jeudi 6 avril 2017

La pomme empoisonnée - Michel Laub

22 janvier 1993 (le jour de mes 18 ans !). Nirvana donne son unique concert brésilien au stade Morumbi de Sao Paulo devant 80 000 personnes, une prestation que Kurt Cobain qualifiera par la suite de « pire concert de la carrière de Nirvana ». Bien décidé à assister à l’événement avec sa petite amie Valéria, le narrateur se demande s’il doit ou non s’enfuir de la caserne où il effectue son service militaire. Une décision pas si évidente que cela à prendre et qui, même s’il ne le sait pas encore, aura une influence considérable sur son avenir. Vingt ans plus tard, se retournant sur ce jour particulier, il constate à quel point son choix a pu être lourd de conséquences.

Entremêlant sa propre histoire à celles de Kurt Cobain et d’une rwandaise survivante du génocide dans une forme d’autofiction aussi épurée que maîtrisée, Michel Laub déroule une gamme de sentiments où la douleur le dispute au regret. Ce faisant, il constate à quel point un destin se joue à peu de choses, à quel point des empreintes peuvent rester indélébiles malgré la fuite du temps.

Le récit passe du témoignage de la rwandaise au séjour londonien du narrateur, d’une méditation sur les raisons du suicide de Kurt Cobain à la trajectoire d’un gradé sauvé de l’alcoolisme par la bible et bien évidemment par ce fameux 22 janvier 1993. Cent chapitres en cent trente pages, comme autant de petits cailloux posés sur un chemin de prime abord sinueux mais au final d’une imparable limpidité. Avec comme pierre angulaire de l’existence passée et à venir une histoire d’amour brûlante et torturée comme un solo de guitare électrique.

Entre la chronique et le journal intime, ce court texte à la construction ambitieuse allie pudeur et profondeur de réflexion. Avec cette confession tout en introspection qui pousse le lecteur à s’interroger sur sa propre condition je découvre un auteur brésilien talentueux que je vais sans nulle doute continuer à suivre de près.

La pomme empoisonnée de Michel Laub (traduit du portugais par Dominique Nédellec). Buchet Chastel, 2017. 132 pages. 14,00 euros.








mercredi 5 avril 2017

Gonzo : une autobiographie graphique de Hunter S. Thompson - Will Bingley et Anthony Hope-Smith

« Sur ma pierre tombale, ils graveront : ça n’allait jamais assez vite à mon goût. »

Pour le grand public Hunter S. Thompson est l’icône du journalisme gonzo, « une espèce de lascar furieux au cerveau fumeux, profondément déprimé et autodestructeur ». Vénéré par Johnny Depp, adulé par de nombreux fans, l’homme fascine davantage pour son aura sulfureuse que pour la qualité de ses écrits, souvent torchés à la vite pour subvenir à ses besoins, notamment d’alcool et de drogues dures. Thompson a pourtant commis d’excellentes choses, je garde par exemple un excellent souvenir de son roman « Rhum Express » et du célèbre « Las Vegas Parano ».

Cette biographie graphique s’attarde peu sur son enfance dans le Kentucky au début des années 40. Après dix-huit mois dans l’armée il devient journaliste sportif dans le New-Jersey en 1957. Il enchaîne ensuite les postes à New-York, Porto-Rico, San Francisco, l’Amérique du sud ou encore le Nouveau-Mexique, incapable de garder un job plus de quelques mois, le plus souvent viré pour cause d’insubordination. Son premier coup d’éclat, il le réussit en 1965 avec un reportage sur les Hells Angels. Infiltré dans une bande de motards ultra violents, il en tire un ouvrage qui connaît un succès retentissant. Suivront une plongée au cœur du monde des courses de chevaux, un compte rendu de sa candidature au poste de shérif dans le Colorado publié par le magazine « Rolling stone », la description d’un bidonville hispanique à Los Angeles en 1971 ou encore, la même année, la fameuse virée à Las Vegas avec son compère Oscar Acosta.

C’est à Vegas qu’il dessine les contours du journalisme Gonzo, menant son enquête de terrain en toute subjectivité, considérant que « l’objectivité requise n’autorise que les faits. Pas la vérité ». Résultat, une suite de récits hallucinés à la première personne, « une satire, un conte picaresque atavique. Marrant. Pas une histoire fondée sur des faits réels, mais peut-être une histoire vraie ». La légende était en marche, pour le meilleur et surtout pour le pire. Rongé par une consommation abusive de drogues, Thomson s’enfonça les décennies suivantes dans la folie et la dépression,  jusqu’à un suicide aussi tragique qu’inéluctable en 2005.

Tout va très vite dans cet album, on a parfois l’impression de survoler les événements mais c’est finalement plutôt raccord avec la vie du bonhomme. Le récit est en grande partie centré sur les années 70, c’est à la fois la trajectoire d’un homme à l’existence chaotique et une description grinçante de l’Amérique de Nixon pendant la guerre du Vietnam.  Le dessin manque de caractère, il est passe-partout, sans relief, mais reste fluide et efficace.

Un portrait qui ne sombre pas dans l’hagiographie et permet de découvrir les faits « marquants » de la carrière de Thompson sans forcément rentrer dans les détails. Idéal pour les néophytes, cette première approche rondement menée est complétée par l’excellente préface sans langue de bois d’Alan Rinzler, qui a été son éditeur pendant trente-cinq ans.

Gonzo : une autobiographie graphique de Hunter S. Thompson de Will Bingley et Anthony Hope-Smith. Nada, 2017. 190 pages. 18,00 euros.







mardi 4 avril 2017

Parties communes - Anne Vassivière

Reprenons cette affaire depuis le début. L’éditeur annonce la création d’une collection (la collection G.) de romans érotiques pour les femmes et rien que pour les femmes. Je tique un peu mais la curiosité me pousse à y regarder de plus près. Une collection où les auteurs « doivent être des femmes, des vraies, pas des hommes masqués derrière des pseudos féminins ». Pourquoi pas. Et parce que, selon la directrice de la collection Octavie Delvaux, « beaucoup de lectrices attendent plus de la littérature érotique que des contes de fées saupoudrés d’étreintes passionnelles », elle veut défendre « une littérature érotique qui ne prend pas de pincettes pour décrire les actes sexuels ». Avec, ce qui avant le coup me plaisait le plus, des personnages féminins qui ne soient pas « d’éternelles victimes, des nunuches apprenant tout de la vie par un mentor, des femelles qui ne se définissent que par l’image que les hommes leur renvoient d’elles-mêmes ».

Une intention louable, une ligne directrice claire et précise, il y avait tout pour lancer un projet éditorial riche de promesses. Alors peut-on m’expliquer pourquoi le premier ouvrage de la collection est à ce point catastrophique ? Franchement, il y a loin de la coupe aux lèvres. En dehors du titre plutôt parlant et pertinent, je n’ai rien trouvé à sauver dans ce roman. Une succession de points de vue dans un immeuble Haussmannien, des voisins qui prennent tour à tour la parole, qui cachent des secrets, des vies sexuelles tristounettes, des tromperies, des coucheries, des frustrations. Un ramassis de nymphos, de beaufs, de machos, de jeunes, de vieux, d’insatisfaits chroniques et au final, aucun intérêt.

Déjà rien n’est crédible. On se croirait dans un vieux porno à papa. Un regard, un battement de cils, un tortillement du cul en montant les escaliers suffisent à déclencher les hostilités. Le livreur sonne à la porte et c’est parti, le plombier y a droit aussi… affligeant. Ensuite bonjour les clichés : les hommes pensent tous être de bons coups, les femmes comptent les fissures au plafond en attendant que ça se termine et dès qu’elles changent de partenaire, bingo, ça roule ! C’est bien connu, l’herbe est plus verte ailleurs. Cerise sur le gâteau, tout le monde pense au cul 24 heures sur 24. La proprio vieille France se fait tripoter par sa gyneco avant de roucouler avec un jeunot pendant que son mari joue à touche pipi dans l’ascenseur avec la nympho du deuxième étage, le gros macho du premier se tape la gardienne (espagnole et non pas portugaise, n’y allons pas trop fort non plus sur les clichés) avant de se faire enfiler (violer, je ne vois pas d’autre mot) par le célibataire du sixième, debout sur le palier. Et il adore ça le bougre (en même temps c’est bien connu les machos sont tous des homos refoulés). Je m’arrête là dans le ridicule mais je pourrais multiplier les exemples à l’infini.

Juste un mot sur l’écriture. Dans sa note d’intention, Octavie Delvaux prône une exigence de qualité littéraire. Elle réclame « de l’élan, du suspense, de l’émotion. En somme, de la surprise ». Bien, bien, bien. Alors pourquoi la prose est aussi pauvre que gratuitement vulgaire et pourquoi les métaphores navrantes n’engendrent pas le moindre soupçon d’excitation ?

Conclusion : j’ai sans doute commis une erreur fatale en me lançant dans une collection faite par des femmes pour les femmes. Mon instinct de mâle obtus ne m’a à l’évidence pas permis de voir l’or sous le vernis du fumier. J’aurais peut-être dû prendre ce roman au second degré (voire au troisième ou au quatrième) pour l’apprécier à sa juste valeur. Il faut dire aussi que je ne vis pas en appartement, je ne sais donc pas si le fait que tous les habitants d’un immeuble soient de gros obsédés correspond à la norme ou pas. En tout cas dans mon quartier pavillonnaire je ne suis jamais tombé sur une voisine cochonne (vous remarquerez que je ne précise pas « à mon grand regret »). En même temps je vis entouré d’octogénaires, ceci explique sans doute cela.

Mais trêve de digressions, revenons à l’essentiel. Ce roman n’est pas bon. Pas bon du tout. Je ne vois pas en quoi il diffère de ce qui est proposé ailleurs dans le même genre, sauf à considérer que sa médiocrité le singularise du reste de la production. En tout état de cause pour moi, par rapport à l’objectif initial, il y a clairement tromperie sur la marchandise. Ce n’est que mon avis et je vous accorde qu’il ne vaut pas grand-chose mais je le donne quand même.

Parties communes d’Anne Vassivière. La Musardine, 2017. 250 pages. 16,00 euros.

PS : Je vais conclure ce billet par un extrait que je trouve parlant. L’auteure affirme qu’elle s’adresse moins à la raison des lectrices qu’à leur ventre. N’étant pas une lectrice mais un lecteur, je me demande si un paragraphe comme celui-ci remplit cette belle intention.

« J’aime me faire un mec par soir pour me sentir sale et bonne grosse salope jusqu’au suivant. J’aime être la seule de l’immeuble qui se fait enculer et suce après, la vraie salope pur jus de couilles, celle qui chie des bulles de sperme pendant trois jours après une bonne enculade. Et attendre le maximum avant de me laver de la sueur des ébats bestiaux. Et aussi garder la trace argentée du sperme séché qui craquelle la raie du cul, le ventre, les miches, le cou et la joue. Admirable souillure. La preuve tangible et fièrement affichée qu’on m’est passé partout et qu’on s’y est bien affairé. Oui, attendre pour me débarrasser des traces du qualificatif chéri entre tous de "pute", que je m’applique dare-dare à remériter le soir d’après, tous derrière, queues devant. »

Alors, verdict ?











dimanche 2 avril 2017

Flying Witch T1 - Chihiro Ishizuka

Au moment d’entrer au lycée, Makoto, une apprentie sorcière, quitte Tokyo pour rejoindre ses cousins Kei et Chinatsu à la campagne. Avec son chat noir Chito, elle découvre les charmes de la vie au grand air. Mais pour une jeune fille de 15 ans espiègle et spontanée comme Makoto, il n'est pas simple de garder secret son statut de sorcière auprès de ses camarades de classe et de ses nouveaux voisins.      

Un titre parfait pour une première prise de contact avec le manga. Le dessin est épuré à l’extrême et les décors sont minimalistes, les personnages étant souvent mis en scène sans arrière-plan. C’est une façon efficace de fluidifier la narration et de gagner en lisibilité, l’idéal en somme pour ceux qui ouvrent leur premier manga et doivent en priorité s’habituer à un sens de lecture déroutant. Après, ce tome d’introduction pose les bases de l’intrigue et permet de découvrir en douceur les différents protagonistes et leur environnement. Pas d’événements majeurs donc, pas de rebondissements permanents mais juste suite de petites scénettes de la vie quotidienne à la campagne.

Une série que je pourrais qualifier (pour l’instant du moins) de « calme », loin des aventures pétaradantes et sans temps mort que l’on trouve souvent dans la BD japonaise, même pour les plus jeunes. Makoto est attachante, son étourderie, sa maladresse et son sens de l’orientation défaillant, utilisés sous forme de running-gag, déclenchent le sourire. L’aspect fantastique lié à sa condition de sorcière est finalement très peu évoqué mais nul doute que le sujet sera au cœur du récit par la suite.

Un manga jeunesse que ma pépette n°2 (11 ans) a dévoré. Elle n’est pourtant pas une adepte du genre, c’est bien la preuve que cette Flying Witch est parfaite pour les débutants.

Flying Witch T1 de Chihiro Ishizuka. Nobi-nobi, 2017. 160 pages. 6,95 euros. A partir de 8-9 ans.






samedi 1 avril 2017

Trois ans de pépites jeunesse : les gagnants !

Sans fausse modestie, jamais nous n’aurions cru que ce concours anniversaire aurait autant de succès. Et au-delà du nombre de participants, les commentaires laissés ici ou chez Noukette nous ont fait chaud au cœur, c’est rien de le dire. Devant le nombre important de participants, nous avons décidé de faire gagner trente personnes au lieu de vingt-six. Je profite de l’occasion pour remercier chaleureusement les éditeurs qui ont eu la gentillesse de nous fournir les exemplaires que nous glisserons dans les enveloppes.

Mais trêve de blabla, voici la liste des gagnants :

Alex Mot-à-Mots – Antigone – Asphodèle – Bidib - Blandine (Vivrelivre) – Dadou – Didi - Fanny (pages versicolores) – Framboise – Gambadou – Hélène – Julia – Kathel – Krol – Lacomtesse – Lasardine – Laurielit – Manika – Manu B – Marie-Claude - Martine écri'turbulente – Mo – Moka – Nadège - Nadine – Nahe - Petite Noisette – Saxaoul – Stephie – Violette -

On ne vous dit pas quel livre vous allez recevoir, ce sera la surprise en ouvrant votre boîte aux lettres.Vous n'avez qu'à nous transmettre votre adresse, on s'occupe du reste. De toute façon, comme il n’y a que du bon dans nos pépites, vous ne devriez pas être déçus. Et nous vous donnons évidemment rendez-vous pour fêter les quatre ans de nos pépites jeunesse l’an prochain !









vendredi 31 mars 2017

Sacha et Tomcrouz T1 : Les vikings - Anaïs Halard et Bastien Quignon

Sacha est un brillant élève qui impressionne ses camarades. Pour ses 10 ans, il rêve d’avoir un rat qui l’assisterait dans ses expériences scientifiques. A la place il reçoit un chihuahua riquiqui qu’il baptise Tomcrouz en l’honneur de l’idole de sa mère. Après avoir lapé le contenu d’une fiole interdite, le chien éternue et est transporté avec son maître au temps des vikings. Fait prisonnier dès son arrivée par le clan Vik du chef Oda, Sacha se demande comment il va pouvoir retourner chez lui.

Rien de transcendant dans cette histoire mais une barque bien menée, des traits d’humour qui font mouche, un rythme haletant et quelques respirations bienvenues comme la fiche « prends en de la graine » ou la fiche « Einstein » qui donne la recette de la fusée aspirine. L’album fonctionne aussi grâce à la confrontation forcément inégale entre le héros gaulé comme une crevette accompagné de son chihuahua maigrelet et les grosses brutes de vikings qui le prennent pour un nain. Un gamin qui n’a pas sa langue dans sa poche, sauvé par sa débrouillardise et une répartie à toute épreuve, c’est le genre de protagoniste que les enfants adorent.

Le coup du voyage temporel est tout sauf original mais au moins le lecteur connaît le principe et sait à quoi s’en tenir. Le charme de ce premier tome tient également à l’univers graphique plein de peps de Bastien Quignon, très à l’aise pour alterner scènes d’action et moments calmes avec un découpage particulièrement dynamique. Mention spéciale aux personnages secondaires, de la maman excentrique au bellâtre viking en passant par la douce et jolie esclave qui n’aura de cesse de venir en aide à Sacha.

Une nouvelle série jeunesse sympathique et riche de promesses tant le champ des possibles offert par le thème du voyage dans le temps est vaste. Pas de quoi révolutionner le genre pour autant mais la mayonnaise prend dès ce premier tome, et c’est évidemment de bon augure pour la suite.

Sacha et Tomcrouz T1 : Les vikings d’Anaïs Halard et Bastien Quignon. Soleil, 2017. 84 pages. 16,95 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo.






jeudi 30 mars 2017

Suisen - Aki Shimazaki

« Notre vie conjugale va ainsi depuis le début. Je sors librement sans elle, et elle croit que toutes mes sorties sont pour la société. Qu’il s’agit de relations publiques. Cela est commode quand je veux voir mes maîtresses. Vingt-trois ans de mariage sans crise. C’est formidable. Je suis fier de mon excellent choix. »

Il est content de lui Gorô. A la tête d’une société fondée par son grand-père, marié et père de deux enfants, amant de deux maîtresses. Il  est invité dans toutes les événements festifs de Nagoya, se pavane en costume de luxe et distribue sa carte de visite sourire aux lèvres et coupe de champagne à la main. Tout le monde le respecte et l’admire, rien n’est plus important pour lui. En gros il se gargarise chaque jour d’avoir réussi sa vie et d’avoir tout pour être heureux. Mais les apparences sont parfois trompeuses et les certitudes peuvent vaciller au moindre coup de vent. Un grain de sable dans la mécanique bien huilée de son existence va suffire pour tout faire dérailler. Le genre de grain de sable que l’on ne voit pas venir, surtout lorsque l’on passe son temps à se regarder dans le miroir plutôt que de porter attention à ceux qui nous entourent.

Suisen en japonais, c’est la fleur de narcisse. Une fleur parfaite pour le très narcissique Gorô. Un égoïste débordant de confiance en lui, enfermé dans une vision archaïque de l’entreprise, de la famille et du statut de l’homme : « Je ne veux pas épouser une fille plus instruite que moi. Je crois toujours que, pour former un couple idéal, l’homme doit être supérieur à sa femme sous tous les rapports ». Un personnage finalement plus ridicule que méprisable, plus pitoyable qu’haïssable.

J’ai eu l’impression, au début en tout cas, qu’Aki Shimazaki avait un compte à régler, qu’elle cherchait à se « payer » un gros lourdaud aux convictions dépassées, symbole d’une société patriarcale d’un autre âge, et qu’elle y prenait un malin plaisir. Pour le coup elle a manqué d’une certaine finesse dans l’enchaînement des événements. Une fois le premier domino tombé, j’ai compris qu’il allait emporter tous les autres et j’ai vu venir de loin chaque nouvelle catastrophe. Aucune surprise donc, en dehors de ce traitement plutôt caricatural qui ne correspondait pas à mes souvenirs du délicat et sensible Azami, le seul roman que j’avais lu d’elle avant celui-ci.

Heureusement sur la fin elle adoucit le trait, elle rentre dans un registre plus complexe et donne de Gorô une image moins stéréotypée qui gagne en profondeur. Pas suffisant cela dit pour atténuer le portrait à charge sans nuance des trois premiers quarts du récit, même si je reconnais que l’ensemble se lit fort bien, que la prose est d’une remarquable fluidité et que j’ai pas mal ri aux dépens de ce pauvre homme.

Suisen d’Aki Shimazaki. Actes sud, 2017. 162 pages. 15,00 euros.









mercredi 29 mars 2017

Snaergard - Vincent Wagner

Dans la Norvège du 13ème siècle, il ne fait pas bon être le fils d’un seigneur sanguinaire si l’on n’est pas soi-même du genre violent. Ne supportant pas la cruauté gratuite de son père, Pelle quitte en catimini le château familial avec sous le coude les parchemins du scribe Adriel censés délivrer son ami Njal et sa sœur jumelle Solveig de la terrible malédiction qui les frappe depuis plus de dix ans. Un chemin semé d’embûches l’attend jusqu’au sommet de la montagne d’Asketill où, un soir d’éclipse, le charme maléfique pourra enfin être rompu.

Une aventure trépidante digne d’une grande saga nordique. Mêlant action et introspection, Vincent Wagner déploie en 170 planches une fresque dense et maîtrisée au cœur d’étendues enneigées, sous un ciel bas et gris où les forêts sont aussi sombres qu’inquiétantes. La malédiction aux accents fantastiques prend des allures de tragédie shakespearienne dans une fin peut-être un peu trop rapidement expédiée mais dont la puissance dramatique est indéniable.

Au-delà de la quête à mener à bien, l’auteur interroge sur la filiation, sur la difficulté à s’extraire de son milieu et à échapper aux pressions familiales. La narration est ambitieuse, fluide malgré les flashbacks et les passages oniriques qui cassent à bon escient le rythme endiablé de l’aventure. Traits souples, encrage épais, contraste poussé entre des masses de blanc et de noir accentuant l’atmosphère oppressante d’un hiver traversé par une lumière exsangue, le graphisme et le choix d’une gamme chromatique volontairement terne sont parfaitement adaptés à un univers médiéval en perpétuel clair-obscur.

Un chouette album, estampillé « jeunesse » et pouvant être lu dès 12-13 ans mais qui se révèle au final vraiment tout public. En bonus, le dossier documentaire ouvrant ce superbe objet-livre se révèle fort instructif pour comprendre le contexte de l’histoire et les intentions de l’auteur. Les amateurs de récit moyenâgeux épique peuvent foncer les yeux fermés, ils en auront pour leur argent.

Snaergard de Vincent Wagner. Éditions du Long Bec, 2017. 184 pages. 24,50 euros. A partir de 12-13 ans.














mardi 28 mars 2017

Une mère à Brooklyn - Ingrid Chabbert

Judith a 15 et elle est en souffrance. Absences injustifiées en cascade au collège, impossibilité de communiquer avec son père, le claquement de porte est devenu son seul moyen d’expression. Pierre, le papa, ne comprend pas comment les choses ont basculé. Il ne comprend pas que son ado de fille soit entrée en rébellion contre la terre entière. Il ne voit notamment pas le rapport avec le secret qui entoure sa naissance, le pacte qu’il a scellé avec cette mère qu’elle n’a jamais connue et dont personne ne lui a jamais parlé. Alors que les grandes vacances s’annoncent, il contacte cette maman fantôme partie s’exiler à New-York pour vivre une carrière à Broadway. Elle accepte à contrecœur d’accueillir Judith pour un mois, en se faisant passer pour une amie de Pierre. Bonne ou mauvaise idée ?

Franchement, j’ai eu peur que tout se termine bien ! Je n’aurais pas adhéré, je n’y aurais pas cru, j’aurais trouvé ça nunuche. Mais Ingrid Chabbert mène sa barque avec malice. Et réalisme. Surtout, elle montre que l’inconséquence parentale peut faire des ravages, que les secrets que l’on pense devoir cacher à nos enfants pour leur bien finissent toujours par causer de lourds dégâts. Sans juger de manière frontale, sans trouver d’excuses ni jouer les procureurs. Parce que les choses ne sont pas toutes noires ou toutes blanches. Aucune ambigüité par contre sur le fait que Judith est une victime. Et que l’égoïsme de sa mère, assumée et revendiquée, ne pouvait que lui être néfaste. Pour le reste, la fin offre un rayon de lumière, une fenêtre entrouverte vers l’apaisement. A peine entrouverte cela dit, et sans régler les problèmes d’un coup de baguette magique, loin de là.

Un texte délicat et sensible sur la difficulté de se construire et de trouver son chemin quand on ne sait pas d’où l’on vient. J’ai beaucoup aimé le personnage de Judith, touchante, pleine de vie et d’incertitudes, loin de toute caricature.

Une mère à Brooklyn d’Ingrid Chabbert. Les éditions du mercredi, 2017. 114 pages. 12,80 euros.


Une lecture commune que j'ai évidemment le plaisir de partager avec Noukette.










dimanche 26 mars 2017

Les lectures de Charlotte (35) : Minute papillon ! - Gaëtan Doremus

« Voici donc une chenille », nous annonce-t-on en première page. Une affirmation que ladite chenille s’empresse de rectifier : « Eh, minute papillon, je ne suis pas une chenille, je suis un ogre ! ». Le cadre est posé, cette chenille persuadée de ne pas en être une vit dans le déni permanent. Le narrateur nous dit qu’elle mange des haricots ? Elle réplique qu’elle déteste ça et préfère le poisson. Des aubergines lui conviendront davantage, peut-être ? Beurk ! Elle aime mieux grignoter des baleines. Fruits et légumes sont passés en revue et se voient opposer une fin de non-recevoir catégorique : la chenille est un ogre, elle mange des lutins, des enfants, des lapins ou des dinosaures et rien d’autre, nom d’une pipe !

Elle est marrante cette chenille un brin énervée, un poil tête à claque et sacrément râleuse mais surtout (et c’est à l’évidence son plus gros souci) incapable de s’accepter telle qu’elle est. Et pire encore, incapable d’accepter les changements que son corps subit avant une métamorphose à venir dont elle aura sans doute du mal à se remettre.

Un joli album qui vaut autant pour son texte drôle et décalé que pour ses illustrations rappelant des planches encyclopédiques d’antan. A chaque nouvelle « rencontre » avec un fruit ou un légume la chenille se pare d’une couleur supplémentaire pour finir en beau papillon multicolore. Une trouvaille aussi charmante qu’efficace, à l’image de ce bel objet-livre qui ravira à coup sûr petits et grands.



Minute papillon ! de Gaëtan Doremus. Le Rouergue, 2017. 32 pages. 13,90 euros. A partir de 4 ans.