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vendredi 27 mars 2015

Grossir le ciel - Franck Bouysse

Janvier 2007. L’abée Pierre vient de s’éteindre et au cœur des Cévennes, Gus est bien plus touché par la nouvelle qu’il n’aurait pu le croire. Et même s’il ne le sait pas encore, dans sa ferme isolée entre forêts et montagnes, dans le froid et le vent glacial d’un interminable hiver, il va vivre un événement qui bousculera sa morne routine et changera les choses à jamais.

Les grands espaces, quelques vaches à l’étable, la compagnie d’un chien, d’un fusil et d’un voisin taciturne avec lequel on partage parfois une affreuse piquette, tel est l’univers de Gus. Il est né et a grandi dans ce Gévaudan Cévenol qui lui ressemble : sauvage, isolé, rugueux. Avec son voisin Abel, il cultive une amitié bourrue basée sur l’entraide et le besoin occasionnel de tromper une solitude pesante. Mais au cours de ce rude hiver, les deux hommes vont devoir se rapprocher malgré eux, parce que certains cadavres sortent du placard, certains secrets de famille enfouies depuis des décennies resurgissent et mettent le feu aux poudres.

Une magnifique surprise. L’écriture de Franck Bouysse est un enchantement. Il décrit à merveille les gestes précis du quotidien paysan, il dit l’odeur du foin, de la terre mouillée, des troncs d’arbre fraîchement coupés, de la truite grésillant dans la poêle. Mais il exprime aussi les silences, les non-dits et la misère affective des gens de peu. Sans un mot de trop, avec une économie de moyens et d’effets absolument remarquable.

Polar régionaliste ? Nature Writing ? A vrai dire peu importe, je n’ai envie de faire rentrer ce texte dans aucune case. Je sais juste que c’est un roman âpre et tendu aux accents élégiaques, et je sais juste que j’ai pris un immense plaisir à le lire. Et puis j’aime ce titre superbe qui prend toute son sens dans les dernières pages.

Grossir le ciel de Franck Bouysse. La manufacture des livres, 2014. 200 pages. 16,90 euros.

Les avis de Au pouvoir des mots et Dominique











vendredi 16 janvier 2015

Entre frères de sang - Ernst Haffner

Incroyable destin que celui de ce livre ayant connu un immense succès en Allemagne au moment de sa publication en 1932 avant d’être interdit et brûlé par les nazis lors d’autodafés puis de tomber dans l’oubli après 1945. De son auteur, on ne sait presque rien, à part qu’il a été journaliste, sans doute travailleur social, et qu’il a vécu à Berlin entre 1925 et 1933.

Les frères de sang, c’est le récit des aventures d’une bande de garçons dans le Berlin des années 30. Des gamins des rues frappés par la crise économique ou dont les familles avaient été détruites par la première guerre mondiale. Placés par l’assistance publique dans des institutions destinées aux mineurs, ne supportant pas les brimades d’un système cherchant à les briser, ces enfants en fuite se réfugiaient le plus souvent dans les grandes villes. Se regroupant en bandes, ils vivotaient entre petits trafics et prostitution, toujours en quête d’un repas chaud et d’un toit pour la nuit. De jeunes voyous solidaires dans la souffrance, s’abrutissant au mauvais schnaps dans les bouges des quartiers populaires. Ceux qui se faisaient arrêter par la police passaient par la case prison avant de retourner en foyer et de s’en échapper à nouveau.

Ce roman dit la misère sans misérabilisme. Il tient du témoignage, même si c'est clairement une fiction. Haffner dénonce la brutalité de l’assistance publique. Il décrit la violence permanente de la rue, le froid, la faim, le désespoir. Son texte est d’un grand réalisme, douloureux sans être dénué d’espoir. Surtout, on sent la proximité de l’auteur avec ses personnages, sa compassion jamais larmoyante, sa sincérité totale.

Un livre important pour découvrir le sort d’innombrables jeunes gens qui, dans l’Allemagne en crise de l’entre-deux-guerres, essayèrent de survivre tant bien que mal avant sans doute (même si le roman ne nous le dit pas) d’être emportés par le tourbillon du nazisme.

Entre frères de sang d’Ernst Haffner. Presses de la cité, 2014. 270 pages. 20,00 euros.

vendredi 2 janvier 2015

Bienvenue à Mariposa - Stephen Leacock

1912. Stephen Leacock  narre la vie quotidienne d’une ville fictive de l’Ontario à travers quelques-uns de ses habitants. De chapitre en chapitre, le lecteur part à la rencontre de l’hôtelier roublard Mr Smith, du barbier boursicoteur Jefferson Thorpe, du révérend Drone, incapable de faire face à la dette engendrée par la construction d’une nouvelle église, ou encore de Peter Pupkin, guichetier de la banque de Mariposa dont la romance avec Zena, fille du juge Pepperleigh, alimenta bien des chroniques. Mais Leacock nous raconte aussi un naufrage qui aurait pu être tragique, un hold-up qui n’en était pas vraiment un et des élections locales mémorables.

Le propos est léger, un poil sarcastique tout en restant pétri de bienveillance. Dans la postface, l’illustrateur Seth résume parfaitement l’esprit de cet ouvrage devenu un grand classique populaire de la littérature canadienne anglophone : « Ces textes ne sont pas purement comiques, ni franchement satiriques. Pas juste méchants non plus : il y a trop d’amour dedans pour cela, et cependant pas assez pour être vraiment compassionnels. Leacock aime bien les gens de Mariposa, mais cela ne l’empêche pas de les regarder de haut. Il ne se gêne pas pour pointer leurs défauts. »

L’auteur se moque gentiment des petites villes de Province mais on le sent aussi sous le charme de cette vie simple. Souvent proche de l’absurde, il fait d’événements banals une odyssée et joue de quiproquos pour déclencher le sourire. Ses autochtones sont tantôt pragmatiques, tantôt rêveurs, ils retournent leur veste à la moindre occasion, disent tout et son contraire lorsqu’il est question de politique, mais ils savent aussi se montrer solidaires et très impliqués dans la vie de leur communauté.

 Une lecture vraiment agréable, qui coule toute seule. J’ai beaucoup aimé me promener dans les rues de Mariposa. Et que dire de l’ouvrage lui-même, superbe objet-livre à la jaquette dorée, à l’épais cartonnage et au texte richement illustré. Une édition de prestige particulièrement soignée.


Bienvenue à Mariposa de Stephen Leacock (ill. de Seth). Wombat, 2014. 260 pages. 29,00 euros.


L'avis de Choco


dimanche 28 décembre 2014

Les mots qu’on ne me dit pas - Véronique Poulain

Alors voila. Tu croises un bouquin partout sur la blogosphère, tu déclares à chaque fois qu’il ne t’intéresse pas une seconde et patatras, tu le trouves au pied du sapin ! Comme tu es bien élevé, tu dis merci. Et puis tu décides de le lire au plus vite au cas où on te demande ce que tu en as pensé. Pour celui-là, pas de souci avec le nombre de pages vu qu’il se lit en deux heures. Le problème est de savoir si tu vas dire la vérité (j’ai été très agacé, voire un peu plus, par ce texte) ou si tu vas feindre la satisfaction totale dans l’espoir que l’on continue à t’offrir des livres à Noël plutôt que des slips ou des chaussettes.

Véronique Poulain raconte sa vie d’enfant entendante auprès de parents sourds. Une vie compliquée, une communication forcément difficile, une relation à l’autre tellement différente où pointe souvent l’agacement, le rejet, les moqueries. Un manque de complicité, un manque d’amour aussi, même si, en grandissant, les choses s’arrangent peu à peu.

Clairement, j’ai très mal pris ce texte. Cette succession d’instantanés n’est qu’anecdotique, je suis certain qu’il ne m’en restera rien dans quelques jours. Véronique Poulain se pique de bons mots, j’ai eu l’impression de la voir en plein stand up, voulant coûte que coûte faire rire son lecteur (pas pour rien qu’elle a été pendant quinze ans l’assistante de Guy Bedos). Bon, je reconnais que je rigole quand je me brûle, je suis donc forcément très mauvais public pour ce genre de prestation, mais cette volonté permanente de chercher la formule qui fait mouche fini par être lassante : "Salut, bande d'enculés !" C'est comme ça que je salue mes parents quand je rentre à la maison. Mes copains me croient jamais quand je leur dis qu'ils sont sourds.Je vais leur prouver que je dis vrai. "Salut, bande d'enculés !" Et ma mère vient m'embrasser tendrement.

Et puis je me suis senti très mal à l’aise face au mépris affiché en permanence pour ces parents qui lui font plus honte qu’autre chose, et auxquels elle ne semble finalement trouver aucune circonstance atténuante. « Sans tabou », précise la quatrième de couverture. Certes, mais il y a aussi là une forme d’indécence je trouve, une indécence un peu gratuite, ce qui est encore pire. J’ai très peu apprécié le coté geignard de la confession, ce « plaignez-moi, j’ai eu une enfance de merde à cause de mes parents sourds » qui sonne comme un leitmotiv au fil des pages. Alors bien sûr, il y a les quatre dernières phrases : « Aujourd’hui, je suis fière. Je les revendique. Surtout je les aime. Je veux qu’ils le sachent ». Pirouette salvatrice, conclusion évidente et définitive dont je ne me permettrais jamais de mettre en doute la sincérité. Mais ne fallait-il pas mieux commencer par là ?


Les mots qu’on ne me dit pas de Véronique Poulain. Stock, 2014. 140 pages. 16,50 euros.


Des tonnes d'avis très positifs sur Babelio et celui de La fée lit, beaucoup plus proche du mien (mais dont le billet est bien mieux troussé).




lundi 22 décembre 2014

Femme nue jouant Chopin - Louise Erdrich

Ces nouvelles ont été publiées entre 1978 et 2008. Dommage qu’elles ne soient pas datées dans la table des matières, cela m’aurait permis de voir si mes préférées sont toutes plus ou moins de la même période. Parce que si je n’irai pas jusqu’à dire qu’il y a à boire et à manger dans ce recueil, il faut reconnaître que certaines histoires sont bien plus anecdotiques que d’autres. En fait, jusqu’à la nouvelle éponyme, je me suis un peu ennuyé (en dehors du texte « Le lait paternel » où un soldat récupère et élève un bébé après le massacre d’un village indien). Mais à partir de « Femme nue jouant Chopin » et pendant les trois nouvelles suivantes, je me suis régalé.

Erdrich met en scène des hommes et des femmes, la plupart du temps des indiens du Dakota du Nord, écartelés entre modernité et traditions. Elle nous les montre le plus souvent à un moment crucial, un point de bascule où les relations évoluent, en bien ou en mal, et elle décline de manière récurrente les thèmes de l’identité, la tribu, la mémoire. Elle inclut par ailleurs avec une facilité déconcertante une dose de poésie et des éléments oniriques proches d’un certain réalisme magique. Il se dégage de ces récit une vraie puissance narrative, beaucoup de minutie dans les descriptions et un art consommé  de las chute.

Un recueil certes inégal mais dans lequel j’ai aimé cheminer, même si ce fut parfois sur la pointe des pieds. Et incontestablement, Louise Erdrich est une grande conteuse.

Femme nue jouant Chopin de Louise Erdrich. Albin Michel, 2014. 368 pages. 22,90 euros.

Les avis de Cathulu et Jostein.





dimanche 7 décembre 2014

Moisson - Jim Crace

Une fois n’est pas coutume, je vais commencer mon billet par une petite revue de presse. Voila par exemple ce que j’ai trouvé dans « Lire » à propos de ce roman : « Moisson est un conte noir, dont la puissance est dissimulée sous les épis de blé, les bottes de foin, les réserves de chaumes, et au-dessus duquel le ciel menace sans cesse.  […]Moisson, c’est le feu du western qui arrive dans un roman naturaliste. […] Par un phrasé ample, tout à la fois psychologique et abstrait, chamanesque pour un peu, Crace tient son lecteur en apnée. […] Intemporel, Moisson est un des très grands moments de l’automne littéraire cette année ».

Et dans le Monde des livres : « Crace est un ménestrel. Il chante les temps d’avant la croissance mythique et s’interroge sur la moisson de la modernité. […] Il faut lire Crace, un écrivain poétique, politique et puissant. Un fabuleux fabuliste ».

Bon, alors de deux choses l’une : ou bien je suis un parfait abruti (hypothèse à ne pas écarter totalement, je vous le concède), ou bien ces critiques professionnels en font des caisses pour un roman qui ne casse pas trois pattes à un canard. La réalité doit sans doute se trouver quelque part entre ces deux possibilités.  Par rapport à l’article du monde, je ne retiendrais que l’aspect politique de l’œuvre. Parce que perso, je n’y ai rien vu de poétique ni de puissant. Quant au feu du western qui arrive dans un roman naturaliste dont parle « Lire », je me demande si on a lu le même livre. En tout cas je n’ai pas été tenu en apnée une seule seconde.

Mais au fait, de quoi il parle ce roman ? D’une petite communauté agricole de soixante âmes isolée du reste du monde et vivant en totale autarcie. On ne sait pas où elle se trouve, on ne sait pas quand l’action se déroule. Ce pourrait être le Moyen âge, ce pourrait être le 19ème siècle préindustriel. En fait, le fonctionnement du village au fil des saisons a tout de féodal. Le narrateur raconte l’arrestation de trois étrangers après un incendie ayant touché une partie du manoir du seigneur Ken. Accusés sans preuve, les deux hommes sont cloués au pilori et la femme parvient à s’échapper. Quelques jours plus tard apparaît maître Jordan, nouveau propriétaire des lieux voulant remplacer les cultures par l’élevage de moutons et faire basculer cette « bulle » hors du temps vers le progrès, vers le capitalisme de marché. Ces deux événements à priori sans rapport vont précipiter l’éclatement de la communauté.

Clairement, je me suis ennuyé. Le narrateur loue les vertus de la nature triomphante, de la  simplicité du travail de la terre. Il y a de longues descriptions des activités agricoles, des champs et des bois qui ont eu sur moi un effet soporifique indéniable. Après, je reconnais qu’il y a une forme de tension assez prenante par moment, que l’aspect intemporel donne une dimension mystérieuse et universelle au récit, que l’évidente allégorie dénonçant la mondialisation et le propos politique sous-jacent (notamment le racisme lié au repli sur soi) sont finement amenés. Mais de là à en faire « un des très grands moments de l’automne littéraire cette année », il y a un fossé, un énorme fossé, que je me garderais bien de franchir.


Moisson de Jim Crace. Rivages, 2014. 266 pages. 20,00 euros.











vendredi 28 novembre 2014

Retour à Little Wing - Nickolas Butler

Ils étaient quatre. Inséparables depuis l’enfance, ayant grandi dans ce coin paumé du Wisconsin appelé Little Wing, dans le trou du cul de l’Amérique. Ils sont devenus courtier, champion de rodéo, fermier et rock star. Entrés de plain pied dans la trentaine, l’heure est aux grands changements. Leurs chemins se sont séparés mais aujourd’hui chacun revient sur la terre qui l’a vu naître. Les retrouvailles sont chaleureuses. Ou pas. Doute, nostalgie, avenir incertain et cadavres sortis du placard vont mettre en danger des liens d’amitié plus fragiles qu’il n’y paraît.

Un roman choral qui ne me laissera pas un souvenir impérissable. Il avait pourtant tout pour me plaire. Une histoire d’hommes, les grands espaces, les petits riens des petites gens… Et pourtant je l’ai trouvé trop plat, trop « facile ». Les hommes de Little Wing dont il est question ici sont les descendants d’un western de pacotille. Ils sont bourrus, ont l’amitié virile, portent santiags et jeans, roulent avec leur pick-up entre les champs de maïs. Ils boivent de la bière tiédasse dans d’infâmes bouis-bouis sentant la grassouille et regardent chaque matin le soleil se lever les larmes aux yeux. Un catalogue de clichés très lisses et une scène finale que j’ai trouvée absolument ridicule. Et puis il y a des phrases tellement cucul dans ce texte : « Je me suis levé et approché d’elle, comprenant en cet instant que nous avions déjà commencé à vieillir et que nous vieillirons ensemble » ou encore : « j’ai senti la main de Ronny dans la mienne, sa peau rugueuse, et je l’ai serrée en me sentant à la fois triste pour lui et heureux d’être à ses côtés, heureux qu’il soit là. […] J’avais dans le cœur un énorme puits d’amour que je sentais déborder, tout en le sachant intarissable. » Sérieux ????

Je suis désolé mais l’amitié célébrée avec de telles niaiseries, je ne peux pas. Surtout quand je repense à « Je refuse » qui abordait la même thématique avec beaucoup plus de finesse et d’aspérités, avec une écriture pleine de souffle et une narration cent fois plus attrayante. Un roman bien trop simple (j’ai envie de dire simpliste), bien trop naïf, célébrant une forme d’amitié et d’authenticité bien trop artificielle. Une belle grosse déception, quoi. Ça arrive, malheureusement.

Pour la peine, je retourne écouter le Little Wing de Jimmy Hendrix. Au moins avec celui-là, je n’ai jamais été déçu.

Retour à Little Wing de Nickolas Butler. Autrement, 2014. 445 pages. 22,00 euros.

Une lecture commune que je partage avec Sylire, Tiphanie et Valérie.

Les avis de ClaraHélèneEstellecalim ; Kathel ; KrolLéa Touch Book ; Sandrine ;







J'ai reçu ce livre dans le cadre des matchs de la rentrée Priceminister
et il faut que je lui mette une note. Le pauvre...
Allez, je vais être bon prince et lui donner un généreux 11/20.










vendredi 21 novembre 2014

Le puits - Ivan Repila

Je n’ai pas l’habitude de le faire, mais pour une fois je vais spolier à mort. Difficile de comprendre ce que j’ai ressenti en lisant cet OVNI si on ne connait pas l’ensemble de l’histoire. Je m’en excuse par avance mais je suis incapable de procéder autrement. Je précise d’emblée que ce livre, on me l’a prêté. Je n’en avais jusqu’alors jamais entendu parler. C’est un tout petit fascicule d’une centaine de pages. Dans la préface, Zoé Valdes s’extasie devant cette œuvre qu’elle place « au panthéon des Jules Verne, Alain Fournier et autres Antoine de Saint-Exupéry ». Franchement, je n’ai rien vu de tout ça.

Dès la première page, nous sommes avec deux frères prisonniers d’un puits. On ne sait pas où ils sont, on ne sait pas quand l’histoire se déroule, on ne sait pas comment ils s’appellent ni comment ils sont arrivés là. Il y a juste « le grand » et « le petit », coincés dans un trou sans aucune possibilité de s'en échapper. J’ai compris que les numéros des chapitres, s’enchaînant sans suite logique (2-3-5-7-11-13-17-19-23…), devaient correspondre aux jours qui passent. Pour info, le dernier chapitre est le 97…

Les jours passent, donc, et les enfants se nourrissent de vers et de racines. Ils s’occupent comme ils peuvent, dorment affreusement mal, dépérissent peu à peu. Dans ce huis clos irrespirable, le petit sombre peu à peu dans la folie. Tous deux pensent au meurtre, au cannibalisme, à cette faim qui les ronge, à cette liberté semblant à jamais perdue. Et pendant ce temps, personne ne leur vient en aide, personne ne semble même les chercher. A la fin, le petit s’en sort. Mais pas le grand. A la fin, le petit se venge. Mais je ne vous dirais pas comment. A la fin, j’ai refermé le livre en me demandant à quoi cela pouvait bien rimer.

Le puits, premier roman d’un auteur espagnol né en 1978, est pour moi un texte archi-dérangeant. Parce que je n’ai pas vu le sens, et j’aime trouver du sens quand je lis. Parabole, allégorie, fable sans morale ? Démonstration de ce que peut être la fraternité au sens le plus noble du terme ? Je cherche encore. J’accepte tout à fait de reconnaître que je n’ai rien compris mais alors qu’on m’explique ! Et puis pour un gars claustrophobe comme moi, cette lecture a été une véritable épreuve, à la limite de la souffrance physique. En tout état de cause, je ne suis pas près de l’oublier.


Le puits d’Ivan Repila. Denoël, 2014. 110 pages. 11,00 euros.

Les avis de Cryssilda et Sandrine









jeudi 13 novembre 2014

La fractale des raviolis - Pierre Raufast

Ça commence avec une femme voulant punir son mari volage. Comme la vengeance est aussi un plat qui se mange chaud, elle lui prépare un empoisonnement aux raviolis aussi discret qu’efficace. En théorie du moins, parce que rien ne se passe comme prévu. Enfin, difficile de savoir comment les choses vont se terminer puisqu’au moment fatidique, le lecteur bascule dans un souvenir plutôt délicat de la femme trompée. Puis il glisse vers l’histoire d’un homme capable de visualiser l’infrarouge avant de tomber sur un arnaqueur, un écrivain en manque d’inspiration, des rats-taupes, un gamin féru de stratégie militaire, j’en passe et des meilleures…

Très belle surprise que ce premier roman à la construction digne d’une poupée gigogne. Chaque récit s’emboîte dans le précédent, le prolonge, le complète d’une façon subtilement explicite. Il faut voir la première histoire comme un domino entraînant les autres. Au final, la boucle est bouclée, les raviolis sont servis, la chute, savoureuse, peut se déguster.

C’est pour tomber sur des textes comme ceux-là que je lis autant de premiers romans. Au-delà de la découverte d’une voix nouvelle, j’y cherche des auteurs osant sauter dans le vide sans parachute, ne cédant pas à la dictature de l’autofiction et sachant créer sans complexe des univers bien à eux. Je pourrais vous citer en exemple Monde sans oiseaux ou La chance que tu as parmi les plus récents. Ici, Pierre Raufast joue à merveille de ses talents de conteur. Il nous emmène à Marseille pendant l’épidémie de peste du 18ème siècle, nous parle de grandes batailles, de petites victoires et de réelles désillusions. Le trait n’est jamais forcé, c’est fin, enlevé, sans aucune fausse note. Une vraie réussite.

La fractale des raviolis de Pierre Raufast. Alma, 2014. 262 pages. 18,00 euros.

Et encore une lecture commune que je partage avec Noukette. Décidément..















vendredi 7 novembre 2014

Charlotte - David Foenkinos

Foenkinos a découvert la peintre Charlotte Salomon à l’occasion d’une exposition de ses toiles à Hambourg : « Ce fut immédiat. Le sentiment d’avoir enfin trouvé ce que je cherchais. » Depuis, la vie de cette femme est devenue son obsession et il a ressenti le besoin de mener l’enquête, de reconstituer son parcours, de la suivre pas à pas. Née en 1917 dans une famille juive de Berlin, Charlotte perd très tôt sa mère. Adolescente introvertie, hantée par les suicides qui frappent les siens à chaque génération, elle se découvre une passion pour la peinture qui ne la quittera plus. Fuyant l’antisémitisme après la Nuit de Cristal fin 1938, elle rejoint ses grand-parents à Villefranche-sur-Mer. C’est là qu’entre 1940 et 1942 elle réalisera quelques centaines de gouaches rassemblées sous le titre « Leben ? Oder Theater ? » (Vie ? ou Théâtre ?), aujourd’hui exposées au musée juif d’Amsterdam. Dénoncée, arrêtée, déportée à Drancy puis à Auschwitz, elle meurt dans les chambres à gaz à l’âge de 26 ans, enceinte de cinq mois.

Je n’avais jamais lu Foenkinos avant, je n’ai donc aucun point de comparaison possible avec le reste de son œuvre. Finalement, ce n’est pas plus mal. Sur le fond, la trajectoire de cette femme m’a passionné. Sa tragédie familiale, l’éveil de sa conscience artistique, son destin rattrapé par l’Histoire avec un grand H, ses petites victoires, ses joies dérisoires et ses grandes peines. Sur la forme, je suis plus mitigé. Déjà, le coté autofictionnel m’a agacé à plusieurs reprises. Quel intérêt a l’auteur de nous expliquer qu’il s’est rendu dans la maison d’enfance de l’artiste et qu’il n’a pu la visiter parce qu’on lui a claqué la porte au nez ? Franchement ? Pour nous prouver qu’il est bien parti à sa recherche ? Euh… on le sait depuis le début. Patrick Deville fait souvent le même genre d’intrusions dans ses récits mais elles ont toujours du sens, alors que là… Et puis sur la forme en elle-même, j’ai eu beaucoup de mal. Du sujet-verbe-complément-retour-à-la-ligne sans doute pas si simple que cela à écrire mais qui, à la lecture, offre une trop grande accessibilité au texte et lui enlève toute qualité littéraire.

Par contre, j’ai aimé que Foenkinsos se justifie, qu’il assume son parti-pris formel : « Pendant des années, j’ai pris des notes. J’ai parcouru son œuvre sans cesse. […]. J’ai tenté d’écrire ce livre tant de fois. Mais comment ? […] Quelle forme mon obsession devait-elle prendre ? Je commençais, j’essayais, puis j’abandonnais. Je n’arrivais pas à écrire deux phrases de suite. Je me sentais à l’arrêt à chaque point. Impossible d’avancer. C’était une sensation physique, une oppression. J’éprouvais la nécessité d’aller à la ligne pour respirer. Alors j’ai compris qu’il fallait l’écrire ainsi. » Point de coquetterie donc, une vraie sincérité, une certaine pudeur aussi.

Je trouve donc la démarche de l’auteur touchante mais ce minimalisme, cette volonté d’en dire le moins possible pour aller à l’essentiel m’a beaucoup trop laissé à distance. Le style télégraphique fini par être d’une froideur clinique et ne laisse aucune place à l’émotion. Tout l’inverse de ce qu’a par exemple fait Valentine Goby avec Kinderzimmer et que j’ai tant aimé. Je ressors donc ni véritablement déçu ni totalement convaincu. On sent l’œuvre portée par l’auteur pendant des années et son besoin quasi viscéral de la coucher enfin sur le papier pour, quelque part, s’en libérer. Mais du strict point de vue de la lecture et de la petite musique des mots, il ne m'a donné aucun plaisir.

Charlotte de David Foenkinos. Gallimard, 2014. 220 pages. 18,50 euros.

Une nouvelle lecture commune que je partage, une fois de plus, et c'est toujours le même plaisir, avec Noukette.

Les avis de Blablablamia, Laure, Laurie, L'irrégulière, Mango, Sandrine, Unchocolatdansmonroman






vendredi 31 octobre 2014

La malédiction du bandit moustachu - Irina Teodorescu

Ça commence comme un conte. Nous sommes à la fin du XIXème siècle, quelque part en Roumanie, et une malédiction est lancée à l’encontre de Gheorghe Marinescu par un bandit moustachu détrousseur de bourgeois : la mort frappera tous les descendants mâles de sa famille, et ce jusqu’à l’an 2000. A partir de là nous suivons, de génération en génération, le destin tragique des fils Marinescu qui ne pourront échapper à la fatalité. Et l’on découvre que les Marinescu n’ont rien de bons samaritains, tant les hommes que les femmes d’ailleurs. Ce ne sont pas « Maria la cochonne », « Maria la laide », « Ana la sorcière » ou « Margot la vipère » qui me contrediront.

Bof, bof, bof, ai-je envie dire. Ce premier roman d’une jeune auteure roumaine de 35 ans (écrit en français, je précise que ce n’est pas une traduction) a un coté loufoque qui pourrait être plaisant. L’écriture est dynamique, le changement de niveaux de langue donne beaucoup de vivacité, comme les chapitres très courts. Mais pour le reste... Les choses vont trop vite. On passe d’une époque à l’autre, d’un « Marinescu » à l’autre sans véritable liant. Et puis je me rends compte que j’ai beaucoup de mal dès qu’il y a plus de cinq personnages dans un roman. Je suis finalement un lecteur assez limité (bon ça, il y a longtemps que je le sais). Mais là, franchement, pour suivre le rythme et m’y retrouver, il m’aurait fallu un arbre généalogique détaillé. L’autre aspect qui m’a dérangé, c’est la méchanceté et le cynisme permanent dont font preuve les membres de cette famille. Je freine toujours des quatre fers devant le cynisme et la méchanceté. Il paraît que ça peut être drôle mais ça ne me fait jamais sourire. Du coup, les Marinescu et leur histoire, je n’en ai rien eu à faire, et ce dès le début. J’ai même été bien content de les quitter en tournant la dernière page, c’est dire.

Alors oui, c’est un premier roman enlevé et original qui sort des sentiers battus et de l’autofiction généralisée (ce qui est quand même un sacré bon point !), mais non, il ne m’a pas séduit une seconde et en ce qui me concerne,  je vais le classer sans regret dans la catégorie des « aussi vite lus qu’oubliés ».


La malédiction du bandit moustachu d’Irina Teodorescu. Gaïa, 2014. 155 pages. 17,00 euros.





jeudi 23 octobre 2014

Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier - Patrick Modiano

Presque rien. C'est par ces deux mots que commencent le nouveau Modiano. Tout est dit, fermez le ban. L'art du presque rien est sa signature, incontestablement. Une fois encore, ne cherchez ici nulle intrigue, nulle histoire. On y croit pourtant au départ. Le personnage central, Jean Daragane, reçoit l'appel d'un inconnu qui lui affirme avoir retrouvé son carnet d'adresse. Ils conviennent d'un rendez-vous et Daragane comprend rapidement que son bon samaritain n'est pas si innocent qu'il en a l'air. Il s'intéresse de près a l'un des noms inscrits dans le carnet et voudrait en savoir davantage. On se dit que ça va mal tourner, que l'intensité dramatique va aller crescendo jusqu'aux révélations fracassantes. On se trompe, évidemment. Tout cela n'est que prétexte à une nouvelle variation sur les souvenirs et l'oubli. Ce nom qui, de prime abord, ne dit rien à Daragane, va peu à peu déchirer le voile de la mémoire et lui faire remonter le fil du temps.

L’œuvre de Modiano est comme un puzzle dont chaque pièce semble identique. Il faut juste repérer l'infime variation qui permettra de l'imbriquer parmi les autres. L'enquête intime se pare ici d'un halo brumeux qui s'opacifie au fil des pages. Comme d'habitude oserais-je dire. Et comme d'habitude, le lecteur musarde, s'égare, se promène entre les ombres. Soyons clair, si vous n'aimez pas l'univers modianesque, ce nouveau roman ne vous fera pas changer d'avis. Mais si comme moi vous appréciez cet univers où prédominent une certain forme de nonchalance, une fausse insignifiance et une douceur diffuse, n'hésitez pas. Si vous aimez les antihéros solitaires et un peu perdus, les blessures tues, les souvenirs d'enfance douloureux et la mélancolie, vous y trouverez votre compte.

Et l'écriture me direz-vous ? Et bien elle aussi est comme d'habitude. Sans éclats, sans cris. D'une neutralité au charme fou. Ce charme qui, chez Modiano, vous étreint et jamais ne vous lâche. En tout cas en ce qui me concerne.

Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier de Patrick Modiano. Gallimard, 2014. 146 pages. 16,90 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.














samedi 18 octobre 2014

Je refuse - Per Petterson

C’est l’histoire de deux hommes sur un pont. L’un est en train de pêcher, l’autre passe en voiture. Tente cinq ans qu’ils ne se sont pas vus et pourtant ils se reconnaissent. Leur échange dure à peine quelques secondes. Dans le temps, ils étaient les meilleurs amis du monde. Aujourd’hui, Jim, le pêcheur, vit seul au nord d’Oslo. Il est en arrêt maladie depuis un an, fume trop et « a mis son existence en berne ». Tommy, lui, au volant de sa belle Mercedes, est un courtier plein aux as. Est-il heureux pour autant ? Vaste question.

Le roman relate une journée de septembre 2006 où ces deux hommes se croisent à nouveau. Une journée où ils vont remonter le temps. Prenant tour à tour la parole, ils laissent affleurer les souvenirs. 1966-1970-1971. Tommy, battu par son père, va être séparé de ses trois sœurs et placé en famille d’accueil. Jim, vivant seul avec une mère bigote, sera le confident, le soutien permanent, le complice indéfectible. L’époque des certitudes, mais aussi des premiers doutes :
-  On est amis depuis combien de temps, Tommy ? 
- Depuis toujours. On a toujours été amis.
- Autant que je m’en souvienne, oui, dit Jim.
- Je crois que ça durera jusqu’à la fin de notre vie. Tu ne crois pas ?
- On changera tous les deux. Avant, on se ressemblait plus que maintenant.
Tout est dit dans ce dialogue. L’éloignement, inévitable, pointe en sourdine. Un micro-événement, un grain de sable viendra mettre un terme à leur histoire.

Bon, je vais être clair, j’ai adoré ce roman. On navigue entre le passé et le présent et on comprend pourquoi les choses ont pu en arriver là. La trajectoire de chacun a fluctué en fonction des aléas. Comment peut-on tirer un trait sur une telle amitié ? C’est simple, banal, c’est juste la vie, le temps qui nous sépare et nous éloigne les uns des autres, même de ceux avec lesquels on pense rester connecté à jamais. Le propos me parle, sans doute parce que je m’y suis retrouvé. Le temps passe et fracasse tout sur son passage, « on oublie facilement que les choses sont différentes quand on est jeune ; l'univers est plus beau et on a la vie devant soi. Et puis ça se gâte, tout fout le camp, le monde vole en éclat du jour au lendemain. »

Dans ce récit polyphonique, Per Petterson met en scène des hommes qui s’écroulent. Dans tous les sens du terme. Des hommes seuls, désorientés, en plein doute. Des hommes fragiles, qui pleurent et se cherchent. Des hommes lucides, sachant pertinement qu’il est impossible de regarder en même temps en avant et en arrière si l’on veut avancer. Mais ont-ils encore envie d'avancer ? A un moment, Tommy se demande si le temps n’est pas qu’un sac dans lequel on peut enfouir ce que l’on veut. En cette journée de septembre 2006, il va ouvrir le sac et remonter le fleuve du temps, luttant contre un courant qui l’emporte. C’est beau, fort, poignant. La fin ouverte est parfaite, en suspens, elle nous laisse le choix, un peu comme dans un roman de Modiano. Le mien est le plus pessimiste. On ne se refait pas…

Je refuse de Per Petterson. Gallimard, 2014. 270 pages. 19,50 euros.

 PS : J’aime ce titre. Ces deux mots sont prononcés par un personnage secondaire. Sur son lit d’hôpital, il refuse de mourir. Un vœu pieux, forcément.

PS bis : « Je refuse » sera ma première pépite de la rentrée chez Galéa. Une pépite sans doute trop personnelle et intime pour emporter l’adhésion d’une majorité d’autres lecteurs, j’en ai bien conscience. Mais j’assume, évidemment.








jeudi 16 octobre 2014

Un été en famille - Arnaud Delrue

Ça commence par un enterrement. Celui de Claire, la sœur de Philippe, le narrateur. Un narrateur qui s’adresse tout au long du texte à Marie, son autre sœur de onze ans. Sur le ton de la confession, il dévoile petit à petit une étrange histoire de famille. Sa relation ambigüe avec Claire, la maladie de cette dernière, qui l’a poussée au suicide, le conflit permanent avec leur mère, son job d’assureur qu’il a abandonné sans regret. Et bien d’autres choses encore qui, peu à peu, font froid dans le dos…

Bon, soyons clair, c'est une déception. J’ai aimé le malaise qui s’est emparé de moi petit à petit, les révélations fracassantes et dérangeantes disséminées l’air de rien au détour d’une phrase. Mais pour le reste, je me suis perdu face aux membres de cette famille aussi nombreuse que tordue, j’ai trouvé que le récit manquait d’âme, que les pièces s’imbriquaient de façon mécanique, limite exercice de style, et j’ai vu la fin arriver à des kilomètres, grosse comme une maison. De toute façon, quand un narrateur à la première personne ne suscite ni empathie ni réaction épidermique, juste un soupçon d’indifférence polie (parce que, quand même, je suis un lecteur bien élevé), il n’y a pas grand-chose à faire, juste attendre de tourner la dernière page en se disant qu’il est temps de passer à autre chose.

Un premier roman à la construction maîtrisée mais bien trop froid (glaçant même par moment) pour me donner un quelconque plaisir de lecture. Décevant, quoi.

Un été en famille d’Arnaud Delrue. Seuil, 2014. 160 pages. 16,00 euros.









jeudi 9 octobre 2014

Surtout rester éveillé - Dan Chaon

Ces dernières semaines, j’ai lu Paul Harding et son père sombrant dans la folie après la perte de sa fille. J’ai lu Burnside et ses noyés du fin fond de la Norvège, Denis Michelis et son apprenti serveur devenu le souffre-douleur de ses collègues, Leïla Slimani et sa nymphomane dépressive, Stéphane Guibourgé et son skinhead ultraviolent, Antoine Dole et sa femme battue, Radhika Jha et son accro du shopping poussée à la prostitution ou encore Marcus Malte et sa borgne cinglée qui enferme les hommes dans son coffre après les avoir assommés. Autant dire que je nage dans un océan de bonheur et de béatitude. Pour compléter le tableau, et avant d’entamer une inévitable cure de Prozac, je me suis lancé dans le recueil de nouvelles de Dan Chaon, un auteur qui avait fait sensation il y a quelques années avec son premier roman, « Le livre de Jonas ».

Pourquoi je dis « compléter le tableau » ? Parce que l’univers de Chaon est, en termes de noirceur, au diapason de mes récentes lectures. Jugez plutôt : dans ce recueil, on trouvera l’histoire d'un bébé à deux têtes qu'il va falloir opérer juste au moment où son père a un accident de voiture qui lui sectionne la moelle épinière, celle d’un fils arrivant dans la maison de ses parents et trouvant une lettre de sa mère le suppliant de ne pas grimper à l'étage et d’appeler la police (je vous laisse imaginer la suite…), d’un ancien alcoolique ayant refait sa vie après avoir abandonné femme et enfant qui va subir une terrible vengeance, de Dave Deagle, quarante ans, déjà veuf et déjà victime d’une crise cardiaque ou encore d’un lycéen dont la petite amie va donner naissance à un nourrisson non viable et qui, le jour de l’enterrement, ne trouvera rien de mieux à faire que de disparaître au moment où cinquante personnes viennent lui présenter leurs condoléances. Vous en voulez encore ou je m’arrête là ? C’est léger, joyeux, guilleret et on en sort revigoré, je ne vous dis que ça.

Blague à part, j’ai beaucoup aimé. Ça dégouline de tristesse, de douleur et de solitude, il y a parfois un soupçon d’étrangeté qui n’est pas sans rappeler l’univers de Chris Adrian. Après, le problème, c’est que depuis peu, en matière de nouvelles américaines, mon mètre-étalon est Bruce Machart. Et avec lui, la barre est placée tellement haut que les autres souffrent forcément de la comparaison. Donc, non, Dan Chaon n’a pas la grâce et la puissance d’écriture de Machart. Mais ses histoires tiennent quand même sacrément la route et ce recueil ravira sans problème les amateurs du genre. Du moins si on aime les atmosphères un peu (beaucoup) plombantes…

Surtout rester éveillé de Dan Chaon. Albin Michel, 2014. 300 pages. 22,00 euros.

Extrait :

Ton avenir se modifie et se déforme au moindre de tes pas, au moindre de tes coups de tête merdiques. L’homme que tu deviendras est à ta merci. 
Un des hommes que tu aurais pu être est déjà mort et tu devrais prendre le temps de t’ôter de la tête ses ossements couverts de toile d’araignée. Sa maison, son jardin, son travail ennuyeux de loser. Son bébé. Et Meg – ton ex-future femme – tu devrais aussi te l’ôter de la tête avant de lui parler, tu devrais te débarrasser de l’épouse que tu projetais déjà d’embrasser au réveil, de baiser et d’aimer pendant d’hypothétiques décennies. Dis adieu à cette dimension alternative, à cette autre vie. Chasse-là et puis appelle Meg et mets un terme à tout ça – tu seras comme une jeune feuille d’arbre qui s’ouvre.






lundi 6 octobre 2014

A l'origine notre père obscur - Kaoutar Harchi

« Envie brutale de fuir cette maison singulière, aux frontières de l’irréel, cette maison dont les femmes disent qu’elle est le vestige d’un temps ancien, archaïque, une maison de pierres aux chambres carrées, à peine meublées, une maison sans la moindre trace de couleur où règne le silence des cimetières, l’obscurité des forêts, une maison entourée d’un terrain vague, construite à l’écart de la ville par des hommes aidés de femmes dans le but d’isoler d’autres femmes, la maison des délits du corps où l’on ne châtie ni ne violente, où on rééduque, jour après jour, au risque d’y passer des années, par la seule force de l’enfermement. Il faudrait dire de l’emmurement. Aucun gardien, ici, ne surveille les femmes. Elles vivent sous le poids des règles familiales inculquées depuis l’enfance et sont devenues leurs propres sentinelles. »

La maison des femmes est un lieu où sont parquées les recluses, celles convaincues d’avoir fauté, celles qui ont bafoué l’honneur de leur mari et de leur famille, celles qui ont parfois simplement voulu être elles-mêmes. La narratrice y vit avec sa mère. Elle y est née. Devenue adolescente, elle se heurte au silence maternel et ne supporte plus la passivité de cette communauté courbant l’échine sous le joug des traditions. Les circonstances vont lui donner la force de pousser la lourde porte en bois de la bâtisse et d’aller chercher des réponses auprès de ce père qu’elle n’a jamais connu.

Au-delà de la quête des origines, ce texte d’une beauté élégiaque est avant tout un cri de révolte. Contre la complaisance, la résignation de ces femmes acceptant leur sort, ces femmes devenues dépendantes au mal qu’infligent les hommes. C’est une voix qui s’élève pour dire « je viens de vous mais je ne suis pas à vous et je refuse de me sacrifier comme les femmes, depuis des millénaires, se sacrifient ». Sacrifiées « par fidélité, par honneur, par devoir, n’osant pas se lever et se rebeller. On les avait, ces femmes, dressées pour et quand est venu mon tour de choisir quel chemin prendre, il y eut, d’abord, ce besoin viscéral de me dresser contre. Contre elles et leur docilité de petites chiennes effrayées par l’ombre du maître quand moi, moi ma vie, moi mon destin, c’était, ce maître, l’approcher, le sentir, le toucher, et, yeux dans yeux, malgré le souffle court et le soulèvement vif du cœur dans la poitrine, lui murmurer à l’oreille : vois comme je n’ai pas peur de toi. Vois comme je te comprends. Vois comme je t’aime. »

Je suis sorti de ce roman abasourdi par la puissance de l’écriture, sensuelle, heurtée, poétique. L’absence d’ancrage géographique et temporel donne au propos un coté universel. Et mon regard masculin ne peut que constater l’évidence : oui, en se réfugiant derrière le poids des traditions et la force brute, les hommes ne font que signifier leur lâcheté. Incontestablement ma lecture la plus marquante de la rentrée littéraire.

A l'origine notre père obscur de Kaoutar Harhci. Actes Sud, 2014. 164 pages. 17,80 euros.

Les avis de Jostein, Leiloona, Marilyne, Nadael, Noukette, Stephie










vendredi 3 octobre 2014

Fannie et Freddie - Marcus Malte

Deux longues nouvelles dans ce recueil. La première se déroule à New York. On y croise Fannie et son œil de verre, en route pour un parking de Wall Street. Elle s’y gare et attend. Un homme lui demande de bouger sa voiture mais elle voudrait d’abord qu’il l’aide à sortir sa roue de secours du coffre. Le gars se penche vers la roue et elle lui balance une décharge de 900 000 volts avec un poing électrique avant de lui enfoncer une aiguille dans le cou et de l’embarquer jusque chez elle…

Dans la seconde, un flic de la Seyne-sur-Mer revient sur la plage où, des années plus tôt, on a trouvé le cadavre de son meilleur ami. « Il lui manquait une partie du visage. Le quart supérieur droit. Il lui manquait les cils, les sourcils et une oreille. Il lui manquait cette lueur de malice au fond des yeux qui souvent lui tenait lieu de passe-droit. […] Il lui manquait cette incroyable énergie, cette époustouflante santé des jeunes plants poussés à l’air libre. Il lui manquait le souffle et la vie. Paul avait quatorze ans. » Si la thèse du suicide a toujours été privilégiée, il n’y a jamais cru. Depuis, il s’est juré de retrouver le coupable…

Bienvenue chez Marcus Malte. Son univers glaçant, sa prose au scalpel et ses personnages un rien flippants. Dans la première nouvelle, je me suis cru revenu chez D. Ray Pollock avec une routarde du crime qui trouve ses victimes par hasard et cherche à leur en faire baver. Sauf que ce n’est pas si simple. La seconde est plus classique, pleine de tristesse et de mélancolie. Les deux sont parfaitement ciselées. On y trouve en toile de fond les dégâts de la mondialisation, la solitude, la violence, le poids des souvenirs, le temps qui passe et ravage les espoirs. Le propos se veut aussi politique, engagé. L’écriture est tendue, froide comme le marbre. Du Malte pur jus, oserais-je dire.

Fannie et Freddie de Marcus Malte. Zulma, 2014. 160 pages. 15,50 euros.

Et une nouvelle lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Noukette.










jeudi 2 octobre 2014

La beauté du diable - Radhika Jha

Si vous passez ici régulièrement, vous savez que je suis un adepte du grand écart. Au niveau des lectures du moins. J’aime varier les plaisirs, sortir de ma zone de confort, m’aventurer sur des chemins totalement inconnus. C’est pour cela que je me suis laissé tenter par ce roman de prime abord digne du diable s’habille en Prada ou des confessions d’une accro du shopping. Je dis de prime abord parce qu’au final, on en est loin.

A Tokyo, Kayo, la narratrice, s’adresse à un mystérieux destinataire. Elle lui explique son parcours : mariée trop vite à un salaryman accaparé par son métier de banquier, elle devient mère trop jeune et végète dans un rôle de femme au foyer sans avenir ni perspectives. Son désœuvrement la ronge. L’ennui insondable qu’elle vit au quotidien la pousse inexorablement vers la dépression.  En retrouvant Tomoko, une ancienne camarade de lycée, elle découvre le monde de la mode, le shopping compulsif, les vêtements, chaussures et accessoires de marque. Elle enchaîne les ventes privées, fait sienne la devise de son mentor (« Les vêtements représentent le seul vrai pouvoir que nous autres femmes détenons sur le monde ») et finit par se brûler les ailes.

Ayant ouvert un compte sans en parler à son mari grâce à un don de sa mère, elle dépense sans compter jusqu’au jour où la source se tarît. Croulant sous les dettes, elle s’adresse à des usuriers mafieux pour obtenir un crédit. Les yakuzas vont lui faire comprendre qu’il y a un moyen très simple d’obtenir tout l’argent qu’elle désire en toute discrétion : la prostitution…

J’ai vraiment beaucoup, beaucoup aimé ce roman. Radhika Jha est indienne mais j’ai retrouvé dans son texte le sombre désespoir que j’apprécie tant dans la littérature japonaise contemporaine, notamment chez Murakami Ryu. Aucune superficialité malgré les apparences. Le mal être de Kayo est profond, elle achète pour exister, pour ne pas devenir invisible. Elle achète pour combler un vide qui a désespérément besoin d’être rempli. Sa confession agace, touche, inquiète. Elle fascine aussi. Sous les abords légers la cruauté affleure, le glamour devient glauque, l’ivresse du shopping tourne à l’aigre. Percutant et fort bien mené.


La beauté du diable de Radhika Jha. Picquier, 2014. 274 pages. 19,50 euros.









samedi 20 septembre 2014

Orphelins de Dieu - Marc Biancarelli

« Une justice devait s’accomplir, et si les tribunaux, dans leur iniquité perpétuelle, ne pouvaient se montrer dignes de leur charge, peut-être Dieu abattrait-il le glaive rédempteur sur les poitrails des Philistins, et si Dieu, qui, Lui aussi, semblait avoir oublié cette terre, si Dieu Lui-même regardait ailleurs et se refusait à accomplir son devoir, alors la tâche qui consistait à rendre cette haute justice incomberait à l’Enfer. Et dans son pays, l’Enfer était un nom d’homme, et cet homme, disait-on, pourvoyait à la résolution de bien des problèmes que les lointains tribunaux étrangers, et Dieu Lui-même, ne semblaient pas considérer. »

Rendre la justice, Vénérande n’a que cette idée en tête. Faire payer les salopards qui ont tranché la langue de son frère après l’avoir défiguré. L’Infernu est son seul salut. Une légende vivante, un tueur à gage craint dans tout le pays. Avec lui, elle va chevaucher vers la tanière des Santa Lucia (la fratrie à abattre) pour accomplir sa vendetta. En chemin, l’Infernu va lui raconter les plus mémorables épisodes sa longue carrière d’impitoyable desperado…

Un western, au cœur des montagnes corses, à la fin du 19ème siècle, fallait oser ! Un western hanté par le mal et la violence, par des hommes orphelins de Dieu devenus des créatures maléfiques. J’ai retrouvé dans le personnage de l’Infernu les caractéristiques que j’avais appréciées chez celui du Tireur de Glendon Swarthout : un tueur légendaire en bout de course voulant sortir par la grande porte et une scène finale crépusculaire dont on devine facilement l’issue.

Mais l’intérêt principal tient dans l’évocation de son passé de brigand, du basculement de son engagement idéologique vers le grand banditisme. A cet égard, la bande de pillards sanguinaires à laquelle il a appartenu n’a rien à envier aux coquillards de François Villon.

La langue de Marc Biancarelli est riche, âpre et lyrique. Les descriptions possèdent une force d’évocation particulièrement puissante. Après, je le reconnais, le récit est traversé par une violence telle qu’elle pourra heurter les âmes sensibles. Pour ma part j’ai pris un vrai plaisir à découvrir ce texte atypique et plein de souffle qui détonne par rapport à ce que j’ai pu découvrir de la rentrée littéraire jusqu’alors.

Orphelins de Dieu de Marc Biancarelli. Actes sud, 2014. 236 pages. 20,00 euros.

L'avis de Sandrine




vendredi 19 septembre 2014

Sous les couvertures - Bertrand Guillot

Une librairie de quartier comme il en reste de moins en moins. Un samedi soir, au moment où les portes se ferment. Le vieux libraire rentre chez lui et s’interroge sur l’avenir de son échoppe, sur les clients de plus en plus rares. Retranché sur des positions d’une autre époque, incapable de se remettre en cause, ne laissant aucune initiative à Sarah, son apprentie pourtant compétente et pleine de bonne volonté, il lui est difficile de faire face à une baisse d’activité qui l’étrangle un peu plus chaque jour.

Sur les rayonnages, le moral est aussi au plus bas. Les livres du « boudoir », ceux qui attendent depuis des mois de trouver un acquéreur, savent que le lundi suivant sera pour eux synonyme de retour chez l’éditeur avant la mise au pilon. Réunis en Grand Conseil, ils décident de mener une attaque frontale en direction de la table située près de la caisse, celle réservée aux best-sellers. L’objectif est d’arracher à ces parvenus leurs jaquettes attractives et leurs bandeaux accrocheurs pour s’en parer et ainsi attirer l’attention des clients. Un baroud d’honneur radical censé leur donner une dernière chance de sortir de la librairie par la grande porte…

Chic, un livre sur les livres ! Un livre drôle et léger, au propos bien plus lucide et grinçant qu’il n’y paraît. La situation du marché du livre et de tous ses acteurs est analysée avec une grande subtilité : la versatilité de lecteurs de plus en plus difficile à fidéliser, les boutiques en lignes, le numérique, le rôle des critiques, la surproduction, la loi du marché qui fait des romans de simples produits de consommation, l’impossibilité pour une très grande majorité d’auteurs d’espérer la moindre exposition dans les médias, etc. Le fait de mettre en scène les livres se battant pour obtenir la meilleure place possible dans la librairie est une excellente idée à la base. Il y a des passages fort réussis, notamment celui ou les ouvrages « papier » échangent avec une liseuse. La scène est drôle et balaie l’air de rien les problématiques qu’implique ce nouvel outil.

Après, j’avoue que la bataille rangée entre les livres ne m’a pas emballé plus que ça. Trop longue, trop confuse, difficile à visualiser, je me suis un peu perdu en route. J’ai préféré les chapitres avec le libraire ou Sarah et j’aurais aimé passer davantage de temps avec eux et leurs questionnements. Mais au final l’impression générale reste très positive. Bertrand Guillot a l’intelligence d’offrir un chant d’amour aux livres sans militantisme enflammé ni étude sociologique barbante sur la lecture. Il pose des questions pertinentes telles que : "Et comment on pouvait encore être libraire, à l'heure où les mêmes clients qui vous reprochaient de ne pas avoir tout lu se tournaient vers des libraires en ligne qui précisément ne lisaient rien ?".  Bref, il donne à réfléchir en toute simplicité, et force est de reconnaître qu'il fait mouche.

Sous les couvertures de Bertrand Guillot. Rue Fromentin, 2014. 176 pages. 16,00 euros.

Une lecture commune que je partage avec Leiloona et Stephie.