vendredi 11 septembre 2015

La dernière nuit du Raïs - Yasmina Khadra

Il sait la partie perdue d’avance. Malgré le soutien indéfectible de sa garde rapprochée se réduisant comme peau de chagrin, aucune échappatoire possible. En cette soirée d’octobre 2011, terré dans une école bunkerisée, il s’isole et repense au chemin parcouru depuis sa naissance, lui le fils de bédouin devenu roi, « l’enfant béni du clan des Ghous venu de son désert semer la quiétude dans les cœurs et les esprits ». Impossible d’accepter la trahison d’un peuple auquel il est persuadé d’avoir apporté le bonheur. Bouffi d’orgueil, dévoré par une mégalomanie qui l’aveugle, Khadafi ne veut entendre aucune critique, aucune remise en cause : « Ce que je dis est parole d’Évangile, ce que je pense est présage. Qui ne m’écoute pas est sourd, qui doute de moi est damné. Ma colère est une thérapie pour celui qui la subit, mon silence est une ascèse pour celui qui le médite. »

Incroyable tour de force d’un Yasmina Khadra mettant en scène à la première personne, sans caricature ni manichéisme, le crépuscule d’un dictateur au bord de la folie.Un homme rongé par les psychotropes, au phrasé aussi halluciné qu’incantatoire.Un homme condamné qui va tenter un dernier baroud d’honneur avant la curée, et dont la fin pitoyable restera à jamais gravée dans les mémoires.

Les dernières pages sont d’une sublime intensité dramatique, traversées par un éclair de lucidité bien trop tardif : « L’orgueil est allergique à la raison. Quand on a dominé les peuples, on s’oublie sur son nuage. Mais qu’a-t-on dominé au juste ? Pour aboutir à quoi ? En fin de compte, le pouvoir est une méprise : on croit savoir et l’on s’aperçoit qu’on a tout faux. Au lieu de revoir sa copie, on s’entête à voir les choses telles qu’on voudrait qu’elles soient. » A travers la déchéance inéluctable d’un personnage digne de Shakespeare, cette dernière nuit du Raïs offre la vision apocalyptique d'un pays en plein chaos qui, en se libérant du dictateur honni, ne s'offrira pas pour autant un avenir tout tracé vers la démocratie, loin s'en faut.

La dernière nuit du Raïs de Yasmina Khadra. Julliard, 2015. 210 pages. 18,00 euros.




jeudi 10 septembre 2015

Les eaux troubles du mojito - Philippe Delerm

J’aime bien Delerm, je l’ai déjà dit ici et ici. Peu m’importe son parisianisme bobo, son utilisation à outrance du « on », son optimisme béat ou son goût faussement naïf pour les petits bonheurs simples du quotidien. Je ne fais pas partie de ses détracteurs (et Dieu sait s’ils sont nombreux), mais pour le coup, j’ai refermé ce recueil avec un vrai sentiment d’inutilité.

Il rejoue ici la partition de « La dernière gorgée de bière » avec des micro-nouvelles oscillant entre le plaisir de moments furtifs et quelques réflexions sur le temps qui passe. Mais à quoi bon s’ébahir devant « le goût transparent » de la pastèque ou l’arôme « légèrement fumé » du navet cru  ? A quoi bon s’attarder sur le charme de boissons telles que le Guignolet, le mojito ou le Spritz ? A quoi bon faire deux pages sur une réunion de copropriété qui ne pourra pas se tenir faute de quorum ? Il y a heureusement quelques moments de grâce dans la fadeur ambiante. Des flâneries dont on ressent l’atmosphère particulière, à Bruges ou au jardin du Luxembourg, des instants cocasses ou des réflexions plus profondes, douces-amères et empreintes d’une nostalgie touchante. Mais trop peu pour contrebalancer une impression générale de futilité et d’insignifiance, l’impression que la plupart de ces textes sont à classer dans la catégorie « aussi vite lus qu’oubliés ».

Loin d’être un grand cru ce Delerm, donc. Pas non plus une piquette imbuvable car l’écriture possède toujours ce charme suranné et désuet que j’apprécie particulièrement, mais disons que ce catalogue de « belles raisons d’habiter sur terre » ne me laissera pas un souvenir impérissable.

Les eaux troubles du mojito de Philippe Delerm. Seuil, 2015. 110 pages. 14,50 euros.





mercredi 9 septembre 2015

Bouffon - Porcel et Zidrou

On l’appelle le glaviot. Né au fond d’un cachot, d’une mère embastillée dont le joli minois attirait des soldats abusant d’elle chaque nuit contre une piécette ou un pichet de vin. Un bébé sauvé par la chienne qui devait le dévorer à la naissance. Un bébé au visage difforme élevé parmi les rats qui, une fois devenu grand, deviendra le bouffon d’une princesse et rendra service aux puissants grâce à un don extraordinaire…

Bouffon, c’est La belle et la bête revisité à la sauce Zidrou. Autant vous dire que cette version donne dans le piquant et l’irrévérencieux, caressant à rebrousse poil les canons du conte pour proposer une vision tout sauf manichéenne. D'emblée on nous annonce une histoire "belle et triste", le genre d'argument qui me met l'eau à la bouche. C’est simple, j’ai tout aimé dans cette histoire : l’humour noir d’un narrateur atypique au ton pas vraiment solennel, la cruauté ambiante, le décor sordide des cachots sombres et humides dans la première moitié de l’album, cette lumière qui s’installe peu à peu sans jamais vraiment parvenir à faire basculer le récit dans l’espoir et l’optimisme béat… rien à jeter, vraiment rien à jeter.

Graphiquement, l’atmosphère médiévale tout en clair-obscur et sans la moindre chaleur est restituée magistralement par un Francisco Porcel à l’évidence très à l’aise pour croquer des trognes de geôliers, de bourreaux ou de seigneurs sans pitié.

Au-delà de la référence à La belle et la bête j’ai retrouvé dans cet album les ambiances créées par René Hausman dans des titres tels que « Le camp volant » ou « Le prince des écureuils ». Des ambiances dont je suis fan depuis toujours. Une réécriture moderne d’un classique faisant la part belle à l’ingratitude et à la méchanceté gratuite. Un conte finalement très humain qui gratte et appuie là où ça fait mal. Du Zidrou tout craché.

Bouffon de Porcel et Zidrou. Dargaud, 2015. 64 pages. 15,00 euros.


Une lecture commune que je partage aujourd'hui encore avec Noukette.




La BD de la semaine, c'est aujourd'hui
chez Stephie








mardi 8 septembre 2015

Pensée assise - Mathieu Robin

Punaise, encore un roman jeunesse sur le handicap ! Quand c’est pas le cancer ou la maltraitance, les gamins placés, la mort du chat, du chien ou celle de mamy, il faut qu’on nous bassine avec le handicap. En même temps c’est le thème idéal pour nous donner une bonne leçon de courage et de tolérance, nous parler d’intégration, de force de caractère et tout le toutim.

Oui mais. Avec Pensée assise, le registre est un peu différent. Parce que Théo, le narrateur tétraplégique de ce court roman, est une vraie tête à claque. Depuis qu’il file le parfait amour avec Sofia, une « valide », Théo n’a qu’une ambition, pouvoir embrasser sa dulcinée debout, comme tout le monde. Parce qu’il ne supporte pas les regards compatissants de ceux qui croisent leur couple dans la rue, y voyant des jugements tels que : « Il en a de la chance qu’une aussi jolie fille s’occupe de lui » ou  « Ça ne doit pas être drôle tous les jours pour elle ». En fait, il ne supporte pas grand-chose le Théo. Il donne l’impression de nier son statut de handicapé alors que ce statut le complexe à chaque instant. Aigri, têtu, cinglant (« J’en ai déjà vu, des paraplégiques danser en boîte. C’est le spectacle le plus pathétique qui soit. Il n’y a rien de pire qu’un mec qui fait semblant d’assumer son handicap »), incapable de demander de l’aide, il s’enferme dans une attitude détestable.

Et pourtant, ce personnage débordant d’amertume et de mauvaise foi est aussi exaspérant que touchant. Son combat, il doit d’abord le mener contre lui-même, apprendre à s’accepter tel qu’il est, comprendre que la vie pourrait être simple s’il arrêtait de se la compliquer, s'il ne cherchait pas à tout prix à être à la (bonne) hauteur. Sa voix résonne parce qu’à travers le fiel perce une ironie mordante, beaucoup de drôlerie et un sens de la formule décapant.

Un texte qui dit, sans lourdeur et avec une grande modernité de ton, la sensibilité à fleur de peau d’un ado écorché à qui l’amour fera enfin ouvrir les yeux. Original et vivifiant.

Pensée assise de Mathieu Robin. Actes sud junior, 2015. 85 pages. 11,00 euros. A partir de 14 ans.


Une pépite jeunesse idéale pour relancer le rendez-vous hebdomadaire que Noukette et moi partageons chaque mardi ou presque.








lundi 7 septembre 2015

L’œil de l’espadon - Arthur Brügger

Charlie est apprenti poissonnier dans un grand magasin. A 24 ans, cet orphelin n’ayant jamais quitté sa ville natale, n’ayant jamais vu la mer et n’ayant jamais eu la moindre petite amie est installé dans une routine qui lui convient. Il raconte ses journées faites de découpage, écaillage, évidage, emballage et nettoyage, ses relations avec les collègues, les clients, la hiérarchie, le rush de Noël, les promos qui attirent le chaland et le gâchis permanent.

Le jour où il rencontre Emile, nouveau préposé à la gestion des poubelles au « niveau zéro », sa vie change. Emile est un idéaliste qui s’est fait embaucher à ce poste ingrat pour mener une enquête sur le gaspillage dans les grandes surfaces et dénoncer le scandale dans les médias, photos à l’appui. Emile est aussi un lettré dont la liberté d’esprit va peu à peu influencer la vision du monde du naïf Charlie.

Un premier roman venu de Suisse qui offre une vision décalée du monde du travail. Charlie est un esprit simple qui porte un regard sans filtre sur son environnement et son statut d’employé. Mais sa candeur a aussi des limites, notamment face à l’indifférence et au manque de politesse : « C’est vrai qu’après le dix-huitième client qui ne dit pas au revoir bonne journée quand on lui donne son sac sous vide avec le poisson dedans, le dix-neuvième qui me sourit et puis m’adresse juste la parole pour me dire une banalité, je pourrais lui sauter au cou de joie. Ça fait simplement du bien de sentir qu’on existe. Qu’on est autre chose que le gardien d’une proie appétissante. Autre chose qu’une machine, qu’un distributeur, qu’un automate. Parfois j’ai l’impression que les clients, ils nous regardent moi et les autres employés du Grand Magasin comme de la marchandise. »

Un texte qui tient presque de la fable. Ni glorification ni condamnation de la grande distribution, la vision en apparence naïve de Charlie, ses mots simples ont une portée bien plus efficace que n’importe quel discours militant. Et Charlie le vrai gentil ne vous fera plus jamais regarder les employés de supermarché du même œil.

L’œil de l’espadon d’Arthur Brügger. Zoé, 2015. 154 pages. 15,50 euros.




samedi 5 septembre 2015

Les lectures de Charlotte (8) : Mon gâteau d'anniversaire

Pour faire un gâteau d’anniversaire, c’est simple : on pèse la farine et le sucre, on casse les œufs, on monte les blancs en neige, on mélange le tout, on préchauffe le four, on cuit, on démoule et c’est prêt. Quatorze animations sont proposées dans ce livre à l’épais cartonnage et à la mise en page on ne peut plus maline pour, pas à pas, mener la recette à bien. Et grâce aux conseils avisés des petites souris, impossible de se tromper !

Clairement, Charlotte est encore trop petite pour ce livre. Certaines animations demandent une motricité et une finesse gestuelle que ne possède pas un enfant de deux ans. Il n’empêche, elle adore tourner et tripatouiller les pages, mais jamais seule, pour éviter tout risque d’arrachage intempestif. A part ça, c’est un excellent livre animé, original et inventif, instructif aussi, permettant beaucoup de manipulations différentes.


Les étapes de la recette sont respectées à la lettre et impliquent une logique d’actions concrète (peser, ajouter, tourner, cuire et manger, sans oublier de souffler les bougies !). Et puis l’air de rien, on aborde un vocabulaire spécifique à la cuisine d’une grande variété. Bref, c’est une réussite et une première approche idéale de la pâtisserie, surtout si après la lecture on passe aux travaux pratiques en réalisant le gâteau pour de vrai !

Mon gâteau d’anniversaire d’Anne-Sophie Baumann et Hélène Convert. Tourbillon, 2015. 8 pages. 13,99 euros. A partir de 3 ans.










vendredi 4 septembre 2015

Sept années de bonheur - Etgar Keret

Il ne pouvait que me plaire ce petit livre. Premièrement, des nouvelles. Ensuite, des nouvelles courtes, très courtes. Enfin, et c’est de loin le plus important, un humour, une autodérision et un sens de la formule imparables. C’est simple, si je devais un jour devenir écrivain (ce qui n’arrivera jamais, je vous rassure), j’aimerais pouvoir écrire comme Etgar Keret !

Déjà, résumer sept années d’existence en si peu de mots et de moments est une belle preuve de modestie et d’humilité je trouve. Pas besoin d’en faire des tonnes, même si au final, comme le dit sa femme, « il y a notre vie, et toi qui n’arrêtes pas de la réinventer pour essayer d’en faire quelque chose de plus intéressant ».

En fait j’adore cette façon de renvoyer une image de soi « réinventée », le plus souvent en la tirant vers le pathétique avec un naturel et un détachement irrésistibles. Quand il raconte par exemple ses déboires avec son fils, son peu d’empressement à se mettre au sport alors que sa santé et son embonpoint l’exigent, la passion familiale pour le jeu Angry Birds, son statut d’homme « qui ne travaille presque jamais » et passe ses journées au jardin d’enfants entouré de mères parlant d’allaitement, de stérilisation de biberon et d’érythème fessier, ses relations compliquées avec les chauffeurs de taxi ou encore quand il se demande à quoi bon faire venir le plombier, s’attaquer à la vaisselle ou sortir les poubelles alors que le président iranien en possession de l’arme atomique a promis de rayer au plus vite Israël de la carte. D’autres textes donnent davantage dans l’émotion, dans l’ironie ou les souvenirs touchants mais il y a toujours ce ton unique, plein de recul face aux situations, limite détaché, comme si tout devait se prendre à la légère parce que finalement, quel que soit le problème, mieux vaut en rire.

On reste dans l’anecdotique, mais un anecdotique rendu délicieux par une prose fluide et aiguisée, une maîtrise parfaite de l’exercice périlleux de la micro-nouvelle et un art consommé de la chute avec des conclusions qui font mouche à chaque fois.

Un vrai bonheur d’avoir croisé la route de ce « juif totalement stressé qui considère sa survie momentanée comme tout à fait exceptionnelle », ce papa conscient qu’il « y a un tas de trucs que les parents sont censés faire pour lesquels je ne suis pas très doué. »  Un type loin de l’image forte, pleine d’ambition et de confiance en soi qu’aiment renvoyer nombre d’hommes modernes. Un type avec qui je me suis trouvé beaucoup de points communs, vraiment.

Sept années de bonheur d’Etgar Keret. Points, 2015. 186 pages. 6,50 euros.





jeudi 3 septembre 2015

Une fille est une chose à demi - Eimear McBride

Neuf ans. Il aura fallu neuf ans pour qu’Eimear McBride fasse accepter son manuscrit par un éditeur. En même temps, quand on pause les yeux sur les premières lignes, on comprend pourquoi ça a été aussi difficile. Parce qu’elle est irlandaise, on pense à Joyce ou à Beckett. On se dit aussi que l’on est proche de l’Oulipo, que le Nouveau Roman est de retour, que le texte relève de l’écriture automatique chère aux surréalistes et à la beat génération. Bref le lecteur lambda (c’est-à dire moi) est perdu. Totalement perdu. Mais bizarrement intrigué aussi. Et comme une preuve tangible vaut mieux qu’un long discours, je vous offre la première page. Le ton est donné et le reste du texte est à l’avenant.



Pour autant, passé l’effet de surprise, l’histoire prend sens peu à peu. Une histoire où la narratrice raconte à sa façon très particulière la mère bigote qu’elle déteste, le père absent, le frangin gardant les stigmates de la tumeur au cerveau qu'on lui a enlevée à la naissance, l’oncle-bourreau qui la déflore à 13 ans, les années lycée où elle couche avec tout ce qui bouge, le départ pour l’université de Dublin et les nuits de perdition dans des pubs enfumés avec des amants d’un soir, puis l’ultime retour dans la maison familiale pour accompagner dans ses derniers instants ce frère qui aura été son seul et véritable amour. Avec ses mots à elle, son discours syncopé, balbutiant, ces phrases tronquées qui se bousculent dans une profusion souvent anarchique. Mais aussi avec des éclairs de poésie illuminant un récit sombre à pleurer.   

Ce roman est un tourbillon qui vous submergera si vous n’y prenez gare. Exigeant, éprouvant même tant il demande une attention de tous les instants. J’avoue, j’ai lâché prise autour de la page 200 (sur 260). Plus moyen de me concentrer, de suivre le fil de ces pensées tellement chahutées qu’elles en deviennent quasi inaccessibles. J’ai repris pied vers la toute fin en tombant sur un passage éblouissant qui m'a mis les poils au garde à vous. Et je crois que c’est ce que j’ai envie de retenir de cette incroyable expérience de lecture (je pèse mes mots !), ces fulgurances touchées par la grâce qui émergent dans le flot ininterrompu d’une prose tellement sauvage qu’elle en devient souvent indomptable.

Avis aux curieux donc. A ceux qui veulent être bousculés, dérangés, surpris par une écriture plus que singulière. Mais une écriture qui reste chargée de sens, qui n’a rien de conceptuel, qui ne relève à aucun moment de la branlette intellectuelle. A ceux en fait qui veulent découvrir un premier roman comme on en a rarement vu. Aux curieux, quoi.

Une fille est une chose à demi d’Eimear McBride. Buchet Chastel, 2015. 262 pages. 20,00 euros.






mercredi 2 septembre 2015

Paul à Québec - Michel Rabagliati

J’ai envie de vous la faire courte aujourd’hui. Pas par flemme ou parce que la rentrée m’a déjà mis sur les rotules mais tout simplement parce que cet album est un tel bijou qu’il n’y a pas grand-chose à en dire.

Michel Rabagliati raconte les mois, les semaines et les jours qui ont précédé le décès de son beau-père atteint d’un cancer du pancréas incurable. De l’insouciance des moments passés en famille avant que la maladie se déclare, de l’annonce du diagnostic à la perte progressive d’autonomie jusqu’au dernier séjour dans un centre de soins palliatifs, le parcours de Roland est décrit sans aucune dramaturgie excessive et avec une pudeur bouleversante.

Pas de super héros ici mais plutôt la vie ordinaire de gens ordinaires. L’épouse qui craque devant la lourdeur des soins à administrer et les humeurs de plus en plus instables du malade, les trois sœurs qui, jusqu’au bout, resteront au chevet de leur père et respecteront sa volonté de mettre fin à son calvaire en demandant à un médecin de « lui donner quelque chose pour passer à travers cette épreuve ultime », la petite fille qui se demande où grand-papa va aller après… Humains, terriblement humains. Et pendant ce temps, l’auteur n’oublie pas de préciser que la vie continue avec les petites joies et les petites peines du quotidien.

Un chef d’œuvre de sensibilité contenue et surtout de dignité. Le portrait de famille tourne sans mièvrerie à la leçon d’altruisme et souligne la solidarité et le soutien sans faille apporté à celui qui combat la maladie entouré des siens, le tout sur un ton qui reste léger, plein de chaleur humaine et avec quelques passages particulièrement drôles (si, si !). Et puis, comme toujours dans cette série, le charme fou d’une langue québécoise presque vernaculaire, écrite comme on la parle.

Un bijou d’album, donc. Incroyable de voir à quel point la simplicité peut atteindre un tel degré de subtilité et de naturel. Pas la peine d’en dire davantage, le sujet n’est pas joyeux, je vous l’accorde, mais franchement, c'est une lecture incontournable. Un énormissime coup de cœur, comme ceux que j'ai connu dernièrement avec Toulmé et Maus.

Paul à Québec de Michel Rabagliati. La Pastèque, 2015. 188 pages. 23,00 euros.


mardi 1 septembre 2015

Le premier mardi c'est permis (40) : Désirs d'évasions

Avouez que le titre est parfait pour un jour de rentrée, non ? Avec ce recueil de nouvelles coquines destination le Maroc, le Brésil, la Russie, les États-Unis, le Japon et l’Écosse. La diversité n’est pas que géographique, les situations sont elles aussi très variées.

La première nouvelle permet de commencer le voyage en douceur avec une aventure plutôt sage se terminant dans un hôtel de Fes (un nom de ville parfaite pour mettre en scène une rencontre « épicée » !). On enchaîne dans un registre beaucoup plus délirant et sarcastique avec une histoire de vengeance pas piquée des hannetons (où l’on découvre par ailleurs qu’une amante brésilienne peut avoir la rancune tenace).  La nouvelle moscovite est celle qui a le plus titillé mon imagination, je l’avoue (un cinq à sept improvisé avec une russe sculpturale assise à coté de moi dans un terminal d’aéroport, ça ne m’arrivera évidemment jamais mais j’ai le droit rêver après tout), alors que la mésaventure d’un routard traversant les USA d’Est en Ouest m’a laissé de marbre. Le séjour express et mouvementé d’une jeune française dans le cadre d’un jeu de téléréalité au Japon m’a paru trop tarabiscoté et peu crédible, même si les scènes « d’action » méritent le coup d’œil. Quant à la dernière se déroulant dans un château hanté écossais, c’est clairement la plus construite, la plus romanesque, la plus drôle et la plus jolie plume, ma préférée quoi !

Franchement ce recueil a constitué une lecture légère bienvenue après ma plongée dans les émeutes de Los Angeles, le drame des migrants ou encore la tête d’une petite barbare. Six nouvelles à prendre pour ce qu’elles sont, des histoires coquines et divertissantes, ni plus ni moins. Et c’était ce qu’il me fallait à la veille de la rentrée.

Désirs d’évasions (collectif). Collection Paulette, 2015. 60 pages. 3,99 euros (epub)

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Sarah