lundi 19 février 2018

Il n’en revint que trois - Gudbergur Bergsson

C’est l’histoire d’une ferme isolée dans un coin paumé d’Islande, à deux pas d’un champ de lave et de l’océan. Une ferme où vivent un vieux couple, leur fils, leurs deux petites filles et un gamin dont la mère malade ne peut s’occuper. C’est l’histoire de cette ferme avant, pendant et après la seconde guerre mondiale. L’histoire de cette ferme à l’aune de l’évolution d’un pays foncièrement rural que le conflit va amener sur le chemin de la modernité.
D’abord grâce à l’occupation anglaise, ensuite et surtout grâce à l’arrivée des américains et de l’installation de leurs bases militaires un peu partout sur l’île.

Le roman raconte donc les décennies du 20ème siècle qui ont transformé la société islandaise à travers une galerie de personnages avec lesquels on partage quelques années. Et c’est tout le problème selon moi. On navigue de l’un à l’autre, on commence à s’attacher à certains qui disparaissent soudainement et dont on n’entend plus jamais parler. L’ensemble manque de liant, d’épaisseur, tout va trop vite et les différents événements sonnent comme des anecdotes, rien de plus. En gros je me suis ennuyé. Et pas qu'un peu. Quand je mets plus de quinze jours à lire 200 pages ce n’est pas bon signe. Du tout.

J’ai bien compris la volonté de l’auteur de montrer la difficulté pour un pays enfermé dans ses traditions ancestrales de se confronter de façon brutale à la modernité, j’ai bien compris que le personnage central de son texte est la ferme isolée et non ceux qui gravitent autour d’elle mais il m’a manqué beaucoup trop de choses pour que ce roman passionne. Dommage parce qu’une fois encore la traduction d’Eric Boury est impeccable.

Il n’en revint que trois de Gudbergur Bergsson (traduit de l'islandais par Eric Boury). Métailié, 2018. 210 pages. 18,00 euros.






















samedi 17 février 2018

Paris-Venise - Florent Oiseau

J’avais qualifié le premier roman de Florent Oiseau de « roman de branleur » (ce qui n’avait rien de péjoratif pour moi, bien au contraire). Je constate que le second est du même tonneau. Un personnage sans ambition à la vanne facile, un quotidien de banlieue triste comme un jour de pluie, une forme de renoncement et de désillusion assumée, pas un rond en poche, la glandouille comme principale activité...  un parfait branleur quoi. Sauf que la pression mise par sa banquière oblige Roman à chercher un job. Engagé par une compagnie ferroviaire privée sur le Paris-Venise, le jeune homme plonge dans l’univers très particulier des trains de nuit longue distance.

Dans ce train faussement haut de gamme, il découvre les avantages de certains postes par rapport à d’autres, les collègues magouilleurs, les clients pénibles, les pigeons bons à plumer, les fraudeurs et les clandestins qui tentent de monter à bord pendant les escales en Suisse ou en Italie. Il découvre l’état effroyables des toilettes à nettoyer en fin de nuit, les douaniers portés sur la boisson, les policiers lourdingues, les supérieurs pénibles. Sans compter les arrivées au petit matin dans une ville grise et lugubre où il passe sa journée à dormir dans un hôtel miteux avant de repartir le soir suivant vers Paris.

Roman se met vite au diapason de ses collègues et profite de la moindre opportunité pour améliorer l'ordinaire. Il a parfois des états d’âme mais les scrupules ne l’étouffent jamais longtemps. Il y a une truculence jouissive dans la prose de Florent Oiseau. Son récit sent le vécu à plein nez. Loin du glamour et du romantique, son Paris-Venise est sordidement drôle, porté par une langue très orale. C’est frais, moderne, spontané et derrière le je-m'en-foutisme de façade affleure une réflexion profonde sur la nature humaine.

Seul petit bémol, j’ai parfois trouvé Roman trop gentil, trop naïf, trop bien-pensant. Je l’aurais préféré plus roublard, plus cynique. Un poil moins lisse en somme. Mais je chipote parce qu’au final j’ai pris un vrai plaisir à partager son quotidien de galérien et ses mésaventures tragi-comiques. Il se confirme donc que les romans de branleur me vont comme un gant, ce qui ne surprendra personne je pense.

Paris-Venise de Florent Oiseau. Allary Éditions, 2018. 240 pages. 17,90 euros.














mercredi 14 février 2018

L’homme gribouillé - Serge Lehman et Frederik Peeters

N’y allons par quatre chemins, cet album est une vraie claque ! D’emblée il vous prend par la main et vous emmène sur un chemin brumeux. Un brouillard qui, lorsqu’il se dissipe, vous oriente vers des pistes difficiles à suivre. Mieux vaut ne pas résister et se laisser guider dans un univers réaliste où tout peut basculer en un claquement de doigt dans une dimension fantastique. Hors de question de vous dire quoi que ce soit de l’intrigue, je vous laisse dans le même état d’ignorance que moi au moment de tourner la première page. Seul petit indice, l’univers imaginé par Serge Lehman s’inspire en partie des photographies de Charles Fréger, notamment sa série Wilder Man représentant  des portraits en lien avec la figure de « l’homme sauvage » (à découvrir ici). 

J’aime quand rien n’est donné, quand il ne faut pas chercher à tout comprendre tout de suite. J’aime me dire que je n’ai pas tout saisi, qu’une seconde lecture s’impose pour affiner mon point de vue et mon ressenti. J’aime aussi que l’on prenne son temps pour me raconter une histoire, que l’on tricote des mailles serrées sur lesquelles dégouline une pluie glaciale pendant que l’atmosphère se charge d’électricité et d’étrangeté. J’aime enfin qu’un dessinateur s’empare d’une telle histoire et la sublime avec son découpage cinématographique et son trait d’une troublante intensité.

Il y a quelque chose de magnétique dans cette fable fantastique aux accents gothiques. Une fascination née du renouvellement perpétuel de l’intrigue, des rebondissements aussi inattendus que cohérents et d’une fantasmagorie mêlant avec brio folklore juif, légendes médiévales et sociétés occultes. Pas besoin de tourner autour du pot ni d’en dévoiler davantage, L’homme gribouillé est un album puissant, surprenant,  imprévisible, entretenant une confusion diabolique entre le réel et l’irréel. Un coup de maître !

L’homme gribouillé de Serge Lehman et Frederik Peeters. Delcourt, 2018. 330 pages. 30,00 euros.

Une lecture commune partagée avec Mo et Noukette !






Toutes les BD de la semaine sont à retrouver chez Noukette








mardi 13 février 2018

Mon grand soir - Audrey Demaury

« Ils viennent le chercher ». Un coup de téléphone qui change tout. Le quotidien de Lola, celui de ses parents et surtout la vie de Mano, son petit frère de sept ans, en attente d’une greffe du cœur. L’ambulance va arriver, l’opération est enfin programmée. Restée seule à la maison pour la soirée, Lola navigue entre le plaisir d’une liberté nouvelle et l’inquiétude face aux événements à venir. Surtout que dehors la tempête de neige fait rage et que l’hélicoptère censé amener le nouveau cœur de Mano n’est pas certain de pouvoir décoller…

Un premier roman jeunesse touchant, apparemment inspiré de l’expérience personnelle d’Audrey Demaury. La voix de Lola exprime la difficulté d’être une collégienne en bonne santé dans la maison d’un enfant malade : « Le cœur de mon frère fait la loi à la maison ». Difficile d’exister aux yeux de ses parents, d’attirer leur attention, de susciter un minimum d’affection. Parce que Mano monopolise toute leur énergie et génère une forme d’angoisse permanente ne laissant que peu de place à une vie de famille « normale ».

La galerie de personnages venant  égayer la soirée en solitaire de la jeune fille est aussi savoureuse que décalée, de Fatou l’apprentie voyante à madame Saranzole la prof de maths et son caniche à trois pattes en passant par William aux faux airs d’« Harry Potter en plus télégénique ». C'est frais, absolument pas tire-larmes, et ça sonne juste de bout en bout. Un sujet qui sort des sentiers battus et un premier roman prometteur, il n'en fallait pas plus pour que je passe un excellent moment de lecture.

Mon grand soir d’Audrey Demaury. Thierry Magnier, 2018. 92 pages. 9,90 euros. A partir de 11-12 ans.

Une pépite jeunesse évidemment partagée avec Noukette.










samedi 10 février 2018

Vulnérables - Richard Krawiec

Dandy, premier roman noir, écorché, crépusculaire de Richard Krawiec, m’avait ébloui. J’attendais donc le second avec une impatience mêlée d’appréhension. L’univers de Vulnérables reste le même que celui de Dandy, présentant une Amérique pauvre et un personnage principal à la marge. Billy Pike, quadra sortant tout juste de prison, est appelé à l’aide par ses parents venant d’être cambriolés. Le fils maudit n’a pas remis les pieds dans la maison familiale depuis des années. Son arrivée est loin de soulever l’enthousiasme mais le couple, incapable de surmonter le traumatisme de la violation de son intimité et craignant une nouvelle effraction, n’a pas eu d’autre choix que de le solliciter pour assurer un minimum de sécurité autour et à l’intérieur du logement. Une initiative guidée par la peur et le désespoir qui s’avérera à l’usage bien plus néfaste que positive. 

En préface, Krawiec prévient : « Billy Pike est de ceux qui sont tombés avant de découvrir qu’il n’y avait personne pour les relever. »  Le moins que l’on puisse dire c’est que le « sauveur » n’est pas d’une solidité à toute épreuve. C’est un homme solitaire, fragile, torturé, en plein désarroi. Un géant au pied d’argile qui avait trouvé dans la fuite loin des siens une manière radicale de les protéger de ses propres démons. Car Billy est violent, instable, immature, capable des pires atrocités. Adepte de l’autodestruction, il survit avec les moyens du bord, seul contre tous.

Vulnérables. Le titre est parfait. Dans ce roman tout le monde est vulnérable. Autopsie d’un naufrage, le texte ne laisse aucune place à la lumière. Une noirceur qui a la  longue m’a fatigué. Le pathos tourne au mélo dégoulinant et, un peu comme chez William Boyle, j’ai trouvé que Krawiec forçait le trait dramatique gratuitement et que cela desservait son histoire. On est à la limite de la complaisance dans la description finale de la chute de Billy, en tout cas on est loin de la finesse de Dandy. Dommage parce que le bougre connait à merveille le monde des oubliés du rêve américain et il n’a pas besoin d’en rajouter pour mettre en scène des marginaux aux trajectoires aussi fouillées que marquantes. Finalement mon appréhension de départ s’est révélée légitime. Malheureusement.

Vulnérables de Richard Krawiec. Tusitala, 2017. 220 pages. 20,00 euros.






mercredi 7 février 2018

Jean Doux et le mystère de la disquette molle - Philippe Valette

« J’espère que vous avez un slip de rechange parce qu’on risque de perler de la rillette ! »

Ce genre de phrase me fait kiffer. Grave. Et ce genre d’album encore plus. Tellement barré, tellement décalé, tellement plein de second degré, d’humour absurde, de réparties improbables, de dialogues surréalistes. Comme ce passage où notre héros Jean Doux ouvre la porte des toilettes et tombe sur un collègue tout nu assis sur le trône :

- Mais… qu’est-ce que vous faites à poil Jean-Pierre ?
- C’est parce que j’aime chier nu. Ça me bloque sinon.
[…]
- Vous en avez encore pour longtemps ?
- Euuh… Je suis sur un très très gros dossier, là… Et le consensus est plutôt mou.
- Mon Dieu… Merci pour l’analogie Jean-Pierre.

Voila, le ton est donné. L’histoire, je n’ai pas envie de vous la résumer. Disons juste que tout se passe en une journée, dans les bureaux de la société Privatek, une société spécialisée dans les broyeuses à papier où chaque employé a un prénom composé commençant par Jean. On y croise donc des Jean-Pierre, des Jean-Patrick, des Jean-Daniel, des Jean-Yves, des Jean-Baptiste, des Jean-Claude et des Jean-Bernard. Jean Doux, spécialiste des questions juridiques, arrive en retard à une réunion et c’est le début d’une succession d’événements plus incroyables les uns que les autres qui vont le mettre sur la piste d’un « gros mythe bureaucratique ». Dis comme ça, j’avoue que ça ne fait pas rêver mais croyez-moi, ce huis-clos en open space est un vrai régal, du moins si l'on aime ce type d'humour assez particulier.




Niveau dessin, j’avoue que ce n’est pas l’extase. Certaines cases m’ont fait penser à South Park, qui est quand même loin d’être une référence en la matière. Mais je dois aussi reconnaître qu’un tel parti pris graphique est parfaitement raccord avec le scénario.

Un album inclassable, frapadingue, déjanté, jouissif. Un album qui vient de remporter à Angoulême le « Fauve Polar SNCF », une récompense amplement méritée !

Jean Doux et le mystère de la disquette molle de Philippe Valette. Delcourt, 2017. 250 pages. 29,95 euros.


Encore un cadeau de blogueuse reçu à Noël, décidément, j'ai été gâté !

Toutes les BD de la semaine sont à retrouver chez Moka.












mardi 6 février 2018

Sauveur et fils, saison 4 - Marie-Aude Murail

« Rue des Murlins, au numéro 12, il y avait une maison à la porte grande ouverte ».

Depuis quatre saisons cette maisons accueille les cabossés, les perdus, les abandonnés. Celles et ceux qui ont un problème à partager, un secret à confier, une valise trop lourde à porter. Sauveur Saint-Yves, Psychologue clinicien, en a vu passer des cas compliqués. Il en même a recueilli quelques-uns entre ses murs comme Gabin le lycéen dont la mère est internée en HP ou Jovo le SDF ancien légionnaire. Parmi ses « clients » réguliers il y a Ella, qui voudrait être un garçon et qui panse ses plaies dans l’écriture, son père Camille, alcoolique en phase de désintoxication, la petite Maïlys, quatre ans, qui cherche par tous les moyens à attirer l’attention de ses parents, les sœurs Margaux et Blandine ou encore Samuel, en guerre permanente avec sa mère.

Les nouveaux arrivants se nomment Solo le gardien prison et Jean-Jacques, qui passe sa vie dans chambre et refuse de mettre le nez dehors. Comme d’habitude le roman alterne les échanges dans le cabinet du praticien et les moments de vie privée de ce dernier, une vie privée toujours aussi emberlificotée entre son fils Lazare, ses « invités » permanents squattant sa cave et son grenier et la douce Louise accompagnée de ses deux enfants, qui partage de plus en plus sa vie et a des envies de maternité. Rien n’est simple mais rien n’est insoluble non plus, il faut juste prendre le temps d’écouter, d’échanger, de partager et d’avancer, ensemble.

Alors comme ça, Sauveur c’est fini ? Définitivement ? Difficile de laisser cet univers plein de vie et de chaleur humaine, ces dialogues aux petits oignons, ces personnages si attachants. Difficile de se dire que l’on ne franchira plus la porte du cabinet, que l’on ne partagera plus les confidences de patients cherchant avant toute chose une bonne âme qui les écoute et comprend leurs maux.

Une série formidable s’achève, une série moderne, intelligente, réaliste. Une série débordant d’empathie et d’humanité, une série qui fait du bien, une série dont chaque nouveau tome était l’assurance de passer un délicieux moment de lecture entre les quatre murs du 12 rue des Murlins. Merci pour tout madame Murail, je ne suis pas près d’oublier Sauveur et sa joyeuse clique !

Sauveur et fils, saison 4 de Marie-Aude Murail. L’école des loisirs, 2018. 300 pages. 17,00 euros.

Une lecture commune évidemment partagée avec Noukette.

Mes avis sur les saisons 1, 2 et 3.






lundi 5 février 2018

Les lectures de Charlotte (48) : Boris : le petit livre de mes grands secrets - Mathis

Ah, les secrets ! Ceux que l’on garde précieusement, ceux que d’autres révèlent à notre insu, ce qui ne se répètent pas, ceux que l’on ne peut pas préserver. Mieux vaut ne pas fanfaronner quand on a quelques secrets honteux à cacher, mieux vaut garder pour soi ceux qui fâchent. Et puis il y a ceux que l’on s’invente pour s’entourer de mystère, ceux que l’on partage donnant-donnant…

Boris révèle dans ce petit livre tous ses grands secrets. Et si vous connaissez l’animal, vous vous doutez que ce n’est pas joli-joli. Sans fausse modestie, celui qui se considère comme le plus courageux, le plus élégant, le plus intelligent et le plus grand des ours dit tout, absolument tout.

Au passage il révèle (parfois malgré lui) des secrets dignes de sa sulfureuse réputation. Monsieur colle par exemple ses crottes de nez derrière son lit, fait pipi dans les plantes de mamie et se mouche dans les rideaux. On apprend également que ce vantard « croit que la cuvette des WC est un monstre qui mange du caca », qu’il ne peut s’endormir sans un bisou de sa maman et qu’il a peur des poupées.



Comme d’habitude c’est hilarant. Politiquement incorrect, sans langue de bois et plein de mauvais esprit, le tout saupoudré par une petite touche de douceur qui rend ce chenapan si attachant. Un Boris égal à lui-même en somme. Charlotte l’adore. Les bad boys et les forts en gueule c’est décidément son truc, et ce n’est pas moi qui vais lui reprocher d’avoir des goûts aussi tranchés. 

Boris : le petit livre de mes grands secrets de Mathis. Thierry Magnier, 2018. 48 pages. 14,50 euros. A partir de 4-5 ans.

p.s. après plus d’un an d’absence Boris revient enfin sur les rayonnages des librairies avec non pas une mais deux nouveautés puisqu’en même temps que le petit livre des grands secrets est sorti « Le jour des bisous ». L’occasion de faire coup double avec Boris.



p.s. (bis) : Je profite de ce billet pour souhaiter le plus joli des anniversaires à ma pépette adorée, qui fête ses 5 ans aujourd’hui.






samedi 3 février 2018

Comme un chef - Benoît Peeters et Aurélia Aurita

Je connais peu de choses à propos de Benoît Peeters. Je sais juste qu’il est le scénariste de la superbe série « Les cités obscures » et que c’est un des plus grands spécialistes d’Hergé. Dans ce récit autobiographique je découvre sa passion pour la cuisine, une passion née dès l’enfance dans un foyer où les repas concoctés par sa mère étaient pourtant d’une qualité plus que douteuse. Initié à la gastronomie par un camarade d’Hypokhâgne, il connait sa première grande émotion gustative au cours d’un repas dans le restaurant  étoilé des frères Troisgros à Roanne. Une révélation qui le pousse à se lancer à corps perdu dans les expériences culinaires, au point de tourner le dos à sciences po pour entamer une périlleuse carrière de chef à domicile dans les beaux quartiers de Bruxelles.

L’album décrit à merveille l’émotion que peut procurer un plat préparé à la perfection. Peeters, qui a contribué à éditer en France « Le gourmet solitaire » de Taniguchi, transmet avec la même simplicité que l’auteur japonais son enthousiasme pour la bonne chère. Il revient aussi longuement sur son amour de la littérature, notamment sa relation privilégiée avec Roland Barthes, qui valida le dépôt de son mémoire universitaire Sur « Les bijoux de la Castafiore ».

Quelque part cette autobiographie intime m’a rappelé l’album « Extases » de Jean-Louis Tripp. Comme chez Tripp, on découvre la fascination d’un homme pour un sujet (le sexe pour l’un, la cuisine pour l’autre) qu’il souhaite explorer dans toutes ses dimensions. Le regard porté par Peeters sur son parcours et son éducation culinaire est aussi modeste que sincère. L’hommage appuyé aux grands chefs qui ont croisé sa route montre à quel point il se sent redevable (et privilégié) d’avoir pu côtoyer de telles personnes et surtout d’avoir pu manger à leur table. Au-delà, il souligne que la cuisine est avant tout une histoire de partage et de rencontres, et que le plaisir peut être le même derrière les fourneaux que devant l’assiette.

Graphiquement, Aurelia Aurita donne dans la simplicité. Son dessin enjoué reste au service du texte sans jamais chercher à en faire trop et l’idée de ne mettre en couleur que les plats ou les ingrédients est une trouvaille qui permet de rappeler que ces derniers sont finalement les éléments centraux du récit.

Un album mitonné aux petits oignons, à savourer sans modération (ok, cette phrase de conclusion archiconvenue ne vole pas haut mais c'est le week-end alors je me permets de céder à la facilité).


Comme un chef de Benoît Peeters et Aurélia Aurita. Casterman, 2018. 216 pages. 18,95 euros.





jeudi 1 février 2018

L’infinie patience des oiseaux - David Malouf

1914. De retour sur ses terres du Queensland après avoir étudié en Angleterre, Ashley Crowther fait la connaissance de Jim Saddler, un jeune homme de son âge passionné d’ornithologie. Partageant le même amour de la nature que son nouvel ami, Ashley décide de créer dans les marais de son domaine un sanctuaire pour les oiseaux migrateurs. Mais quand la guerre explose en Europe, Jim et lui se retrouvent au cœur d’un conflit qui va bouleverser leurs destins.

Salué comme un chef d’œuvre au moment de sa publication en Australie en 1982, L’infinie patience des oiseaux est un texte magnifique, tout en retenue et en poésie. David Malouf décrit le quotidien du soldat Jim au jour le jour, de l’engagement à la traversée de l’océan, du débarquement en France aux premiers combats, de la vie à l’arrière à l’enfer des tranchées. Jim porte un regard lucide sur sa condition, il constate l’horreur et l’absurdité de la guerre sans colère, il perd ses camarades les uns après les autres, survit aux pires situations sans se faire d’illusion sur la suite des événements, ayant bien conscience que son tour finira par arriver.

Le décalage entre le champ des possibles ouvert par sa rencontre avec Ashley au début du roman et son statut de poilu envoyé à la boucherie montre à quel point une génération entière, à travers le monde, a perdu son innocence, sa jeunesse et son avenir au fil du conflit. La plume aérienne et sobre de David Malouf évite de noyer le lecteur sous des tombereaux de violence gratuite. Rien n’est éludé pour autant mais l’horreur est décrite avec une sorte de mélancolie extrêmement touchante.

Clairement, ce roman propose une autre une façon d’écrire sur la guerre. La première partie dans le Queensland, bucolique en diable, est d’un grand classicisme alors que l’arrivée en France signe le passage à style plus direct, plus réaliste.  Au final le texte apparaît à la fois d’une grande cohérence et d’une grande modernité, portant une réflexion sur le sens de la vie aussi pertinente que saisissante. Une superbe découverte.

L’infinie patience des oiseaux de David Malouf. Traduit de l’anglais (Australie) par Nadine Gassie).  Albin Michel, 2018. 220 pages. 20,00 euros.