mardi 13 juin 2017

Dans les dents ! Une vie d’ogre - Denis Baronnet et Gaëtan Dorémus

L’ogre Petit Georges a été mis au ban de sa communauté après avoir dévoré sa petite sœur âgée de quelques mois. Esseulé au fond des bois, il est un jour plongé dans le sommeil par un magicien. Se réveillant des siècles plus tard, l’ogre se retrouve à notre époque et se confronte aux dures réalités du monde moderne. Les randonneurs deviennent ses proies favorites mais un jour en croquant dans la jambe en acier de l’un d’eux, il perd ses dents. Un événement qui sera le point de départ d’une course poursuite infernale mettant en scène des personnages tous moins recommandables les uns que les autres.

L’ogre de cette histoire ne fait pas dans la dentelle. Il mange les enfants, les passants, tous ceux qui croisent son chemin. La policière censée mettre fin à ses agissements est plus véreuse qu’une pomme tombée de l’arbre, le bienfaiteur qui sauve Petit Georges des forces de l’ordre est un truand racketteur qui passe ses journées à récolter de petites enveloppes remplies de billets. Tout le monde cherche à tirer profit de la situation, c’est drôle et cruel, magistralement illustré par un Gaëtan Dorémus en pleine forme (la scène où Petit Georges s’imagine créer un poulailler pour humains où il irait chaque jour récupérer sa pitance comme on va chercher des œufs est de loin la plus savoureuse).

Après, l’ensemble est trépidant, les événements s’enchaînent vite, très vite, trop vite parfois, le récit semblant avancer au rythme des grandes enjambées de l’ogre. Mais peu importe cette impression de précipitation, on se laisse au final embarquer par une vague de truculence qui dévaste tout sur son passage. Les amateurs de littérature jeunesse politiquement incorrecte et d’humour noir vont se régaler, les autres peuvent passer leur chemin, cette vie d’ogre n’est à l’évidence pas destinée aux pisse-froids, qu’on se le dise !

Dans les dents ! Une vie d’ogre de Denis Baronnet et Gaëtan Dorémus. Actes sud junior, 2017. 80 pages. 15,00 euros. A partir de 8-9 ans.


Une pépite jeunesse que je partage une fois de plus avec Noukette.









dimanche 11 juin 2017

La Halle - Julien Syrac

Pantha rhei. Tout passe, le monde n’arrête jamais son mouvement. Cette expression attribuée à Héraclite, Julien ne cesse de l’entendre dans la bouche de son copain Avi .Tous deux travaillent à la halle de Marrec. Avi est serveur dans une brasserie, Julien vend des saucissons. Et à la halle, tout passe. La galerie d’art du premier étage va bientôt disparaître, remplacée par un supermarché végétalien. L’avenir est trouble, incertain. Le vendeur de saucissons raconte le dernier jour de la halle dans sa configuration « historique ». Le dernier samedi avant la fermeture de la galerie. Une dernière journée pas tout à fait comme les autres où les hommes et femmes qui font vivre la halle s’agitent, s’interrogent et, pour certains, tombent les masques…

Franchement j’ai eu peur. Peur de la rengaine du « c’était mieux avant », peur d’un roman nostalgique façon vieille France qui m’aurait agacé au plus haut point. Mais mes craintes se sont vite dissipées. Parce que ce premier roman donne avant tout dans l’acidité et l’humour vachard. Julien Syrac passe à la moulinette chacun de ses personnages. Évitant de faire de son narrateur un donneur de leçon au dessus de la mêlée, il croque de savoureux portraits à l’ironie mordante et décortique les comportements d’une « faune » de commerçants et de clients habitée par la peur et les rancœurs. C’est cynique, cruel, moqueur, désabusé, plein d’autodérision, le tout déroulé avec une nonchalance et une forme de second degré qui ne pouvait que me plaire. Une écriture de branleur, dans la veine des premiers romans de Jacky Schwartzmann et Florent Oiseau que j’avais tant aimés. De jeunes écrivains français qui ont depuis longtemps compris, comme le grand Calaferte avant eux, que « l’homme est une saloperie » et qui le démontrent avec un talent des plus savoureux.

Incroyable de constater à quel point cette plongée au cœur de la halle et de son microcosme est réaliste. Je peux vous dire que je ne regarderai plus de la même façon un vendeur de saucissons ambulant ! Un roman bien plus profond qu’il n’y paraît dont seul le dernier chapitre, tirant un peu en longueur, aurait gagné à être resserré. Pour le reste, il n’y a rien à jeter, La Halle mérite vraiment que l’on se penche sur son cas.


La Halle de Julien Syrac. La différence, 2017. 204 pages. 16,00 euros.







vendredi 9 juin 2017

Maures - Sébastien Berlendis


« A quatorze ans chacun découvre l’obsession de l’amour, les confidences nocturnes, la mélancolie et la fragilité qui séduisent. Loin de nous la froideur, l’orgueil, l’ambition, le cœur cuirassé. Je garde en mémoire le grain des peaux ; l’odeur des corps, le timbre des voix, le goût des bouches s’efface. »

Certains livres nous marquent plus que d’autres pour des raisons très personnelles. C’est le cas avec celui-ci. Sans doute parce que comme le narrateur je suis né en 1975 et parce qu’il se déroule en grande partie au cours de l’été 1989, un été que j’ai passé comme lui au bord de la méditerranée avec mes grands-parents. Comme lui j’allais chaque année au même endroit et voyais dans ces quelques semaines passées sous le soleil une parenthèse enchantée. Comme pour lui cet été restera pour moi celui de la découverte du corps des filles et des premiers émois « concrets » avec le sexe opposé. Celui aussi de la prise de conscience des disparitions à venir d’êtres proches que l’on croyait jusque-là éternels.

Au-delà de ces points communs j’ai retrouvé avec plaisir l’écriture de Sébastien Berlendis qui m’avait bouleversé avec son premier roman « Une dernière fois la nuit ». Ici la prose est moins lyrique, plus sèche, et dresse par petites touches un tableau impressionniste. La caravane, la plage, la pinède, la chaleur de l’après-midi, les nuits sans sommeil autour des feux de camp, on suit au fil des jours une vie insouciante sans la moindre aspérité. Avec cette succession de courts paragraphes ciselés au millimètre je constate une fois de plus que l’écriture minuscule m’enchante, que l’économie de moyens et d’effets est une source de ravissement lorsque la petite musique de l’auteur est déroulée sans l’ombre d’une fausse note.

Un retour sur le passé teinté d’une nostalgie qui ne laisse pas de place à la tristesse ou aux regrets. « Ces images d’une adolescence au soleil continuent de modeler mon désir et mon imaginaire » déclare le narrateur devenu quadra. A croire qu’il lit dans mes pensées…

Maures de Sébastien Berlendis. Stock, 2016. 110 pages. 14,00 euros.


PS : un grand merci à Zazy qui a eu la gentillesse de faire voyager ce livre jusqu'à moi. Je vais enfin pouvoir l'expédier à sa prochaine destinataire.






mercredi 7 juin 2017

Le travailleur de la nuit - Matz et Chemineau

Il se dit qu’Alexandre Jacob a inspiré à Maurice Leblanc son fameux Arsène Lupin. Le garçon, anarchiste humaniste et cambrioleur des « ennemis du peuple » qui s’amusait à laisser à ses victimes des petits mots plein d’ironie signés Attila avait, il est vrai, le profil idéal. D’abord marin, ses voyages autour du globe lui confirment que la réalité du monde n’est pas belle à voir. De retour sur terre, il fréquente les milieux anarchistes, devient typographe, est condamné une première fois à six mois de prison pour association de malfaiteurs et se lance dès sa libération dans la cambriole, devenant rapidement un expert en la matière avec ses camarades que la presse finira par surnommés « les travailleurs de la nuit ». Après son arrestation à Abbeville, Jacob est envoyé dans l’enfer du bagne de Guyane, où il restera 22 ans, de 1905 à 1927.

Typiquement le genre de personnage que j’aime. Ni Dieu ni maître, une conscience politique assumée, des principes moraux et des idéaux auxquels on ne déroge pas, une vie picaresque traversée par les drames et les coups durs, Alexandre Jacob est un hors-la-loi comme on n’en fait plus. Au-delà de l’image d’Épinal, Matz et Chemineau s’appliquent à présenter son parcours dans son ensemble, depuis la petite enfance jusqu’au dernier souffle, ce qui permet de mieux appréhender le cheminement qui fut le sien au fil des décennies. Vincent et Gaël Henry s’y étaient déjà essayé l’an dernier dans un album intitulé « Alexandre Jacob, journal d’un anarchiste cambrioleur » mais j’ai trouvé leur projet plus brouillon, bien moins dense et bien moins abouti graphiquement.

 Ici, Jacob possède une vraie épaisseur, sa révolte, son humour et sa lucidité le rendent attachant. Je l’ai quitté à regret cet anarchiste humaniste mais néanmoins ravi de constater qu’il a reçu avec cette BD un hommage à la hauteur de son destin hors-norme.       


Le travailleur de la nuit de Matz et Chemineau. Rue de Sèvres, 2017. 130 pages. 18,00 euros.










mardi 6 juin 2017

Tu seras un saumon, mon fils… - Shôhei Sasaki

Je n’avais encore jamais un lu un manga s’ouvrant sur un concours de branlette entre collégiens. Pas que ça me choque, hein, entendons-nous (j’ai moi-même pratiqué ce genre de « compétition » dans ma jeunesse), mais c’est surprenant. Et pourtant ce n’est rien comparé à la suite. Shion, le champion de la branlette, doit abandonner ses meilleurs copains suite à un déménagement. Nostalgique des bons moments passés avec eux, il s’astique le manche en solitaire au bord d’une rivière. Sa semence tombe à l’eau et s’en va féconder un œuf de saumon. Trois ans plus tard, Shion repasse près de la rivière et tombe sur une créature mi-homme mi-saumon, une créature qui n’est autre que son fils...

Un titre qui fait partie de la collection WTF des éditions Akata, ce qui ne surprendra personne. Franchement, l’auteur doit consommer pas mal de substances prohibées. Il doit même faire de sacrés mélanges. Que penser de ce grand n’importe quoi ? Qu’il faut le prendre comme tel, même si les lecteurs voulant garder un minimum de respectabilité pourront arguer d’une ode à la différence, d’une œuvre bien plus profonde qu’il n’y paraît ou de je ne sais quel autre argument fallacieux pour justifier leur choix de se plonger dans un tel ovni. Pas besoin de tels arguments en ce qui me concerne, il y a longtemps que ma respectabilité s'est fait la malle de toute façon.

J’assume donc. Sans problème.  Les gros délires, ça me plait. Comme j’aime savoir jusqu’où un auteur parti en vrille est prêt à aller. Impossible de rester dans le tiède avec l’homme-saumon engendré par une branlette d’ado. Alors on y va et on imagine une scène d’anthologie qui s’achève en malencontreuse éjaculation faciale dudit saumon sur son paternel. Rien que ça. Et là je me suis dit que j’en avais eu pour mon argent. Ériger le mauvais goût à un tel niveau n’est pas donné à tout le monde, je tire donc mon chapeau à l’auteur pour son audace (ou pour le choix pertinent de ses dealeurs, c’est selon).

Tu seras un saumon, mon fils… de Shôhei Sasaki. Akata, 2017. 220 pages. 7,95 euros.

PS : j'ai voulu, pour fêter les six ans du Premier mardi c'est permis de Stephie, revenir à l'esprit originel de ce rendez-vous, à savoir parler de lectures dont on n'a pas à être fier. Et je crois bien avoir trouvé l'exemple parfait^^











dimanche 4 juin 2017

Tu ne perds rien pour attendre - Janis Otsiemi

Jean-Marc Ossavou est lieutenant de police à la sureté urbaine de Libreville. Depuis que sa mère et sa sœur ont été tuées pas un chauffard ayant échappé à toute poursuite grâce à son statut de fils de ministre, Jean-Marc joue les redresseurs de tort dans les rues de la capitale gabonaise. Un soir, il prend en stop une serveuse prénommée Svetlana à la sortie d’un casino et la ramène chez elle. Le lendemain, il découvre que Svetlana est morte depuis deux ans et demi. Elle a été retrouvée étranglée dans  un ruisseau et son meurtre a été classé sans suite. Voyant dans la présence de ce fantôme dans sa voiture le signe qu’il doit rouvrir l’enquête, Jean-Marc  reprend à zéro les investigations et met le doigt dans un nid de serpents particulièrement venimeux.

Un polar africain que je ne qualifierais pas « d’exotique » tant je trouve le terme stigmatisant, mais qui garantit un vrai dépaysement.  Par son décor d’abord, par sa langue savoureuse ensuite (un français mâtiné d’expressions locales qui ne tombe jamais dans le folklore) et enfin par la description précise des liens qui unissent politiques et investisseurs étrangers dans un pays gangrené par la corruption.

La citation de Jean-Patrick Manchette en début d’ouvrage n’est pas innocente, j’ai retrouvé dans ce texte bien des aspects du néo polar à la française (le seul type de polar qui me convient vraiment pour tout dire). C’est lent, très descriptif, il ne se passe pas grand chose mais j'ai apprécié la dimension sociale relativement marquée. Une vraie découverte, un roman qui m’a sorti de mon train-train habituel et un flic gabonais que j’aurais plaisir à retrouver dans ses futures enquêtes.

Tu ne perds rien pour attendre de Janis Otsiemi. Sang Neuf (Plon) 2017. 230 pages. 15,00 euros.





vendredi 2 juin 2017

Les lectures de Charlotte (37) : Les nuits de Lison - André Bouchard

Lison a peur du noir. Il est partout dans sa chambre. A cause de lui, ses doudous la regardent bizarrement et son ombre la poursuit. Lison pense qu’il y a un crocodile sous son lit. Lison entend un moustique et s’imagine qu’il va lui sucer le sang. Lison n’a pas sommeil et veux qu’on lui lise des histoires. En fait, Lison a beaucoup de mal quand l’heure du coucher arrive. Elle n’aime pas la nuit et il n’y a que dans le lit de papa et maman qu’elle se sent en sécurité.

Elle est espiègle la petite Lison. Malicieuse diront certains. Pour moi qui connaît particulièrement bien la question puisque j’ai la même à la maison, c’est une chieuse. Mais une chieuse qui sait y faire (comme la mienne), qui connaît les points faibles de ses parents et les exploite à merveille (comme la mienne). Une chieuse à la répartie surprenante qui, quand elle vous regarde avec ses grands yeux et avance des arguments pas franchement convaincants pour se retrouver dans votre lit, vous fait fondre comme neige au soleil (comme la mienne).



Un livre au format à l’Italienne regroupant des historiettes de quatre pages. Une image par page, façon strip, un dessin aussi minimaliste qu’expressif, une héroïne moderne à la forte personnalité avec une pointe d’insolence et beaucoup de fausse naïveté pour mieux tromper son monde sans avoir l’air d’y toucher.

Autant vous dire que Charlotte adore Lison. Il y avait déjà Boris et Émile comme gamins débrouillards à la langue bien pendue dans sa bibliothèque, je ne suis pas certain qu’y ajouter Lison soit une bonne idée, mais je dois reconnaître que cet album est drôle et sonne juste. Et puis elle a passé l’âge de s’extasier devant le mollasson T'choupi ou l’encore plus mollasson Petit Ours Brun, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. En somme, mon bébé grandit, je vais devoir m’y faire…

Les nuits de Lison d’André Bouchard. Seuil jeunesse, 2017. 64 pages. 11,90 euros. A partir de 4-5 ans.






mercredi 31 mai 2017

La longue marche des éléphants - Troubs et Nicolas Dumontheuil

« Le Laos était autrefois appelé le royaume du million d’éléphants. […] Il a suffi d’une génération seulement, ici comme ailleurs, pour voir l’éléphant disparaître presque tout à fait… »

En novembre et décembre 2015, le Centre de conservation de l’éléphant du Laos organise une caravane d’éléphants qui parcourt 500 kilomètres à travers le pays. Elle s’achève en une grande procession de vingt pachydermes à Luang Prabang. Le but de cette caravane était d’attirer l’attention sur la nécessité de protéger un animal qui a depuis des siècles aidé les populations dans leurs tâches quotidiennes et est aujourd’hui menacé d’extinction.

Nicolas Dumontheuil  a accompagné la caravane à pied. Anecdotes, relations entre les éléphants et leurs cornacs (maîtres), accueil dans les villages, spectacles joués à la tombée de la nuit, fatigue, grands moments de joie et d’émotion, il restitue avec un dessin tout en fraîcheur une marche militante et une aventure humaine inoubliable. Troubs est quant à lui arrivé sur place après l’expédition. Il raconte le travail réalisé au Centre de conservation et s’attarde sur le comportement grégaire particulier des éléphants, sur la reproduction, sur les techniques ancestrales mises en œuvre par les cornacs pour domestiquer une espèce extrêmement dangereuse à l’état sauvage, sur les obstacles politiques et financiers qui mettent en péril la survie de l’ONG.

Deux points de vue, deux styles graphiques, deux façons différentes d’aborder un même sujet qui s’avèrent au final complémentaires. Ne se contentant pas d’un simple carnet de voyage, les auteurs observent et s’interrogent : comment renouer le lien des laotiens avec un animal dont plus grand monde ne se préoccupe et qui est pourtant indissociable du patrimoine naturel et culturel du pays ? Comment protéger un territoire et un écosystème favorable aux éléphants (la forêt tropicale) alors que le développement économique basé sur le tourisme encourage la déforestation ? Pourquoi l’éléphant accepte d’être au service de l’homme, comment peut se développer une complicité aussi forte entre le pachyderme et son cornac ?

Un superbe album, instructif et dépaysant, hommage au Laos, aux éléphants et à ceux qui tentent coûte que coûte de les protéger.

La longue marche des éléphants de Troubs et Nicolas Dumontheuil. Futuropolis, 2017. 90 pages. 18,00 euros.












mardi 30 mai 2017

Les piqûres d’Abeille - Claire Castillon

« D’emblée, j’ai senti qu’Abeille avait du tempérament, et aucune tare susceptible de me dégoûter. »

L’amour, ça vous tombe dessus sans prévenir. Jean l’apprend à ses dépens au cours du mariage de sa marraine. Il y fait la connaissance d’Abeille, la nièce du marié, et c’est le coup de foudre. Après la cérémonie, apprenant qu’elle habite loin de chez lui, il décide de lui écrire. Mais si les missives du jeune garçon sont bon enfant, celles d’Abeille s’avèrent bien plus piquantes.

Une fois n’est pas coutume, je vous parle aujourd’hui d’une pépite jeunesse qui n’en est pas vraiment une. Si j’ai beaucoup aimé ce roman, son ton et ses personnages si particuliers, il ne me semble pas du tout adapté au public auquel il s’adresse. L’éditeur annonce une lecture « dès 11 ans » et franchement je ne vois pas beaucoup de lecteurs de 11 ans capables de saisir les nuances de ce texte déstabilisant. Parce que pour le coup tout le monde est déstabilisant : les parents moqueurs, la marraine égoïste qui déteste les enfants, la grand-mère aigrie et rabat-joie, la « petite-amie » méchante et dénigreuse, pas un pour rattraper l’autre, à part deux belles âmes, la sœur Zoé et le copain au grand cœur Lambert.

Déstabilisant donc, désarçonnant même tant il est rare de découvrir une tonalité aussi éloignée du politiquement correct dans un roman pour cette tranche d’âge. Personnellement j’ai adoré cet humour féroce, cette ironie mordante, la naïveté touchante d’un Jean persuadé « que les gens mauvais n’existent pas ». Après, le franc-parler et le cynisme sans limite de ses parents est à mes yeux un régal mais je conçois qu’il puisse choquer.

Un drôle de texte, donc. Assurément pas à sa place dans une collection pour les 10-13 ans, assurément pas adapté à cette tranche d’âge, surtout avec des lecteurs n’ayant pas suffisamment de bouteille pour en apprécier les subtilités et pour ne pas tout prendre au premier degré. Mais en ce qui me concerne, en tant qu’adulte, je me suis bien marré.

Les piqûres d’Abeille de Claire Castillon. Flammarion jeunesse, 2017. 152 pages. 14,00 euros. A partir de 11 ans.


Une lecture commune que j'ai évidemment le plaisir de partager avec Noukette.











vendredi 26 mai 2017

L’enfant qui - Jeanne Benameur

L’enfant qui vit avec son père et sa grand-mère. L’enfant qui a perdu sa mère. Il arpente la forêt, guidé par un chien imaginaire. L’enfant qui sait au fond de lui que cette mère a disparu pour toujours, que le manque ne sera jamais comblé. Il avance profondément dans la forêt, découvre de nouveaux lieux. L’enfant qui « a du mal à vivre dans les pièces de la maison », il cherche à habiter le monde. L’enfant qui est épris de liberté, comme sa mère, une « femme des routes » parlant une langue étrangère que le père avait ramenée chez lui après l’avoir rencontrée un jour de foire à la ville. Une femme des routes qu’il n’avait pas su garder, « arrachée à sa vie comme elle y était entrée, d’un coup ! ».

Un plaisir total pour moi de retrouver Jeanne Benameur dans un registre proche de celui de son chef d’œuvre « Les demeurées », dépouillant son récit à l’extrême, l’englobant d’une aura de mystère, usant d’une poésie sèche, d’un rythme heurté, de silences pesants d’où naît l’émotion. Des gens muets, des gens de peu de mots, « une langue du dessous des choses qui va sa route de corps en corps, ne se donne que par le silence de la peau ». Une langue aussi sensuelle que sensorielle qui interroge sur la notion de famille, sur la filiation, sur le vertige de l’absence et, plus que tout, sur le rapport à la mère : « Tant que les mères marchent auprès de nous, nous n’avons pas à nous soucier de la route. Nous marchons dans l’innocence de nos propres pas ».

J’aime cette écriture minuscule, épurée, restant malgré tout d’une densité saisissante. J’aime ce regard sur l’enfance d’une cruelle lucidité, sur la solitude qui guide chaque existence : « Le début et la fin se ressemblent. Toi aussi il n’y a pas si longtemps tu étais encore dans la nuit laiteuse du ventre de ta mère. Un jour tu seras à nouveau dans cette brume lente et ce sera la fin. Entre les deux il y aura eu toute ta vie ».

Un bijou, ciselé avec une infinie délicatesse.

L’enfant qui de Jeanne Benameur. Actes Sud,  2017. 120 pages. 13,80 euros.