apportent les éclaircissements nécessaires à la compréhension de l’ensemble.

Le premier volume restera sans doute mon grand coup de cœur BD de l’année. Si ce second est lui aussi très réussi, je l’ai quand même trouvé un cran en dessous (il faut dire que la barre était haute !). Peut-être l’effet de surprise en moins. Peut-être le propos beaucoup plus politique. Peut-être le fait d’insister davantage sur le comique de situation et de répétition (l’histoire des baguettes de pain) au détriment des dialogues, un poil moins savoureux. Franchement, je chipote, mais qui aime bien châtie bien.

Et puis peu importe après tout.  J'ai beaucoup rigolé au cours de ma lecture et ce n’est pas le genre de chose qui m’arrive tous les jours. Je salue donc à nouveau la prise de risque des auteurs, leur inventivité et leur engagement. Trois qualités qui se font de plus en plus rares, même (et surtout…)  dans le monde de la BD.

Les vieux fourneaux T2 : Bonny and Pierrot de Lupano et Cauuet. Dargaud, 2014. 56 pages. 12,00 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo' et Noukette, deux vieilles de la vieille que l'on ne présente plus !







mardi 28 octobre 2014

1, 2, 3... foulard - Eric Sanvoisin

« J’étais moche. La vie était moche. Tout était moche. »

Charlotte est mal dans sa peau. Après avoir fui trois familles d’accueil différentes, elle semble s’être enfin stabilisée. Mais à la veille de l’entrée au collège, son angoisse est à son paroxysme. Pas facile, à douze ans, lorsque l’on a un passé aussi « chargé » que le sien, de se faire une place dans cette jungle. Heureusement, Coraline l’a vite prise sous son aile. Elle lui a fait rencontrer les membres du « clan des étoiles filantes », une société secrète présidée par le charmant Jordan. Dans ce club très fermé, on s’envoie en l’air grâce au jeu du foulard. Jordan lui promet un voyage dans le cosmos qu’elle ne pourra pas oublier. Et puis tout est sous contrôle. Tant que l’on ne pratique pas le jeu seul, il n’y a aucun risque. Seulement, parfois, il y a certains voyages dont on a du mal à revenir…

« Brrrrr », « outch », « terrible » ! Voila les mots que nous avons échangé, Noukette et moi, après avoir terminé ce texte. Difficile en même temps de ne pas être d’accord. Ce roman fait froid dans le dos. Son réalisme glaçant, son insondable tristesse, son désespoir… tout concorde à vous laisser ko debout. La narration à la première personne renforce le malaise. Charlotte rembobine le fil de son  histoire sans omettre aucun détail de sa souffrance. Sa mère biologique qui refait surface soudainement, son histoire compliquée avec Jordan et les nombreuses autres filles qui lui courent après, cette vie de préado pas vraiment comme les autres, ce monde dans lequel elle ne trouve pas sa place. On sent malgré tout la pudeur, la volonté de ne pas en rajouter. Les faits se suffisent à eux-mêmes, engrenage implacable l’entraînant vers le fond.

Après, j’avoue, je m’interroge. Est-ce que ce roman a des vertus pédagogiques ? Sensibilisera-t-il aux dangers du jeu du foulard ? J’en doute. L’histoire de Charlotte est trop particulière, trop complexe, trop « extrême » pour endosser ce rôle. Ou alors il faut la considérer comme les clips chocs de la prévention routière, pour marquer les esprits. Mais à la limite peu importe. Je vois dans ce texte le portrait déchirant d’une gamine dont la voix vous fouille les tripes. Une gamine dont on partage la détresse et qui fait vibrer nos cordes sensibles. Une gamine que l’on quitte les larmes aux yeux, foi de gros dur tatoué !

1, 2, 3... foulard d’Eric Sanvoisin. Gründ, 2014. 150 pages. 8,95 euros. A partir de 13-14 ans.

C'est évidemment une nouvelle pépite que j'ai le plaisir de partager avec Noukette





lundi 27 octobre 2014

Melvile T1 : L'histoire de Samuel Beauclair - Romain Renard

Noukette en a tellement bien parlé la semaine dernière que j'ai craqué. Oui, je suis faible, ce n'est pas un scoop...

Samuel Beauclair souffre. Lui, l'écrivain fils d'écrivain, dont le premier roman a connu un certain succès, ne parvient plus à aligner trois mots sur une feuille blanche. Malgré les relances de son éditeur, malgré les menaces des huissiers, malgré le soutien de sa femme enceinte, rien n'y fait. Installé depuis quelques mois à Melvile, au cœur d'une nature sauvage, dans la maison de ce père qu'il aura finalement peu connu avant son décès, Samuel semble perdu. Répondant à une petite annonce, il s'improvise peintre en bâtiment pour gagner un peu d'argent et tombe peu à peu sous la charme de la sœur de son client...

Très beau portrait d'un homme torturé, en proie au doute et rongé par la culpabilité. Un homme qui va devoir affronter ses démons intérieurs et tuer le fantôme paternel pour tracer sa propre voie. Au départ, on se dit que tout cela est cousu de fil blanc, prévisible au possible. Mais on se laisse prendre au jeu, Romain Renard nous embarque sur des chemins de traverse inattendus, il joue sans cesse entre contemplation et introspection et nous mène par le bout du nez dans un univers très personnel et très travaillé où la frontière entre le réel et l'imaginaire est en permanence poreuse.

Graphiquement, c'est impressionnant. Les décors naturels aux couleurs mordorées, parfois proches du photomontage, sont sublimes, tandis que chaque personnage, croqué à l'encre et au fusain, est criant de réalisme.

Un superbe album. J'ai aimé son ambiance si particulière, son héros qui se cherche et la réflexion proposée sur le poids de la filiation et sur ces amarres qu'il est parfois difficile mais indispensable de rompre pour pouvoir suivre son propre chemin.


Melvile de Romain Renard. Le Lombard, 2013. 128 pages. 20,00 euros.